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dimanche 12 mai 2024
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Sécurité alimentaire : Ce qu’il faut savoir

La pandémie mondiale de COVID-19 couplée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont fait émerger, ces dernières années, les concepts de sécurité alimentaire et de souveraineté alimentaire. Entre enjeux politiques, géopolitiques, juridiques, sociaux et économiques, il est essentiel de bien comprendre ces concepts, mais aussi et surtout de les différencier.

« Sécurité et souveraineté alimentaire sont deux notions qu’il faut différencier. De manière schématique, la sécurité alimentaire est un état de fait – celui d’avoir assez de nourriture de qualité – et la souveraineté alimentaire interroge les moyens pour y parvenir et plus spécifiquement les politiques mises en œuvre », explique Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM) sur le site internet de l’organisme auquel il appartient. Pour ce chercheur à Sciences Po Bordeaux, le débat sur ces thématiques lève le voile sur la peur de manquer de ressources, qu’elles sous-tendent dans les représentations populaires, notamment dans les pays dits en développement.

Pour l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), « la sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se prm0078ocurer une nourriture suffisante et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Cette définition est le fruit d’un consensus international issu du Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu en 1996, au siège de l’organisme onusien à Rome.

La souveraineté alimentaire en question

Au Sommet mondial de l’alimentation, en 1996 à Rome, la Via Campesina – un mouvement paysan international – a introduit une définition de la souveraineté alimentaire. Pour cette organisation, « la souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité à produire son alimentation, facteur essentiel de la sécurité alimentaire au niveau national et communautaire, tout en respectant la diversité culturelle et agricole ». Dans la foulée, fait remarquer Mathieu Brun, les mouvements sociaux ont énoncé un ensemble de principes et de leviers sur lesquels il faut agir pour garantir la souveraineté alimentaire,à savoir :l’approche par les droits, la réforme agraire et l’accès aux financements, la protection des ressources naturelles, des méthodes durables de production, la réorganisation du commerce alimentaire, la remise en cause de la « globalisation de la faim », le contrôle de l’action des firmes multinationales, la paix sociale, le « contrôle démocratique », etc.

« Aujourd’hui, indique le chercheur, comme dans les années 1990, l’utilisation de la notion de « souveraineté » constitue une relecture de la question agricole et alimentaire. Elle interroge les cadres normatifs et commerciaux qui avaient conduit à la dépolitisation de l’enjeu alimentaire par le rôle prépondérant donné au marché. Sa réappropriation, aujourd’hui tous azimuts, témoigne d’un sentiment de perte de contrôle (dépendance à l’extérieur pour l’alimentation humaine/animale ou pour les intrants, etc.) et de capacité de choix sur les modèles de production et de consommation (normes et clauses miroirs, gestion des ressources naturelles, etc.) », explique le Directeur scientifique de la FARM.

2019 : un tournant majeur

Depuis 2019, 150 millions de personnes en plus sont venues grossir le nombre d’individus affectés par la faim, le portant à près de 830 millions en 2021, avant même la guerre en Ukraine. En 2021, selon la FAO, sur le continent africain, 1 personne sur 5 était touchée par la faim (278 millions de personnes). L’Asie est aussi un continent où le nombre de personnes en insécurité alimentaire est élevé (425 millions de personnes, 9 % de la population) ainsi que l’Amérique du Sud et les Caraïbes (56 millions, 8.6 %). Enfin, 80 % des personnes souffrant de la faim vivent dans les zones rurales et le phénomène touche principalement les petites exploitations familiales qui fournissent pourtant la plus grande partie de l’alimentation mondiale. Le lien entre sécurité alimentaire, développement agricole et prospérité dans les zones rurales est donc particulièrement fort, comme l’indique une étude publiée par la FARM.

Pour le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, la guerre en Ukraine menace de déclencher une vague sans précédent de faim et de misère. Si les difficultés pour des millions de personnes d’accéder à une alimentation saine au quotidien ne sont pas une nouveauté, le patron de l’institution mondiale estime qu’elles ont été décuplées par les effets de la guerre et, avant cela, ceux de la pandémie de COVID-19, ébranlant les piliers d’un système alimentaire mondial déjà précaire. « Il faut faire preuve de vigilance et bien séparer les effets conjoncturels, dramatiques au demeurant, du conflit en Ukraine, et les caractéristiques structurelles de l’insécurité alimentaire. Cette dernière est un enjeu quotidien pour des millions de personnes, elle se pose en permanence, arme alimentaire russe ou non », relativise la FARM.

Souveraineté et autosuffisance alimentaire : quelle différence ?

Pour les chercheurs de la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde, il ne faut pas confondre la souveraineté avec l’autonomie ou l’autosuffisance. Alors que la souveraineté induit une capacité stratégique des acteurs de connaître et gérer leur dépendance en mettant en œuvre des politiques adaptées, l’autonomie, elle, désigne la capacité à ne pas dépendre d’autrui, à évoluer indépendamment des autres. Ce qui, à l’heure de problématiques communes comme le réchauffement climatique, n’a que très peu de sens.

L’autosuffisance alimentaire, à en croire Mathieu Brun, est une situation dans laquelle se trouve un pays ou un individu dont les ressources propres sont suffisantes pour répondre à ses besoins. « A l’heure de la mondialisation des échanges, l’autonomie ou l’autosuffisance alimentaire paraissent utopiques, à moins d’une révolution copernicienne de nos modes de vie », estime-t-il. « Un nombre très limité de pays ou de territoires sont capables de produire de tout et tout le temps, tant les systèmes alimentaires se sont, fortement standardisés, déterritorialisés et dé-temporalisés au cours des dernières décennies », ajoute-t-il.

De l’avis du Directeur scientifique de la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde, la souveraineté alimentaire n’exclut pas le commerce ni les échanges. Ils peuvent constituer un outil pour atteindre la sécurité alimentaire. « La souveraineté alimentaire serait d’ailleurs, pour ses défenseurs, largement compatible avec la mondialisation, à condition que celle-ci soit guidée avant tout par le bien-être des peuples (producteurs et consommateurs) et la protection des ressources naturelles. Une politique de souveraineté alimentaire implique donc une triple stratégie, pour ce qui peut être produit et consommé sur place, ce qui ne peut pas l’être (en sécurisant les flux et en diversifiant les sources d’approvisionnement) et ce dont d’autres peuvent dépendre pour leur sécurité alimentaire (exportations) », conclut-il.

M’Bah Aboubakar

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