En 2022, sur une population totale de 26,7 millions d’habitants (INSEE), le taux d’Ivoiriens ayant souscrit une assurance se situe entre 10% et 12 %. Pourquoi donc la population ivoirienne reste très peu couverte par une assurance ? Comment expliquer le fait que les Ivoiriens semblent fuir les assurances ?
Selon un rapport de 2021 relatif aux chiffres du marché de l’Association des Sociétés d’Assurance de Côte d’Ivoire (ASA –CI) que Le Tamtam Parleur a pu se procurer, une quarantaine de sociétés d’assurance exercent en Côte d’Ivoire. Ces sociétés représentent 1,6 % du PIB, selon la Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI). Les taux de pénétration -dans les pays de l’espace CEDEAO- se situent en général entre 2,5% et 3% contre 4% dans toute Afrique. La Côte d’Ivoire fait cependant partie des pays où la pénétration des assurances demeure faible. Il faut préciser que deux types d’assurance sont proposés au grand public par les assureurs. D’une part, l’assurance non-vie comportant les branches que sont « automobile », « accidents corporels et maladie », « incendie et autres dommages aux biens » et « transports ». D’autre part, l’assurance-vie dont les branches sont « épargne et capitalisation», « grande branche » (comprenant entre autres les assurances individuelles, contrats en cas de vie, contrats en cas de décès et contrats mixtes) et enfin la branche « collective ». De manière générale, les produits d’assurance comme ceux des assurances individuelles dépendent du bon vouloir des citoyens qui peuvent décider de s’assurer ou non.
Ces raisons qui poussent à fuir les assurances
Malgré un vaste marché national de près de 30 millions de personnes et un secteur des assurances très dynamique, la grande majorité des Ivoiriens ne s’assurent pas. Les raisons sont nombreuses et variées, mais la responsabilité est partagée entre les citoyens et les assureurs eux-mêmes.
Pour un cadre d’assurance qui a requis l’anonymat, parmi les raisons au désintérêt, il y a la méconnaissance des produits d’assurance et le manque d’une culture d’assurance. Les citoyens ne voient pas l’intérêt de s’assurer parce qu’ils ignorent que l’assurance est une solution pour leur problème futur, explique-t-il. Mais notre cadre relève aussi que les assureurs font peu de communication pour expliquer aux populations leurs produits, les risques auxquels ces populations sont confrontées chaque jour et la solution que l’assurance leur offre en cas de survenance d’un sinistre. À côté de ce fait, il y a aussi des raisons plutôt sociologiques, liées à la persistance de certains mécanismes traditionnels ou informels qui ont toujours pignon sur rue dans la communauté. C’est le cas des associations de solidarité et d’entraide, dont notamment les tontines. Une autre raison importante est l’absence de contrainte sur le plan législatif. En effet, aucun texte n’oblige l’Ivoirien à souscrire une assurance, sauf pour certaines assurances spécifiques.
Les personnes à faibles revenus exclues
Plusieurs Ivoiriens estiment que leur survie au quotidien passe avant l’assurance, qui apparait dès lors comme superflue. Beaucoup invoquent la vie chère et préfèrent consacrer leurs ressources aux dépenses existentielles : loyer, nourriture, eau, électricité, transport, etc. M. Aka A.T Narcisse, professeur de lycée à Angré, affirme qu’il n’est pas assuré parce que les coûts des primes d’assurance sont trop élevés, comparés à ses revenus. Il nous confie avoir reçu une offre d’assurance-santé d’une compagnie de la place dont la prime coûtait plus de 350 000 F.CFA/an, donnant droit à une prise en charge de 70% des frais de santé dans une clinique. Un agent commercial d’une compagnie d’assurance que nous avons rencontré, nuance cette question de la cherté des primes : « notre société propose des produits à la portée des démunis ». La prime pour une assurance-accident coûte 30.000/ l’an et permet de bénéficier des frais médicaux de 200 000 FCFA, d’une indemnité décès de 4 000 000 FCFA ainsi qu’une indemnité en cas d’invalidité permanente de 4 000 000 FCFA, précise-t-il.
M. Zika Djodjo, Cadre d’assurance et Collaborateur externe du Programme Impact Insurance de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), interrogé par Le Tamtam Parleur, pense que l’Etat devrait inciter les sociétés d’assurance à prendre en charge les personnes à faible revenu. Selon l’expert, l’Etat pourrait trouver des mécanismes de soutien tels que des exonérations fiscales ou la subvention, etc. D’après M. Zika, les compagnies d’assurance sont à la recherche du profit en tant que privées. Celles-ci hésitent donc à aller vers cette catégorie de la population à faible revenu, parce que la rentabilité à ce niveau n’est pas immédiate. Conséquence, les sociétés d’assurance n’investissent pas dans la micro-assurance et ne font pas des offres pour cette catégorie. Par ailleurs, selon toujours cet expert, les compagnies d’assurance manquent de personnel qualifié à même de concevoir des produits innovants qui correspondent à cette population à faible revenu. Il ajoute que ce problème de compétences se pose dans les sociétés d’assurance comme au niveau des organes de régulation du secteur.
Les agriculteurs difficiles à assurer
Estimé à un million d’âmes, les producteurs agricoles sont réputés être de mauvais payeurs, aux yeux des sociétés d’assurance comme des institutions de microfinance. Cette méfiance repousse les assureurs. Mais, dans ce domaine, il se pose surtout -pour les assureurs- des difficultés à mieux appréhender le sinistre dans le secteur agricole. Le processus est rendu long et complexe par les multiples expertises à réaliser. Toute chose qui finit par renchérir le coût de la prime qui devient onéreux pour les revenus des producteurs. Face à cette situation, il y a un nouveau produit qui a été développé pour assurer les agriculteurs dénommé Assurance Agricole Indicielle, basée sur des indices. Pour l’illustrer, on pourrait considérer le niveau d’eau de pluie qui devrait tomber dans une zone donnée. Si à la période indiquée cette quantité d’eau n’est pas obtenue, on estime qu’il y a eu sinistre et une indemnisation est faite automatiquement à l’assuré. L’Assurance Agricole Indicielle sera subventionnée à hauteur de 50% par l’Etat, rendant ainsi le coût de la prime supportable par les agriculteurs.
Retombées économiques des assurances
Selon le rapport d’activités du marché ivoirien des assurances (2019) de la Direction des Assurances du ministère de l’Economie et des Finances, environ 3554 personnes sont employées par les sociétés d’assurance avec une masse salariale annuelle équivalant à 24,55 milliards FCFA.
D’après le site du ministère de l’Economie, du Plan et du Développement, la quarantaine de sociétés d’assurance a réalisé un chiffre d’affaires de 526,035 milliards FCFA en 2022, représentant les primes payées par les souscripteurs. Le coût global des indemnisations s’est élevé à 325,348 milliards FCFA, la même année. La majorité des prestations concerne des assurés dans les branches santé, automobile et assurance-vie. Par ailleurs, pour l’année 2021, le secteur des assurances a apporté à l’Etat environ 46,5 milliards FCFA d’impôts.
Les acteurs clés du secteur assurance
Les compagnies d’assurances sont réglementées à travers le Code des assurances des États membres de la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances (CIMA). Et, l’activité d’assurance est soumise à la détention d’un agrément du ministre de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire. En 2019, sur les 34 entreprises ivoiriennes d’assurance, on comptait 12 dans l’assurance vie (santé, accident, incendie,etc.) et 22 dans l’assurance non-vie (automobile, transports, banques, etc.). On dénombrait également 11 sociétés de réassurance sur le marché ivoirien la même année dont 02 réassureurs locaux, 02 bureaux régionaux de réassureurs communautaires et 07 bureaux de sociétés étrangères de réassurance. On trouve aussi des intermédiaires que sont : les courtiers, les agents généraux, les agents mandataires, les agents de banque et établissements financiers.