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lundi 13 mai 2024
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Chocolat : Tout sur la durabilité du cacao

Introduit par les pays du Sud – notamment l’Union Européenne – le concept de « cacao durable » est censé pérenniser le secteur, inscrire la production de cacao dans la lutte contre le dérèglement climatique, en mettant fin à la déforestation.

Entre la guerre russo-ukrainienne qui s’enlise, les prix des engrais qui enflent, l’inflation généralisée qui semble inarrêtable et les nouvelles mesures de l’Union Européenne contre la déforestation, la filière cacao en Côte d’Ivoire – comme dans les autres pays producteurs – est confrontée à plusieurs défis dont celui de la durabilité. La Côte d’Ivoire et bien d’autres pays sont actuellement mis sous pression par une série de mesures prises par le Conseil de l’Union européenne et qui prévoit de n’autoriser l’entrée sur son marché que des produits dont la chaîne d’approvisionnement respecte des critères préétablis.

Ainsi, selon les spécialistes, plusieurs principes peuvent être formulés pour promouvoir la durabilité dans la chaîne de production et de valeur du cacao.  Ils vont de la promotion de conditions de vie décentes pour les cultivateurs à la prévention des pires formes de travail des enfants, en passant par la prévention de la déforestation et la promotion d’une agriculture intelligente.

Haro sur les produits issus de la déforestation

En fait, et pour bien schématiser, si une entreprise ne peut pas prouver que le produit qu’elle veut exporter en Europe n’est pas issu de la déforestation, alors elle ne pourra pas rentrer dans le marché européen. D’ailleurs, outre le cacao, le soja, la viande bovine, l’huile de palme, le bois, le café, ainsi que de certains produits dérivés sont également concernés par ces nouvelles lois. « Il existe une demande croissante des consommateurs européens pour un cacao issu du commerce équitable » qui serait garanti de surcroît « sans déforestation ou travail d’enfants ». Les entreprises sont prêtes à payer plus cher pour s’approvisionner en cacao « durable », justifie l’Union Européenne dans une de ses notes explicatives.

Pour un pays comme la Côte d’Ivoire dont le cacao est stratégique – il représente selon la Banque Mondiale 10% à 15% du PIB, près de 40% des recettes d’exportation et fait vivre cinq à six millions de personnes, soit près de 20% de la population – le secteur doit se transformer pour assurer son avenir et mieux jouer « son rôle de moteur du développement économique », comme le souhaitent les dirigeants.

La question qui pointe en filigrane est existentielle pour les pays producteurs : comment concilier le paiement d’un prix décent aux producteurs, quand l’on sait, dans le même temps, que l’Union Européenne se prépare à interdire l’exportation de produits importés issus de la déforestation, dont le cacao ?

Ulcéré par cet état de fait, le président Alassane Ouattara a poussé une gueulante en marge du sommet UE-Afrique qui s’est tenu les 17 et 18 février 2022 à  Bruxelles. Il s’est insurgé contre ces nouvelles directives qui pourraient entrer en vigueur en 2024. « Si les européens ne veulent pas acheter notre cacao, d’autres vont l’acheter. Si les Américains ne veulent pas acheter notre cacao, d’autres pourront l’acheter. Alors ce n’est pas en faisant des menaces, nous devons travailler ensemble à ce que le cacao soit durable », avait-il protesté.

Agir, malgré tout

Pour autant, les problèmes soulevés par les européens ne sont pas que des vues de l’esprit. La question de la déforestation, par exemple, est une réalité contre laquelle il importe d’agir. « Le rendement du cacaoyer décroît structurellement, depuis quarante ans. Une conséquence de la monoculture du cacao et de l’emploi massif d’intrants chimiques ayant appauvri les sols. Sans compter les ravages de l’extension de la maladie du Swollen Shoot ou bien les sécheresses dues au réchauffement climatique. Afin de conserver les mêmes rendements macro, les cacaoculteurs ont privilégié, pendant des années, l’extension des cultures et donc la déforestation. Un choix contestable et court-termiste, dans la mesure où les cacaoyers atteignent le maximum de leurs capacités sous un couvert forestier. Cette solution n’est maintenant plus viable, la Côte d’Ivoire ayant détruit 90% de ses forêts primaires », analyse Pierre d’Herbès, Consultant en intelligence économique chez d’Herbès Conseil. Abidjan est de ce fait confrontée à la survie même de sa source de matière première.

Dans cette optique, le gouvernement a engagé une série de mesures afin d’endiguer rapidement le phénomène. Le couvert forestier restant a, de ce fait, été légalement sanctuarisé. De plus, le gouvernement a créé, en 2018, sous l’égide du ministère des Eaux et Forêt, une unité de sécurité chargée de contrer la déforestation illégale, tout en s’engageant dans une vaste politique de reforestation. Objectif : doubler le couvert forestier du pays (de 10 à 20%) d’ici à 2030.

Encourager l’agroforesterie

Parallèlement l’agroforesterie est encouragée dans les plantations de cacao. Des arbres sont donc plantés au milieu des champs de cacaoyers. Leur rendement s’en trouvera amélioré. Essence sensible, le cacaoyer produit plus de rendement, et plus longtemps, sous un couvert ombragé et humide. Sous la conduite du Comité Café Cacao (CCC) ivoirien, plusieurs organismes comme l’ICRAF (centre international pour la recherche en agroforesterie) et le CIRAD (centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement) travaillent à la reforestation des exploitations.

Pour Axel Emmanuel Gbaou, le gouvernement est « efficient » et il lui fait « confiance » pour résoudre la problématique. Mais il faut à tout prix « accentuer la sensibilisation ». Car « le million de cacaoculteurs ivoiriens est disséminé dans des zones parfois peu accessibles. Il est difficile de les atteindre ». Pour faciliter l’application des normes, le gouvernement, via le CCC, a débuté la distribution de cartes magnétiques aux planteurs. Elles permettront de tracer la production, mais aussi d’effectuer des transactions sécurisées. Cette dernière fonction devrait permettre de protéger les exploitants. En vérifiant la conformité du montant des achats par rapport aux prix fixés en début de saison.

On distingue donc une forte acuité des risques du côté ivoirien. La stratégie définie par le gouvernement apparaît réaliste. Et assez souple pour s’adapter aux remontées de ses propres opérateurs de terrain. Une transition en douceur semble enclenchée dans la filière « Afin de ne pas bouleverser les équilibres ténus qui la caractérisent en termes de rendement et de revenus pour l’Etat. Les années à venir permettront de rendre compte de la pertinence, ou du réalisme, des choix. Si la Côte d’Ivoire réussit son pari, elle sera non seulement parvenue à renforcer sa place sur le marché du chocolat et s’ouvrir de nouveaux marchés ; mais elle aura également réussi à sauver ses plantations, et in fine, le chocolat », conclut Pierre d’Herbès

M’Bah Aboubakar

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