En 2021, selon les Douanes ivoiriennes, le marché ivoirien de consommation en produits pétroliers a été dominé par le gasoil avec 51,92% de la consommation totale, suivi du super carburant avec 46,30 %. Le tout pour une consommation nationale de 2.769.661 m3 de carburant. Ces deux produits font aujourd’hui l’objet de trafic illégal qui nourrit un marché noir.
Falsification de certificat de jaugeage, changement brusque d’itinéraire sont entre autres méthodes utilisées par certains conducteurs de camions- citernes pour voler du carburant aux entreprises de distribution de produits pétroliers appelés marketeurs. À en croire le directeur marketing de Sara Petroleum, Touré Abdramane, l’un de ses chauffeurs de camion-citeme se sucrait sur le dos de l’entreprise en falsifiant le certificat de jaugeage: *Pour attester de la quantité de carburant contenue dans le camion-citerne après l’avoir approvisionné, il y a un certificat de jaugeage que délivre la société de gestion des stocks pétroliers de Côte d’Ivoire (Gestoci) ». Selon notre interlocuteur, ce chauffeur de camion-citerne remplaçait le bon certificat que lui remettait la Gestoci par un faux qu’il présentait aussi bien aux stations qu’il approvisionnait qu’à ses employeurs. Avec ce procédé, il arrivait à détourner d’importantes quantités de carburant. C’est après avoir multiplié des contrôles et des auditions que ce chauffeur a été épinglé. Ceux qui passent entre les mailles du filet alimentent ainsi le réseau de la contrebande.
Des camions-citernes aux bidons de vingt litres
T.B, chauffeur de camion-citerne, connaît bien cette méthode. Il exerce cette profession depuis bientôt dix ans. Selon lui, la méthode la plus courante est celle du changement brusque d’itinéraire. Tout se passe sur le chemin qui relie la Gestoci aux stations à ravitailler. Il confirme que certains chauffeurs trouvent le moyen de soustraire des quantités de carburant du camion- citerne en empruntant des voies détournées. <<ll y a des endroits précis où le dispositif pour extraire le carburant est déjà installé. A l’en croire, ces quantités de carburant sont recueillies dans des bidons pour être revendues à des prix variant entre 400 francs et 500 francs le litre pour de l’essence vendue à 875 francs dans les stations d’essence et 300 francs à 400 francs pour le gasoil qui est vendu à la pompe à 675 FCFA. Ces lieux de trafic sont devenus de vrais points de ravitaillement qui vivent des nombreuses complicités.
Du surplus nuitamment emporté vers les points de ravitaillement
Une étude menée en 2022 par trois enseignants -Seka Fernand AYENON, Irène KASSI-DJODJO, de l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, fait le même constat. Selon cette étude, le carburant provenant des terminaux pétroliers de la Sir et de la Gestoci, est l’objet de trafic de la part de quelques agents des sociétés de stockage en complicité avec des conducteurs des camions-citernes. Toujours selon cette étude, après avoir rempli les citernes au-delà de sa capacité normale, le surplus est nuitamment dépoté chez des complices. Le carburant (essence ou gasoil) issu de ce trafic sera transporté dans les bidons de 20 litres par toute sorte d’engins pour atterrir au marché noir ». Le district d’Abidjan représentant la plus forte zone de consommation de carburant avec 40,69 % en 2021, selon la Direction générale des hydrocarbures, les contrebandiers trouvent forcément preneur.
Un autre chauffeur de camion-citerne exerçant pour un important groupe de la place, nous fait savoir que plusieurs endroits à Vridi, Marcory et Koumassi sont connus pour vendre clandestinement du carburant aux automobilistes *initiés»,
Des garages-auto, lieux de ravitaillement
Pour vérifier ces informations, nous nous sommes rendu à Vridi, ce mercredi 20 novembre 2024. Il est 13h45. A quelques encablures de la Gestoci, on n’y voit que les camions-citernes. Plus d’une centaine stationnés sur plus de deux kilomètres, qui attend d’être servis par la société de gestion de stocks. « Tu vois ce camion-citerne dans ce garage-auto? Le chauffeur est en train d’extraire du carburant », nous chuchote notre pisteur. Dans cet enchevêtrement de camions-citernes, le prétexte d’un dépannage est la trouvaille de certains routiers complices du trafic dont les acteurs, traqués par les forces de l’ordre, changent constamment de lieu de ravitaillement. Opérant derrière une station bien connue dans la zone il y a peu, les trafiquants se sont installés désormais derrière la Gestoci.
Dans la commune de Koumassi, les revendeurs de carburant sont pour la plupart des vulgarisateurs. Pour avoir fait le tour d’une dizaine, un vulgarisateur sur trois propose du carburant en vente. A l’intérieur du pays, les trafiquants sont tout aussi téméraires que ceux d’Abidjan.
La zone frontalière Nord touchée par le phénomène
Quarante mille litres de carburant issus du trafic illégal passeraient de la Côte d’Ivoire de l’autre côté des frontières, pour une valeur de plus de 24 millions par semaine, soit 96 millions de francs FCFA le mois, pour 160.000 litres de carburant qui transitent par la localité de Minignan. C’est une enquête menée par un réseau des journalistes d’investigation du Nord de la Côte d’Ivoire (REJIN- CI), financée par l’USAID et publiée il y a quatre mois sur www.eburnietoday.com qui a révélé l’ampleur de ce trafic dans le Folon. Dans cette localité, de nombreux jeunes en ont fait leur activité principale. Selon cette enquête, ce carburant vient des stations d’essence qui remplissent sans arrêt les bidons de 20 litres de gasoil et d’essence. Une fois la nuit tombée, les contrebandiers entassent ces bidons dans des tricycles avant de passer la frontière en empruntant des pistes. La marge de leur bénéfice: 215 francs CFA par litre.
S’il est difficile de s’appuyer sur des chiffres précis, on peut tout de même affirmer qu’au regard de l’ampleur du trafic de carburant, les pertes en terme fiscal sont considérables pour les finances publiques. L’État a accordé une subvention d’environ 700 milliards de FCFA, depuis le début de l’année 2022, sur le carburant, dans une volonté de mitiger la flambée du cours mondial du baril et son impact sur le pouvoir d’achat de la population.
Au-delà de ces efforts consentis, l’État mène une riposte face au trafic de carburant.
230.000 litres de gasoil saisis dans un entrepôt
C’est l’une des plus grosses prises dans le cadre de la répression contre le trafic de carburant de ces deux dernières années. 200.000 litres de gasoil, à savoir 180.000 litres dans quatre cuves et 20.000 litres dans un camion-citerne, ont été découverts dans un entrepôt dans le quartier Marcory Aliodan Sans Fil, le 1er avril 2022. Les agents de l’Unité Mobile d’Intervention Rapide (UMIR) des Douanes ivoiriennes y avaient découvert quatre cuves et un dispositif de pompage. Cette saisie confirme ainsi les informations que nous avait notre source. À la frontière ivoiro-ghanéenne, ce sont plus de 30 000 litres de gasoil qui ont été saisis du 27 au 28 juillet 2022. Il est pertinent de rappeler que la Loi n°92-469 du 30 juillet 1992 sur la répression des fraudes en matière de produits pétroliers et des violations aux prescriptions techniques de sécurité punit d’un emprisonnement de quinze jours à un an et d’une amende de 100.000 à 500.000 FCFA, toute personne n’ayant pas soumis l’importation, l’exportation, la transformation, le stockage, le transport et la distribution des produits pétroliers à autorisation préalable.
Des mesures pour endiguer le mal
L’une des mesures qui constituent une bouffée d’oxygène pour le secteur des marketeurs mises en place par la Direction des hydrocarbures, c’est bien la localisation GPS de tous les camions-citernes. « Cela permet de vérifier en temps réel l’itinéraire du chauffeur. Dès qu’il emprunte une autre voie, il est tout de suite sommé de se justifier », nous apprend le directeur marketing de Sara Petroleum. Par ailleurs, toujours selon M. TOURÉ, les routiers n’ont plus la permission de rouler après 18 heures, notamment pour aller servir les quelques 1234 stations-services que compte le pays. L’autre mesure, pour contrer les velléités de trafic sur le carburant, est l’installation de plomb sur les vannes des camions-citernes.