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dimanche 12 mai 2024
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Avortements clandestins: 230 000 cas recensés

Deux cent trente mille (230 000) avortements clandestins ont été effectués en Côte d’Ivoire, selon les enquêtes sur ce sujet menées par Performance Monitoring for Action (PMA), de 2018 à 2020. Ces interruptions de grossesses sont la cause d’environ 18% des décès maternels enregistrés dans la période, indique le rapport de PMA publié en 2021, le dernier du genre dans le pays.  

Punis par la loi, à travers le nouveau code pénal de 2019 en ses articles 425 et 426, l’avortement et la tentative d’avortement sont devenus des pratiques clandestines, qui exposent les femmes désireuses de se débarrasser de grossesses à des risques parfois mortels. La justice ivoirienne prévoit en effet : « l’emprisonnement d’un à cinq ans et une amende allant de 150.000 à 2.000.000 francs CFA quiconque commet ou tente de commettre un avortement». La loi punit donc autant la personne qui avorte que celle qui pratique l’avortement. Cependant, l’avortement ne constitue pas un délit dans deux cas, tel spécifié dans l’article 427 du Code pénal : « II n’y a pas d’infraction lorsque : l’interruption de la grossesse est nécessitée par la sauvegarde de la vie de la mère gravement menacée ; le médecin procure l’avortement a une victime de viol, à la demande de celle-ci ».

Les réseaux sociaux, nouveaux lieux de « consultation » … 

Les astuces et secrets dits « fiables et sans effets secondaires » pour faire passer les grossesses sont légion. Sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, de nombreuses pages et comptes revendiquent détenir secrets et astuces. « Avortement sécurisé avec seulement 3000f même les cols durs. Intéressé Inbox », peut-on lire sur une publication dans un groupe Facebook spécialement dédié à l’Interruption Volontaire de Grossesses (IVG). Contacté par Le Tamtam Parleur via Messenger, l’un des profils, qui affirme pratiquer l’IVG  depuis 2018, a indiqué qu’il propose des astuces naturelles aux femmes dont la santé d’aucune d’elles n’a été mise en danger. « Ce que je propose aux femmes, ce sont des recettes avec des produits 100% biologiques comme du miel, de l’eau simple, du sel,… », a-t-il égrené. Une composition dont nous ne saurions exposer entièrement tous les ingrédients ici, par mesure de prudence.

Si ce profil conseille à ses patientes des produits biologiques, d’autres profils commercialisent des produits pharmaceutiques au mépris de règles et lois sanitaires de la Côte d’Ivoire. Une annonce, dans un groupe Facebook qui rassemble 23.500 abonnés, interpelle :« Avortement à base des produits pharmaceutiques. Mifegyne, Cyt…, Art… NB. Bientôt c’est la rentrée, je suis disponible vraiment pour vous, surtout les élèves. Venez vers moi pour tous vos problèmes, même si vous n’avez pas assez de moyens ». 

Ces médicaments sont soit retirés du marché ou demandent une prescription médicale obligatoire, nous a confié Dr. Jacques Kouakou, pharmacien. « Mifegyne est un médicament retiré du marché par les autorités sanitaires. Quant à Art… et Cyt…, ils ont été retirés du marché puis réintroduits, mais nécessitent tout de même une prescription de la part d’un médecin », a-t-il expliqué.

…Des complications souvent réparées par les médecins

En plus de ces « astuces » et prises de médicaments, pour pratiquer l’IVG, certaines femmes introduisent des objets pointus dans leurs utérus, d’autres des substances dures pillées ou des produits chimiques. Les conséquences pour la santé sont dramatiques. « Des saignements excessifs, des infections, des lésions utérines » sont les complications graves qui obligent ces femmes à se rendre dans un centre de santé, nous a révélé Dr. Osman Chérif, tout en ajoutant que l’avortement clandestin peut conduire à « d’autres problèmes médicaux graves tels que les trompes bouchées et une stérilité définitive ».

Selon une étude de l’American Psychological Association menée par Brenda Major, l’avortement clandestin peut engendrer des problèmes de santé mentale chez certaines femmes concernées. Les conséquences psychologiques, toujours selon la chercheure américaine, peuvent les hanter tout au long de leur vie, car elles doivent vivre avec le poids de la culpabilité d’avoir mis fin à une vie innocente. Dans les cas les plus graves, cela peut entraîner des états dépressifs et des regrets, car l’avortement peut également provoquer une stérilité permanente, conclut l’étude américaine. 

Plaidoirie de la société civile en faveur de l’avortement sécurisé

L’Association des Femmes Juristes de Côte d’Ivoire (AFJCI), la Société de Gynécologie et Obstétrique de Côte d’Ivoire (SOGOCI), la Coalition Actions contre les Grossesses Non Désirées et à Risques (AGnDR) sont quelques organisations qui militent en faveur du droit des femmes à l’autonomie corporelle, à la santé reproductive et au choix en matière de procréation. Toutes ces organisations plaident pour la domestication de l’ensemble des points du Protocole de Maputo – un accord signé entre les pays de l’Union Africaine visant à protéger les droits reproductifs des femmes et des filles – dont la Côte d’Ivoire est signataire. En somme, il s’agit de dépénaliser l’avortement et réduire les risques liés à leur pratique clandestine, généralement par des individus peu ou pas qualifiés. 

Selon cette société civile, le nombre d’avortements clandestins pourrait s’améliorer, si la Côte d’Ivoire dispose d’une loi en matière de santé sexuelle et reproductive, et si les décideurs s’emploient à rendre conformes les dispositions du code pénal avec celles de l’article 14 du protocole de Maputo de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Celles-ci garantissent le droit des femmes à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive 

Patrick-William YAO

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