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vendredi 13 juin 2025
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Pêche en Côte d’Ivoire : Qui contrôle le secteur ?

La Côte d’Ivoire est le deuxième pays exportateur de thon dans le monde, après le Japon. Avec un volume de 270 000 tonnes exportées par an, l’activité de la pêche dans le pays est marquée par la présence de compagnies européennes et asiatiques disposant d’une logistique plus importante.

« En Côte d’Ivoire, les compagnies de pêche les plus importantes et puissantes sont européennes. Elles sont représentées dans le pays par des consignataires tels que SCM-CI, SUPERMARITIME, CMB/CFTO et CMNPCI. Elles détiennent plus de 40 navires », fait observer le lieutenant Barthélémy Yao Kouassi de la section Afrique, à la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF pour International Transport Federation).

Un membre d’Interpêche Côte d’Ivoire, la faîtière interprofessionnelle du secteur, ajoute à la liste des compagnies européennes influentes de la pêche industrielle en Côte d’Ivoire des opérateurs espagnols comme ALBACORA, CALVO, ATUNSA et PEVASA. Il révèle des informations tirées d’un document des douanes sur la capacité d’approvisionnement de ces opérateurs maritimes.

Selon ce document, dans l’exercice 2020 à 2023, au Port de pêche d’Abidjan, le tonnage général du faux thon s’élevait à 640 314 799 tonnes sur les trois années. Les opérateurs les plus importants, du plus grand au plus petit, sont CMNP-CI, SUMA-CI et SUPERMARITIME et SHIPPING INTERNATIONAL AGENCY. Ils produisent, du plus grand au plus petit, de 133 581 677 t pour le premier opérateur (soit 20,86 %) à 34 122 787 t pour le dernier opérateur (soit 5,33 %).

Notre informateur explique que le faux thon est du poisson de moins bonne qualité. En général, il est le fruit de la pêche faite par les compagnies étrangères dans les océans Pacifique et Indien, qui sont blessés ou écrasés, et que les usines rejettent, après un triage à bord de l’embarcation. Ce poisson est reversé sur le marché local ivoirien, sous l’appellation de faux thon.

Pour ce qui est de la quantité journalière produite par ces compagnies, ce membre des instances d’Interpêche explique la difficulté éprouvée à recueillir des données quotidiennement. « Aujourd’hui, mercredi, 4 juin 2025 à 10h, quatre navires asiatiques sont au quai en train de débarquer leurs cargaisons. Ces bateaux ont chacun une capacité de 500 à 1000 t », indique-t-il.

Il explique que, dans le même temps, ce sont deux navires européens qui sont en plein débarquement. Il fait savoir qu’en général, pour un navire appartenant à une compagnie européenne, avec une capacité de 3 000 t, le débarquement peut s’étendre sur plusieurs jours, voire une semaine. Ce type de navire peut mouiller dans la lagune et rembarquer le produit de sa pêche dans des cargos de grande capacité de chargement à destination de pays occidentaux ou asiatiques.

Le président de la section pêche pour l’Afrique à la Fédération internationale des ouvriers de Transport (IFT), Barthélémy Yao Kouassi, relève également la présence de quelques thoniers dans les eaux ivoiriennes. Ces navires, selon ses précisions, sont gérés par des Coréens. « Ce sont des navires difficilement identifiables et battant des pavillons de complaisance », révèle l’officier de la marine marchande.

Le quasi-monopole des grandes compagnies de pêche

Les navires européens opèrent principalement dans la pêche industrielle thonière, un des trois sous-secteurs de la filière pêche locale. La pêche industrielle thonière est pratiquée par des thoniers senneurs européens, notamment français et espagnols, disposant d’une importante logistique et de moyens financiers conséquents.

Opérant dans le cadre des accords de pêche entre l’Union européenne et la Côte d’Ivoire, ils agissent en toute légalité, en dépit de grincements de dents observés chez certains syndicalistes dénonçant leur quasi-monopole dans le domaine de la pêche industrielle thonière.

Ce n’est pas le cas dans le deuxième sous-secteur de la filière qui est la pêche semi-industrielle pratiquée par des compagnies avec des capitaux chinois, croit savoir le président de la section pêche pour l’Afrique à l’ITF. Barthélémy Yao Kouassi assure que les acteurs de ce sous-secteur sont équipés de sardiniers et de chalutiers de fond. Cette dernière catégorie de navires est munie d’un chalut, filet en forme d’entonnoir qui est trainé par des câbles d’acier, nuisible à l’écosystème des mers et des océans.


Le thonier senneur est un bateau souvent utilisé par les compagnies de pêche européennes./Photo-DR

Dans la filière semi-industrielle subsiste un mal endémique. Barthélémy Yao Kouassi pose son diagnostic : « Le véritable fléau en Côte d’Ivoire, dans le secteur de la pêche, demeure certes la concurrence déloyale par les navires chinois, mais surtout la pêche Illicite, Non déclarée et Non réglementée (pêche INN ou pêche illégale) pratiquée par des navires clandestins ».

Notre interlocuteur renchérit en citant dans la catégorie de la pêche semi-industrielle des compagnies asiatiques connues comme PANOFI, AFRICA STAR FISHERIES et autres.

La pêche artisanale est prise au filet des prédateurs

Le troisième sous-secteur de la filière est la pêche artisanale pratiquée en majorité par des ressortissants ghanéens, togolais, maliens et libériens, avec de grandes pirogues équipées de moteurs hors-bord. Cette pêche est maritime et lagunaire.

Esso Koffi Kotoko revendique un regroupement de pêcheurs à Vridi Ako, dans la commune de Port-Bouët. Cet homme de 43 ans affirme qu’il pratique la pêche depuis une trentaine d’années. Il a appris ce métier auprès de son père et il est propriétaire de cinq grandes pirogues à moteur. Il dénonce la pénurie de poisson dans les eaux maritimes, depuis une vingtaine d’années.

« À partir du mois d’août, nous pêchons de la sardine, mais à partir de mars, c’est la période du poisson thon. Autrefois, nous rentrions de la pêche avec une quantité de poisson qui faisait 80 à 100 cuvettes », se souvient-il. Depuis quelques années, il peine à réaliser une trentaine de cuvettes de poisson. Le pêcheur désillusionné pointe un doigt accusateur en direction des navires de pêche asiatiques qui, selon lui, draguent le fond marin, au mépris de la réglementation en vigueur.

Il confesse cependant qu’eux-mêmes ne respectent pas toujours la réglementation, puisqu’ils utilisent des explosifs et des filets peu conventionnels.

Selon Ibrahima Cissé, responsable de campagne Océan à Greenpeace Afrique, basé à Dakar, le phénomène de l’envahissement des côtes ouest-africaines par la « vague jaune » est une réalité. « Tous les pays disposent de service de contrôle chargé de surveillance. Ils ont quelques vedettes. Mais il faudra beaucoup plus de moyens pour une harmonisation des sanctions et une réglementation au niveau sous-régional », fait observer Ibrahim Cissé, cité par un confrère.


Les acteurs de la pêche artisanale utilisent des grandes pirogues à moteur./Photo-DR

Achille Kpatouma, acteur de la filière pêche exerçant dans le privé, plaide pour que l’État fonde sa stratégie de développement de l’« économie bleue » sur des données statistiques fiables. « Est-ce que la Direction de la pêche dispose à ce jour d’un fichier contenant le nom des villages où l’on pratique la pêche en Côte d’Ivoire et d’un relevé d’identification de tous les pêcheurs ? », s’interroge-t-il.

Une esquisse de solutions pour redynamiser la filière

L’expert, par ailleurs président de SCEAD-CI SCOOPS, (une société coopérative du secteur agricole et halieutique), penche pour une identification exhaustive des pêcheurs résidant dans les villages de pêche et pour l’équipement de ces villages avec des balances pour une bonne maîtrise statistique de la quantité de poisson pêchée sur le territoire national.

Dans la même optique, le lieutenant Kouassi identifie un éventail de problèmes que créent des acteurs du sous-secteur pêche semi-industriel : le manque de traçabilité au niveau des activités comme la non-identification du lieu de pêche ; le défaut de documents délivrés par les autorités en charge de la pêche ; l’absence de statistiques du fait de l’INN, la prise d’alevins et la pêche dans les zones interdites.

Malgré toutes nos démarches auprès de la Direction de la communication du ministère de la pêche, il n’a malheureusement pas été possible de faire réagir les autorités.

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