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mardi 24 septembre 2024
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Blanchiment d’argent en Côte d’Ivoire: L’État perd 1300 milliards de FCFA par an

Le blanchiment d’argent est un sérieux manque à gagner pour la Côte d’Ivoire. Les flux financiers illicites qui circulent dans le pays sont évalués à coups de plusieurs centaines de milliards de francs CFA. Le préjudice est colossal. 

Le vertigineux préjudice causé par le blanchiment d’argent en Côte d’Ivoire est de 1300 milliards de francs CFA par an. C’est ce qu’a annoncé Cyrille Tanoe, directeur exécutif de l’Association professionnelle des systèmes financiers décentralisés de Côte d’Ivoire (APSFD-CI) au cours d’un atelier de formation organisé en collaboration avec la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif). Cette rencontre a réuni plusieurs acteurs du secteur de la finance, il y a quelques mois. Il s’appuyait sur des informations fournies par le rapport d’évaluation détaillé numéro 23 / 307 du Fonds monétaire international (FMI) en 2023. Selon ce rapport d’évaluation qui planchait sur les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en Côte d’Ivoire, les principales infractions sous-jacentes à ce fléau sont principalement la corruption et le trafic de drogue. Le FMI définit d’ailleurs le blanchiment de capitaux comme une activité consistant à traiter les actifs provenant d’activités criminelles de manière à en dissimuler l’origine illicite. Trois étapes dans le blanchiment d’argent sont courantes. Il y a d’abord ‘’le placement’’ qui s’explique par le fait que « l’argent sale » est introduit dans le système financier. Ensuite, ‘’l’empilement’’ qui consiste à faire circuler les fonds illicites pour dissimuler leur origine.  Et enfin, ‘’l’intégration’’ et ou ‘’l’extraction’’ qui est le procédé consistant à réintroduire cet « argent sale » dans l’économie légitime via des investissements « propres ».

Plus de 66 milliards sur le point d’être blanchis 

Le rapport d’évaluation sur les mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux publié en juin 2023 sur la Côte d’Ivoire réalisé par le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) révèle que le pays est devenu un point de transit pour le trafic international de stupéfiants. Et qu’une part importante des produits de ces trafics semble être blanchie en Côte d’Ivoire, notamment dans le secteur immobilier. On se souvient encore de cette saisie record de deux tonnes et 57 kilogrammes de cocaïne à Abidjan et à San-Pedro en 2022. Et dont le coût était estimé à 41 milliards de francs CFA. Pour cette source policière avec qui nous avons échangé, «les quantités de drogue qui passent entre les mailles du filet produisent des sommes impensables qui sont rendues propres à travers des projets immobiliers et autres activités commerciales». Notre interlocuteur nous a révélé qu’une des techniques de blanchiment consiste à construire des immeubles qui n’attendent pas forcément d’être habités. L’objectif de ces criminels, selon notre source, c’est de faire croire que ces flux financiers illicites proviennent de la mise en location de ces biens immobiliers. La couverture étant ainsi faite, ils peuvent s’adonner à toute sorte de trafics illicites. C’est visiblement pour cela que les articles 5 et 6 de la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux font obligation aux administrations financières, aux banques et autres sociétés immobilières  de déclarer des opérations suspectes à la Cellule de traitement d’informations financières (Centif). Elle dont la mission est d’analyser et d’exploiter tout renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes ayant fait l’objet de déclarations. 

D’importants avoirs criminels confisqués

Ce rapport d’évaluation financé par le Fonds monétaire international révèle aussi que de 2017 à la date du 27 mai 2022, sur les 404 dossiers ouverts au Pôle pénal économique et financier, l’instance juridictionnelle de ce type d’affaires, 270 concernent le blanchiment de capitaux. L’étude des 270 dossiers montre que 255 sont des cas d’auto-blanchiment, et que dans 15 cas, les opérations de blanchiment ont été exécutées par des tiers non impliqués dans la commission de l’infraction d’origine. Ce sont des membres du cercle familial sur les comptes desquels les produits sont déposés, à leur insu ou non. Ces procès ont permis de procéder à la confiscation des avoirs criminels. Dans le récapitulatif des biens confisqués, énuméré à la page 89 de ce rapport, 15 parcelles de terrains, 59 immeubles, un navire, quatre vedettes,  2074 pièces de lingots d’or, plus de 100 kilos d’or, 91 comptes bancaires, des bijoux d’une valeur de 174.968 264 FCFA, une pizzeria, un hôtel et 8 571 000 000 francs CFA ont fait l’objet de confiscation. 

L’immobilier et la filière café-cacao très exposés !

Selon ce même rapport, la Côte d’Ivoire a réalisé en mai 2020 une Évaluation nationale de risque (ENR), avec l’assistance technique de la Banque mondiale. Au regard de cette évaluation, les secteurs des promoteurs immobiliers, la filière café-cacao sont les plus exposés aux menaces de blanchiment d’argent. Quant aux secteurs des banques, notaires, experts comptables, le risque de blanchiment d’argent y est « moyennement élevé ». Par ailleurs, une évaluation de l’exposition de la Côte d’Ivoire au risque de financement du terrorisme, dont elle conclut que le niveau est élevé. Les principaux facteurs de risque sont liés à la proximité géographique du pays avec le Mali et le Burkina Faso où des groupes terroristes sont actifs depuis les années 2010. 

La corruption a coûté 1400 milliards à la Côte d’Ivoire

Selon Fousseny Touré, directeur de la communication du Ministère de la promotion de la bonne gouvernance, du renforcement des capacités et de la lutte contre la corruption, l’activité sous-jacente au blanchiment d’argent qu’est la corruption, a fait perdre à la Côte d’Ivoire 1400 milliards de francs CFA en 2019. À la tribune qu’avait organisée le Centre d’information et de communication gouvernementale (CICG), il avait rappelé que ce manque à gagner représentait quatre fois le montant des dons reçus par la Côte d’Ivoire la même année, c’est-à-dire 300 milliards de FCFA. À en croire les données fournies par la plateforme nationale du Système de prévention et de détection des actes de corruption dénommée ‘’Spacia’’ mis en place par le gouvernement, les secteurs les plus touchés sont ceux de la défense, de la sécurité et de l’intérieur (administration territoriale). A cela s’ajoutent les secteurs de l’urbanisme, de la construction de l’habitat, du logement et du foncier. 

Des mesures concrètes contre le fléau

Après avoir reconnu les efforts consentis par l’État de Côte d’Ivoire dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, des recommandations ont été faites en lien avec le niveau de conformité établi par le Groupe intergouvernemental d’action de lutte contre le blanchiment de capitaux. Il s’agira pour les autorités ivoiriennes de mieux comprendre des risques de blanchiment de capitaux, de veiller à la mise en œuvre des mesures préventives prévues en réponse aux risques de blanchiment de capitaux jugés prioritaires, y compris les risques liés à la corruption. Au regard de la loi n°2016-992 du 14 novembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme, en son article 113, les personnes physiques reconnues coupables de blanchiment de capitaux ou d’actes de complicité connexes à cette infraction sont passibles de trois à sept ans d’emprisonnement et d’une amende dont le montant est égal au triple de la valeur des biens ou des fonds blanchis à titre de peine principale.

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