Selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la pollution atmosphérique en Côte d’Ivoire a entraîné 34 000 décès prématurés, dont celui de 8 000 enfants, pour la seule année 2016. Parmi les entreprises responsables de la pollution atmosphérique, plusieurs usines industrielles sont dans le viseur de l’État.
« Les 168 entreprises installées dans la nouvelle zone industrielle de PK 24 produisent des gaz dangereux pour la santé humaine et/ou pour l’environnement ». C’est ce qui ressort de l’étude menée et publiée en 2024 par les universitaires Patrick Hermann Absous et Bêbê Kambiré sur les effets environnementaux des émissions atmosphériques industrielles.
Selon cette étude, dans la nouvelle zone industrielle d’Akoupé-Zeudi PK24, la pollution de l’air est au-delà des normes requises. Les envolées de poussières sont observées, lors de la manipulation des produits pulvérulents (farine, ciment, engrais, aliments de volaille) ou pendant la circulation des véhicules et engins, notamment sur les voies non bitumées.
Sur le paramètre particules de diamètre inférieur à 2,5 microns (PM 2,5), la valeur moyenne est de 885,27 µg/m³, là où la norme est de 25 µg/m³, soit ce qui équivaut à 35 fois le seuil admis. Quant aux particules de diamètre inférieur à 10 microns, l’étude déduit une moyenne générale de 4982,42 µg/m³, soit 100 fois la valeur limite qui est de 50 µg/m³. Au regard des dépassements des valeurs limites observés dans la matrice air, l’étude conclut que le niveau d’émission atmosphérique lié aux activités industrielles est assez élevé dans cette zone industrielle.
L’enquête révèle encore que deux types de contaminants atmosphériques industriels ont été identifiés dans la zone : les gaz et les poussières. Généralement assimilés à la fumée et aux odeurs, les gaz proviennent des véhicules, engins, groupes électrogènes, chaudières, procédés de production, brûlage des déchets. Ils sont constitués de dioxyde de carbone (CO₂), de monoxyde de carbone (CO), de composés organiques volatils (COV), de dioxyde d’azote (NO₂), de monoxyde d’azote (NO) et de dioxyde de soufre (SO₂).
Des nuisances ressenties par les populations
À en croire cette étude, après les bruits (37,2 %), les émissions de poussières représentent la principale nuisance ressentie par les habitants de la zone (33,7 %). Les fumées et odeurs occupent une proportion d’environ 12 % pour chacune de ces nuisances. À l’inverse, les gaz toxiques sont très peu ressentis (4,9 %). Ces nuisances exposent les populations environnantes à de nombreux risques de maladies, notamment les affections respiratoires.
Les enquêtes ont révélé que les maladies respiratoires (asthme, grippes, pneumonie, etc.) couvrent environ 10 % des cas de maladies récurrentes dans la zone et seraient principalement dues aux rejets atmosphériques issus des unités industrielles.
L’étude, menée dans cet espace de 5 500 hectares qui abrite la zone industrielle, révèle aussi que, pour la gestion des polluants atmosphériques, les entreprises industrielles utilisent différents moyens de canalisation ou de dispersion des rejets atmosphériques.
Les gaz sont rejetés dans l’air à travers des cheminées (équipements industriels et chaudières) ou des tuyaux d’échappement (véhicules, engins, groupes électrogènes). Si toutes les entreprises émettrices de fumées industrielles disposent de cheminées, certaines sont sous-dimensionnées ou défectueuses, laissant échapper des polluants sur les sites et dans les environs.
La zone industrielle de San-Pedro n’est pas en reste
D’autres études menées en 2022 par les enseignants-chercheurs Bazoumana Diarrassouba et Atsé Calvin Yapi de l’université Alassane Ouattara de Bouaké ont révélé que la pollution atmosphérique dans les zones industrielles de San-Pedro est bien réelle, autant que celle de PK 24 à Akoupé-Zeudji.
Selon ces inspections, les zones industrielles nord et de Sotref de la ville sont les plus grands foyers de pollution atmosphérique. Cela s’explique par le fait que ces zones renferment des industries de transformation telles que ITB, OLAM ou encore SUCSO qui sont productrices de fumées.
Alors que les zones industrielles sud (zone portuaire) et nord (Bardot Séwéké) sont moins polluantes, car elles regorgent peu d’industries de transformation.
Ces recherches universitaires ont montré qu’il a existé très peu d’installations de traitement des déchets dangereux industriels. Et pourtant, les industries ont produit en moyenne 600 000 kg de déchets dangereux solides par an. De janvier à juin 2022, les industries en ont produit 371 027 kg.
Toujours selon cette étude, sur un total de 60 industries, 12, soit 20 % d’entre elles, ont une gestion rationnelle des déchets contre 48 (80 %), qui ont une gestion non rationnelle.
Les conséquences de la pollution atmosphérique sont pourtant visibles. Cette étude explique qu’au quartier zone industrielle de San-Pedro, les infections respiratoires ont été importantes avec un taux de 50% de cas chez les enquêtés.

Le ministère ferme Shibafric et met en demeure
Le vendredi 10 janvier 2025, le ministère de l’Environnement, du développement durable et de la transition écologique a procédé à la fermeture de l’entreprise Shibafric, spécialisée dans le fumage de poisson. Cet arrêté de fermeture était l’aboutissement d’une plainte des riverains qui n’en pouvaient plus de subir des « nuisances olfactives et environnementales ».
Si aujourd’hui l’entreprise a rouvert ses portes après avoir observé les strictes recommandations du ministère, selon le directeur de la communication du Centre ivoirien anti-pollution (Ciapol), certains habitants de Moossou, à Grand-Bassam, sont inquiets. C’est le cas de K. Robert, agent de sécurité dans un hôtel de la ville : « Je suis inquiet de la réouverture de cette entreprise parce que nous avons vécu le calvaire avec le fumage de poisson ».
Malick T., professeur dans un lycée privé de la ville balnéaire, espère ne plus inhaler les odeurs étouffantes de l’usine qui l’ont obligé à des séjours à l’hôpital.
Trois mois après la décision de fermeture de Shibafric, le ministre Assahoré Konan Jacques a haussé une fois de plus le ton. Dans un communiqué datant du 3 avril 2025, dont Le Tamtam Parleur a reçu copie, il constate que des unités industrielles se sont installées et exercent sur le territoire national sans se conformer aux normes environnementales en vigueur, causant d’importants dégâts sur l’environnement humain et naturel. À cet effet, le ministre a mis en demeure ces entreprises pour qu’elles se conforment aux dispositions du code environnemental.
Rappelons qu’en 2021, les entreprises S.I Béton et Abeille Béton, situées sur l’autoroute du nord, au niveau de la forêt du Banco, avaient reçu des mises en demeure du ministre de l’Environnement. Quatre années après, rien ne semble avoir changé. La poussière blanchâtre émanant de la production du béton est toujours visible sur les lieux.

Réduire son taux d’émission de gaz à effet de serre de 30,41 % en 2030
La pollution de l’air est l’une des causes du changement climatique. Le gouvernement ivoirien, qui veut réduire son taux d’émission de gaz à effet de serre de 30,41 % en 2030, a pris 27 mesures dans le cadre des contributions déterminées au niveau national (CDN) pour apporter des réponses durables face au phénomène du changement climatique.
La Côte d’Ivoire s’est dotée de la loi n° 2023-900 du 23 novembre 2023 portant code de l’environnement qui, en son article 235, stipule : « Est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 200.000 à 100.000.000 francs, toute personne qui se rend coupable d’altération de l’air ».
Selon le NDC Partnership, une coalition internationale de 90 pays créée pour aider les pays en développement à atteindre leurs objectifs climatiques, en Côte d’Ivoire, 24 millions de personnes sont régulièrement exposées à des niveaux de pollution atmosphérique qui dépassent les normes définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).