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vendredi 10 mai 2024
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Protection de l’enfance: 138 filles et garçons victimes de viol

Le 3 décembre 2023, une pensionnaire de l’orphelinat des filles de Grand-Bassam âgée de 13 ans est décédée des suites de viols répétitifs. Ce drame révèle des fléaux tels les viols, la maltraitance, les violences dont sont victimes les enfants au sein de structures pourtant dédiées à leur protection. 

Le décès d’une fillette de 13 ans à l’orphelinat de Grand-Bassam, à la suite d’un viol, le 3 décembre 2023, reste encore gravée dans les mémoires. Après ce drame et l’émoi qu’il a suscité, les enfants continuent d’être victimes d’abus divers, malgré le fait que l’Etat ivoirien, à travers ses services et des organismes privés, soit engagé dans la protection des enfants vulnérables. Comment est organisé le domaine de la protection de la petite enfance ? Comment fonctionnent les structures de la protection de l’enfance, notamment les orphelinats ? Quels sont les problèmes rencontrés par les acteurs ? Certaines entités à qui nous avons adressé des demandes d’entretiens n’ont pas donné de suite jusqu’au moment où nous publions cet article, plus d’un mois après. Cependant, nous avons obtenu une somme d’informations sur le sujet grâce aux échanges informels avec des usagers de certains orphelinats, des acteurs de la protection de l’enfant, des observateurs, notamment. Nous avons aussi consulté des données officielles du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (MFFE), de l’UNICEF et du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH).

Des chiffres alarmants 

Le ministère de la Femme, de la Famille et l’Enfant a, en 2021, enregistré 741 cas de viols, 219 agressions sexuelles (hors mutilations génitales féminines), 477 maltraitances physiques et 263 maltraitances psychologiques ou émotionnelles. Pour la même année, 243 enfants abandonnés ont été répertoriés. En outre, il a été dénombré 18 423 enfants dont 9 396 filles (51,00 %) et 9 027 garçons (49,00 %) pensionnaires des structures d’encadrement de la petite enfance.

Du 1er janvier au 31 décembre 2022, le CNDH a enregistré neuf cent treize (913) cas de violences basées sur le genre. Ils se traduisent par 132 viols de filles ; 06 viols de garçons ; 31 filles et 04 garçons victimes de violence psychologique et de harcèlement sexuel. À cela, il faut ajouter 17 filles et 01 garçon victimes d’agressions sexuelles, viols et mutilations, toujours selon l’enquête du CNDH.

La prise en charge et la prévention des viols 

Les viols d’enfants sont commis aussi bien dans les centres d’accueil et d’hébergement qu’en dehors, notamment dans les familles. Selon des acteurs du domaine, qui se sont exprimés sous anonymat, les viols à l’intérieur des centres sont commis par des enfants sur d’autres enfants, mais aussi par des adultes. Malheureusement, les victimes craignent souvent de dénoncer leurs agresseurs. Une autre difficulté récurrente à la dénonciation des viols, c’est le tabou que représente le viol dans la société. La lutte contre les viols des enfants et les autres fléaux demeurent problématiques à cause des obstacles cités (peur, tabou) mais aussi des difficultés institutionnelles. L’UNICEF relève, entre autres difficultés, une faible disponibilité et une répartition inadéquate des services de prévention et de réponse pour les victimes ; un manque de formation des acteurs de la prévention et de la réponse ; l’insuffisance de connaissances et le manque d’appropriation des mesures de prévention, de signalement et de répression au sein de la population et des services en contact avec les enfants. Le coût du certificat médical exigé pour le viol, en violation des instructions du ministère de la Justice, la longueur et le coût des procédures judiciaires constituent des freins à la lutte contre ces fléaux, note l’agence des Nations Unies en charge des questions des enfants.

Les établissements de protection face à leurs difficultés 

« Les difficultés rencontrées dans nos orphelinats sont essentiellement, le manque de moyens financiers et matériels, des locaux insuffisants, une capacité d’accueil en deçà des besoins et des effectifs faibles, etc. », déclare un acteur du secteur. Des faits corroborés par l’enquête du Conseil National des Droits de l’Homme  menée sur la période d’avril à juillet 2022. Ladite enquête énumère les limites du système de protection de l’enfance dont, entre autres, le sureffectif des enfants dans certains Etablissements de protection et de remplacement (EPR) ; le manque de qualification de certains membres du personnel dédié à l’encadrement des enfants ; le placement des enfants sans autorisation préalable du juge des tutelles en charge des ordonnances de placement ; la non-possession d’extrait de naissance ou de jugement supplétif par des enfants pensionnaires. Le CNDH pointe aussi l’insuffisance ou l’absence de ressources financières ne permettant pas d’assurer le bien-être des enfants pris en charge ; l’absence de textes juridiques nationaux qui encadrent la protection et le remplacement en Côte d’Ivoire ; l’insuffisance de suivi des EPR par les autorités étatiques.

L’UNICEF-Côte d’Ivoire, dans un rapport publié en août 2021, note également des insuffisances importantes que sont une vision fragmentée et un manque de coordination du secteur de la protection de l’enfance contre la violence et l’exploitation; une gouvernance budgétaire, des processus budgétaires et une exécution budgétaire inadéquats qui entravent la mise en œuvre effective de la législation et des politiques nationales de protection de l’enfant; le manque de données fiables, vérifiables et de qualité pour une planification basée sur les évidences ; la faible valorisation et la sous-exploitation par l’État des services de protection que pourraient offrir la société civile, les organisations confessionnelles, le secteur privé et les communautés. 

Plusieurs structures de protection dans l’illégalité

La protection des enfants malheureusement victimes des fléaux tels que viols, violences, maltraitances, etc est assurée par des structures sociales contrôlées par l’Etat. C’est le cas des centres sociaux placés sous la tutelle du ministère de l’Emploi et de la Protection Sociale, des complexes socio-éducatifs sous tutelle du ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant et des Organisations Non Gouvernementales. En effet, sur 97 Etablissements de protection et de remplacement  dénombrés par le rapport du CNDH de 2022, cité plus haut, (dont 30 orphelinats, 16 pouponnières, 49 centres d’accueil et d’hébergement et 02 centres d’accueil et d’hébergement spécialisés),20 exercent dans l’illégalité, sans agrément. 

Les contraintes budgétaires, un véritable handicap

Le manque de ressources financières est un des plus gros goulots d’étranglement du système de la protection de l’enfance en Côte d’Ivoire. Dans sa publication d’août 2021, l’UNICEF évoque la question budgétaire, en citant une étude de 2016 réalisée sur la base des dépenses observées en 2014 qui montre que le montant des crédits alloués au secteur de la protection ne s’élevait qu’à 0,33 % du budget de l’État, hors service de la dette, soit environ 10 milliards de FCFA (17 millions d’USD). L’étude précise que la part des dépenses de prévention représente moins du tiers du total des dépenses totales de protection. Par ailleurs, les crédits publics en matière de protection servent principalement à financer des dépenses de fonctionnement. Tandis que les services de première ligne comme les centres sociaux et les services de protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse ne disposent pas des moyens matériels, logistiques et financiers nécessaires pour mener des actions de prévention, assurer la gestion des cas ou prendre en charge des victimes. 

La Côte d’Ivoire compte plus de 5,5 millions d’adolescent(e)s, parmi lesquels 3,1 millions âgés de 10-14 ans et 2,6 millions âgés de 15-19 ans (RGPH 2014, projections 2034), soit plus de 20 % de la population totale. Selon une enquête réalisée en 2018 par l’UNICEF, 60,8 % des garçons et 47,1 % des filles âgés de 13 – 24 ans ont subi des violences physiques au cours de leur enfance, et 19,2 % des filles et 11,4 % des garçons des violences sexuelles.

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