Le blanchiment de capitaux est un défi majeur dont le préjudice, pour la Côte d’Ivoire, se chiffre à plus de 1000 milliards de francs CFA par an. C’est quatre fois le montant des dons reçus par le pays, c’est-à-dire 300 milliards de FCFA en 2019.
1300 milliards de francs CFA, c’est le préjudice causé par le blanchiment d’argent chaque année en Côte d’Ivoire. C’est ce qu’a annoncé Cyrille Tanoe, directeur exécutif de l’Association professionnelle des systèmes financiers décentralisés de Côte d’Ivoire (APSFD-CI), au cours d’un atelier de formation organisé en collaboration avec la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF).
De source policière, l’une des techniques de blanchiment consiste à construire des immeubles qui n’attendent pas forcément d’être habités. L’objectif de ces criminels étant de faire croire que ces flux financiers illicites proviennent de la mise en location de ces biens immobiliers. La couverture étant ainsi faite, ils peuvent s’adonner à toute sorte de trafics illicites. Plusieurs milliards de francs CFA étaient certainement sur le point d’être blanchis, lorsqu’une saisie record de deux tonnes et 57 kilogrammes de cocaïne à Abidjan et à San-Pedro avait laissé les Ivoiriens sans voix en 2022. Le coût de cette saisie était estimé à 41 milliards de francs CFA. Cette importante somme d’argent aurait pu intégrer le circuit financier normal, après un passage par les itinéraires sophistiqués du blanchiment de capitaux. « Les quantités de drogue qui passent entre les mailles du filet produisent des sommes impensables qui sont rendues propres à travers des projets immobiliers et autres activités commerciales », nous fait savoir notre source. Selon un rapport d’évaluation sur les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux publié en juin 2023 sur la Côte d’Ivoire, réalisé par le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest, le pays est devenu un point de transit pour le trafic international de stupéfiants. Une part importante des produits de ces trafics semble être blanchie en Côte d’Ivoire, notamment dans le secteur immobilier. C’est visiblement pour cela que les articles 5 et 6 de la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux font obligation aux administrations financières, aux banques et autres sociétés immobilières de déclarer des opérations suspectes à la Cellule de traitement d’informations financières (CENTIF). Elle dont la mission est d’analyser et d’exploiter tout renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes ayant fait l’objet de déclarations.
L’immobilier et la filière café-cacao très exposés !
La filière café-cacao et le secteur des promoteurs immobiliers sont les plus exposés aux menaces de blanchiment d’argent. Quant aux secteurs des banques, notaires, experts comptables, le risque de blanchiment d’argent est « moyennement élevé ». C’est ce qu’a révélé ce même rapport, qui a évalué les risques auxquels ces secteurs d’activités sont confrontés en termes de blanchiment. Par ailleurs, une évaluation de l’exposition de la Côte d’Ivoire au risque de financement du terrorisme, par la même organisation, a conclu que le niveau est élevé. Les principaux facteurs de risque sont liés à la proximité géographique du pays avec le Mali et le Burkina Faso où des groupes terroristes sont actifs depuis les années 2010.
La corruption, une activité sous-jacente au blanchiment d’argent
La corruption est l’une des activités principales sous-jacentes au blanchiment d’argent. Selon Fousseny Touré, directeur de la communication du ministère de la Promotion de la bonne gouvernance, la corruption a fait perdre à la Côte d’Ivoire 1400 milliards de francs CFA en 2019. À en croire les données fournies par la plateforme nationale du Système de prévention et de détection des actes de corruption dénommée »Spacia » mis en place par le gouvernement, les secteurs les plus touchés sont ceux de la défense, de la sécurité et de l’intérieur (administration territoriale), de l’urbanisme, de la construction de l’habitat, du logement et du foncier.
Plus de 8 milliards de francs CFA saisis
Ce même rapport d’évaluation sur le blanchiment d’argent en Côte d’Ivoire a constaté que sur les 404 dossiers ouverts au Pôle Pénal Économique et Financier, l’instance juridictionnelle chargée de ce type d’affaires, 270 concernent le blanchiment de capitaux. L’étude des 270 dossiers montre que 255 sont des cas d’auto-blanchiment, et que dans 15 cas, les opérations de blanchiment ont été exécutées par des tiers non-impliqués dans la commission de l’infraction d’origine.
Plusieurs procès ont permis de procéder à la confiscation des avoirs criminels. Dans le récapitulatif des biens confisqués, énuméré dans ce rapport, il y a: 15 parcelles de terrains, 59 immeubles, un navire, quatre vedettes, 2074 pièces de lingots d’or, plus de 100 kilos d’or, 91 comptes bancaires, des bijoux d’une valeur de 174.968 264 FCFA, une pizzeria, un hôtel et 8 571 000 000 francs CFA en espèces.
Des mesures concrètes contre le fléau
Après avoir reconnu les efforts consentis par l’État de Côte d’Ivoire dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, des recommandations ont été faites en lien avec le niveau de conformité établi par le Groupe intergouvernemental d’action de lutte contre le blanchiment de capitaux. Il s’agira pour les autorités ivoiriennes de mieux comprendre les risques de blanchiment de capitaux, de veiller à la mise en œuvre des mesures préventives prévues en réponse aux risques de blanchiment de capitaux jugés prioritaires, y compris les risques liés à la corruption.
Au regard de la loi n°2016-992 du 14 novembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, en son article 113, les personnes physiques reconnues coupables de blanchiment de capitaux ou d’actes de complicité connexes à cette infraction sont passibles de trois à sept ans d’emprisonnement et d’une amende dont le montant est égal au triple de la valeur des biens ou des fonds blanchis à titre de peine principale. Il est bon de noter que le FMI définit d’ailleurs le blanchiment de capitaux comme une activité consistant à traiter les actifs provenant d’activités criminelles de manière à en dissimuler l’origine illicite. Trois étapes dans le blanchiment d’argent sont courantes. Il y a d’abord »le placement » qui s’explique par le fait que « l’argent sale » est introduit dans le système financier. Ensuite, »l’empilement » qui consiste à faire circuler les fonds illicites pour dissimuler leur origine. Et enfin, »l’intégration » et / ou »l’extraction » qui est le procédé consistant à réintroduire cet « argent sale » dans l’économie légitime via des investissements « propres ».