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lundi 13 mai 2024
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Lycées et collèges: Qui engrosse nos élèves ?

Le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a documenté 3588 cas de grossesses précoces, en milieu scolaire ivoirien, de septembre 2022 à avril 2023. Ce phénomène social soulève une question cruciale : Qui sont réellement les auteurs de ces grossesses qui entravent le cursus scolaire des adolescentes? Enquête.

Un adolescent a engrossé trois collégiennes. L’élève qui fréquente une école secondaire, à Dabou, a reçu un scooter de ses parents. Ceux-ci lui offraient régulièrement de l’argent pour acheter du carburant et ses besoins. Le garçon a profité de ces avantages pour s’attirer les faveurs de certaines élèves qu’il transportait. Au bout du compte, trois adolescentes en classes de 5e, 4e  et 1re sont tombées enceintes de lui. Le fait divers est rapporté par Michelle Mobio. L’assistante sociale, précédemment chef de service au Collège moderne André Latrille de Port-Bouët, se souvient que, lors d’un séminaire de formation, à Dabou, ce cas pratique a été présenté comme dressant le profil du potentiel engrosseur. Il s’agit d’un garçon jouissant d’une autonomie financière, mais n’étant pas suffisamment responsable pour brider ses pulsions sexuelles. Docteur Serge Touvoly, spécialiste en psychopathologie de la vie sociale, décrypte ce cas d’école. 

Profilage du mineur ou de l’adulte immature

Selon Dr. Touvoly, responsable des psychologues de l’Organisation des Parents d’Élèves et d’Étudiants de Côte d’Ivoire (OPEECI), il faut bien comprendre la psychologie de l’adolescent. « Le phénomène des grossesses précoces peut être observé entre les adultes et les filles adolescentes. Mais il a été remarqué que le phénomène est plus fréquent, entre les adolescents eux-mêmes qu’entre les filles adolescentes et des adultes. Les adolescents sont à un niveau de développement où la production des hormones sexuelles est abondante. C’est une phase de développement dans laquelle l’enfant veut expérimenter son corps, faire comme les adultes ; l’âge de la maturation biologique étant de treize à quatorze ans, chez la fille et de seize ans chez le garçon. Ils peuvent donc concevoir, mais leur structure mentale n’est pas encore mise en place », détaille l’expert. Selon ses explications, la maturation psychologique n’arrive que dans l’intervalle de dix-huit à vingt-et-un ans. Poursuivant, l’enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan fait observer que les jeunes élèves en phase de maturation biologique, mais qui n’ont pas achevé le processus de leur formation psychologique, vont développer une attitude de séduction. Le milieu des adolescents étant fait de défis à relever, ajoute-t-il, conquérir une fille devient un jeu pour l’adolescent qui croit relever de la sorte un challenge. A cet âge où « l’excitabilité et les pulsions sexuelles sont élevées, développe l’expert, la raison n’est pas encore mise en place ».  Le praticien en déduit que l’adolescent qui convoite, tout comme l’élève adolescente objet de la convoitise, sont tous deux des « sujets immatures ». Ils sont tous sous l’influence des pulsions sexuelles et ils raisonnent peu. 

Notes sexuellement transmissibles « NST »

« On trouve la même structure psychologique chez l’adulte.  On peut être adulte, sans être mature psychologiquement. L’adulte dominé par les pulsions sexuelles qui prennent le dessus sur la raison, ne va pas résister devant la tentation ou les rondeurs quelconques observées chez une adolescente. », explique Dr. Touvoly. Il ressort de son analyse que les filles qui voient les adultes dans la rue ou des enseignants et éducateurs à l’école, les perçoivent comme leurs pères. Elles font, ce qu’il appelle des « projections transférentielles » sur ces adultes, s’exposant à des abus sexuels.

Romaric Kouassi, chef de la cellule VIH à l’ Association Ivoirienne de Marketing Social (AIMAS), une Ong engagée dans la sensibilisation contre les grossesses précoces en milieu scolaire, note qu’au sein des écoles les plus touchées par le fléau, les auteurs de grossesses d’élèves n’ont pas un profil figé. « Il ressort de nos observations qu’il y a parmi ceux qui engrossent les élèves, des parents, des enseignants, des amis proches et des anonymes », soutient-il, tout en indiquant que l’âge des jeunes filles qui tombent enceintes varie généralement de treize à dix-neuf ans. En effet, dans les affaires de grossesses à l’école, la responsabilité des enseignants et des éducateurs est parfois mise à l’index. Ces derniers ont la réputation de donner à leurs petites amies, ce que certains élèves appellent avec une pointe d’humour, des NST, c’est-à-dire des « Notes sexuellement transmissibles ». 

Au Lycée municipal 1 de Koumassi, qui affiche six grossesses depuis le début de l’année scolaire, c’est le cas d’une mineure en classe de 5e portant une grossesse qui alimente le commérage entre jeunes filles. « Elle est trop jeune ; celui qui a fait ça a gâché son avenir », s’indigne une élève en compagnie de quatre autres camarades. Ces adolescentes en classe de 3e révèlent qu’elles sont souvent confrontées aux avances agaçantes d’adultes. Alexis Dilo, spécialiste de la prise en charge psycho-sociale dans cette école pose son diagnostic : « En général, les auteurs de ces grossesses précoces sont des personnes qui exercent des petits métiers : des gérants de cabine, des vigiles, des chauffeurs de taxis, des journaliers travaillant à la zone industrielle de Koumassi,… Quelquefois, ce sont des personnes désœuvrées, et de plus en plus des élèves », détaille-t-il. En 2017, la Direction de la Mutualité des Œuvres Sociales en Milieu Scolaire (DMOSS) indiquait que 56,8% d’auteurs de grossesses travaillaient dans le secteur informel et 40% étaient des élèves. En ce qui concerne l’implication du personnel enseignant, l’éducateur scolaire croit savoir que les sanctions disciplinaires et pénales qui pèsent sur ces enseignants peuvent être un facteur dissuasif. 

Serge Zagbayou, assistant social au Lycée municipal de Gonzagueville, à Port-Bouët, un établissement avec un effectif de 4700 élèves, se risque à une autre explication du phénomène des grossesses en milieu scolaire : « La plupart des filles en situation monoparentale, où l’éducation n’est pas bien suivie, sont exposées ». Cette année scolaire, dix cas de grossesse précoces ont été enregistrés au sein de l’école.

Mieux encadrer les élèves mineurs

Alfred Gogbeu, assistant social à Tabagne, dans la sous-préfecture de Bondoukou, dénonce l’irresponsabilité de certains parents d’élèves. « Beaucoup de jeunes élèves à Tabagne louent des maisons en co-location. Les parents ne leur apportant pas de l’argent, les filles sont à la merci des jeunes gens exerçant des petits métiers», fait-il observer.

Dr. Touvoly met le doigt sur la fragilité chez l’adolescente. « La séduction et beaucoup de mécanismes sexuels se développent chez la jeune fille. C’est comme si elle était sous pression. Elle qui devrait être protégée à cette période précise de son évolution, les parents pensent qu’elle est grande. Alors, l’adolescente va revendiquer son âge adulte. Elle voudra se réaliser de façon autonome », révèle le vice-président de l’Association des psychologues Psy’Mental Health. 

Des esquisses de solutions existent pour protéger la jeune fille. Pour celle qui est déjà enceinte, propose Alfred Gogbeu, il existe le report de scolarité afin qu’elle reprenne la classe, l’année suivante. Quant à Michelle Mobio, elle recommande à la jeune fille d’éviter la proposition de tout homme à rester seule avec lui, dans une enceinte fermée ou d’embarquer dans le véhicule d’un inconnu. Dr. Touvoly engage les parents à créer des relations profondes avec les jeunes enfants car à cette période de sa vie, l’adolescent cherche un adulte idéal à imiter. S’il ne trouve pas son modèle à la maison, il se livrera à des modèles à l’extérieur, s’exposant aux abus. Alexis Dilo encourage les parents à inculquer des valeurs morales solides à leurs enfants. Pour le chef de cellule VIH de l’Ong AIMAS, il faut sensibiliser tous les maillons de la chaîne de l’éducation : parents d’élèves, enseignants et élèves, en vue d’atteindre l’objectif gouvernemental « zéro grossesse à l’école »

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