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lundi 13 mai 2024
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Gestion financière : Plus de 40.000 fonctionnaires surendettés

Ce sont de milliers de fonctionnaires qui sont victimes de surendettement, pris dans l’engrenage des usuriers et autres prêteurs sur gages. 

C’est au cours d’une séance de travail, le 2 février au Plateau, entre les ministres Myss Belmonde Dogo (Solidarité et Lutte contre la Pauvreté) et Anne-Désirée Ouloto (Fonction Publique et Modernisation de l’Administration) que le chiffre a été donné : plus de 30.000 fonctionnaires et agents de l’Etat sont victimes du surendettement dû au prêt à l’usure.

Pour Félix Yao Kouassi, Coordonnateur du Programme Education Financière au ministère de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation, ce chiffre se situe en-deçà de la réalité. « La Direction de la Mutualité et des Œuvres Sociales en Milieu Scolaire (DMOSS) du ministère de l’Education Nationale a élaboré des statistiques sur la question.  En 2014, au niveau de l’Education Nationale, on dénombrait au moins 39.000 enseignants surendettés », assure-t-il. Ramenés à l’échelle de toute la Fonction Publique, ces chiffres montrent l’ampleur du phénomène et la laideur d’un système qui gangrène ce secteur.

Une étude commandée par le ministère en charge de la Solidarité et de la Lutte contre la Pauvreté et celui de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration a mis en lumière les principales causes, les manifestations et les conséquences de cette forme de précarité et de vulnérabilité qui touche de nombreux ménages. L’étude révèle, par exemple que « plus de 60% des prêts sont contractés par les fonctionnaires pour faire face aux charges familiales », notamment la scolarisation des enfants, les frais médicaux, l’alimentation, et surtout les sollicitations de la famille élargie comme l’organisation des funérailles, des fêtes de générations, les mariages et autres évènements. Il faut citer également l’acquisition de biens (produits de première nécessité et matériaux de construction), les investissements dans des activités génératrices de revenu et les loisirs. Par ailleurs, le rapport de l’enquête mentionne que « les acquisitions de biens représentent 49,26% comme cause profonde de l’endettement suivies des dépenses familiales qui elles représentent 28,57%. ».

C’est quoi le surendettement ?

« On parle de surendettement lorsque 70% du salaire du fonctionnaire est confisqué par la dette et les travailleurs, sujets de ce phénomène vivent le plus souvent dans des situations de fragilité individuelle, familiale, sociale, économique et géographique » explique la ministre Myss Belmonde Dogo. Félix Yao va plus loin pour indiquer que la notion de surendettement, pour un travailleur, se passe en dehors du circuit financier formel, c’est-à-dire les banques et établissements financiers. « Aucune personne ne peut être surendettée auprès de sa banque parce qu’il existe des balises mises en place par le régulateur qui est la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO. Le ministère de l’Economie et des Finances est aussi regardant sur la question, sans oublier le banquier lui-même qui tient compte des quotités cessibles, lorsqu’il s’agit de prêts », fait-il savoir. « Parler donc de surendettement revient à chercher auprès de qui les personnes se surendettent. Il faut le dire clairement, c’est auprès de personnes ou de structures qui ne sont pas dans le circuit financier formel, auprès d’usuriers généralement qui font des prêts avec des taux d’intérêt allant de 50% à 100%. Cela est intenable », lâche-t-il.

Toutes les pressions induites par ces prêts aux taux exorbitants conduisent le fonctionnaire dans une situation vulnérable. Ce qui a une incidence négative sur son quotidien, tant sur sa productivité et son assiduité au travail que sur sa vie dans la société. « Plus de 80 fonctionnaires surendettés s’absentent au travail, abandonnent leur poste, disparaissent ou envisagent le suicide » indique l’enquête.

Engrenage infernal

Les usuriers profitent bien des failles du système. Si les banques et établissements financiers classiques consentent à prêter de l’argent aux travailleurs après une certaine période d’étude de dossiers, jugée trop longues par les fonctionnaires dans le besoin, les usuriers appelés les « margouillats », eux, peuvent fournir des prêts en quelques minutes. En échange, la victime consentante remet sa carte bancaire, son code confidentiel et des fois même sa carte nationale d’identité au prêteur et signe, par-dessus le marché, une reconnaissance de dettes. « Les taux pratiqués sont parfois autour de 50 %, souvent beaucoup plus. Mais en cas de retard de remboursement, la dette augmente de manière exponentielle. Le remboursement se fait à la fin du mois en cours. Si ce n’est pas fait, le taux est reconduit au mois suivant sur la base de ce qui n’a pas été payé. Et ainsi de suite. C’est ce système qui fait que parfois on doit rembourser des dizaines de fois le montant emprunté, et ce sur plusieurs années », détaille Yao Félix. Plusieurs fonctionnaires se sont ainsi retrouvés à rembourser sur des années, des millions de Francs CFA, alors qu’ils avaient emprunté moins d’un million. 

Le Parlement s’en mêle

En 2014, le Parlement ivoirien a bien adopté une loi visant à combattre l’usure. La loi N° 2014-810 du 16 décembre 2014 portant définition et répression de l’usure prévoit des peines d’emprisonnement pouvant aller de deux mois à deux ans de prison – voire cinq ans en cas de récidive – ainsi qu’une amende de 100.000 FCFA à 5 millions de FCFA. Malgré tout, les usuriers ne semblent pas inquiets. « C’est une mafia bien organisée. Ils ont des astuces pour se sortir des mailles du filet », explique une ancienne victime, sous couvert d’anonymat. Pour Yao Félix, la situation n’est pas inconnue des autorités. « Elles ont certes pris le taureau par les cornes, en adoptant cette loi, mais ne l’ont pas encore fait tomber. En prenant cette loi, tout le monde reconnaît que la situation est compliquée. C’est dans l’application de ce texte et dans la sensibilisation des fonctionnaires, surtout dans les centres de formation initiale, que tout doit se jouer », indique le Coordonnateur du Programme Education Financière.

Pour tenter de trouver une solution à ce fléau, le ministère de la Solidarité et de la Lutte contre la Pauvreté a réuni des experts, les 29 et 30 novembre, à Cocody, autour du thème : « Surendettement des Fonctionnaires, Facteurs d’atténuation et / ou de maitrise ». Il est ressorti plusieurs propositions de ces assises, notamment accentuer la sensibilisation des fonctionnaires et agents de l’Etat sur les dangers de la contraction de prêts auprès des usuriers, adopter un régime d’imposition spécifique aux travailleurs de l’Etat, réduire le délai d’attente du rappel des fonctionnaires à trois mois, …

M’Bah Aboubakar

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