La Côte d’Ivoire comptait 15,6 millions d’hectares de forêts dans les années 1880. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 2,9 millions à cause de la déforestation. Selon des chiffres récents, entre 17 000 et 20 000 ha sont détruits par an. Ce qui a pour conséquence une chute des exportations de bois en grumes et d’énormes pertes économiques pour le pays. De 2023 à 2024, les recettes du bois sont passées de 3,6 milliards à 0,4 milliard, soit une baisse de 90,8 %, selon l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD). Comment l’État ivoirien réagit-il face à la déforestation ?
Interrogé par Le Tamtam Parleur, l’expert environnementaliste, Dr Durant Oboué, mentionne qu’en 2018, le gouvernement a mis en place la stratégie de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts (SPREF). Il précise qu’à travers cette stratégie, l’État ivoirien envisage de reforester 20 % du territoire national à l’horizon 2030. L’initiative est financée à 100 milliards de FCFA par la Banque européenne d’investissement (koaci.com et servicepublic.gouv.ci).
Il faut aussi dire que l’utilisation des crédits carbone fait partie des solutions envisagées. L’un des projets phares est celui dénommé « Karidja », qui prévoit la reforestation de 100 000 hectares dans la forêt classée du Haut-Sassandra. Ledit projet est financé essentiellement par la vente de crédits carbone ; et devrait permettre d’éliminer environ un million de tonnes de CO₂ par an sur une période de huit années (Lemonde.fr).
Selon les experts, l’arbre à travers son tronc, ses feuilles et branches, capture des quantités de dioxyde de carbone en circulation dans la nature et en retour émet de l’oxygène. Ces quantités de CO₂ retirées sont payées par tonne, soit environ 5 dollars (3000 francs CFA) la tonne. C’est le cas de ce projet exécuté par la Côte d’Ivoire dénommé projet de paiement des réductions d’émissions (PRE) financé à 500 millions FCFA en 2024 par le Fonds mondial de l’environnement et la Banque mondiale.
La Société de développement des forêts (Sodefor), qui bénéficie de ce projet, pour 2025, a planté 1500 ha de forêts avec au moins entre 1111 et 1600 pieds l’hectare dans les localités de Bouaflé, Sangoué, Mopri et Séguié selon son service de communication.
En outre, le gouvernement a opté pour la transformation locale et la diversification industrielle par la promotion de la transformation du bois afin d’ajouter de la valeur aux produits forestiers, de réduire la dépendance aux exportations brutes et de créer des emplois dans le secteur industriel. Sans oublier le développement de produits forestiers durables par des initiatives impliquant les communautés locales, les entreprises et les organisations de la société civile (koaci.com).
Il est aussi question du renforcement de la gouvernance et de la traçabilité. Dans ce sens, la Côte d’Ivoire a signé un accord dénommé « accord de partenariat volontaire » avec l’Union européenne pour améliorer la traçabilité du bois ivoirien et de ses produits dérivés. Ce qui permettrait de lutter contre l’exploitation illégale des forêts et de sauvegarder la biodiversité.
Le souci de traçabilité a, en outre, conduit à l’instauration du système national de vérification de la légalité conforme au règlement européen sur la déforestation (RDUE), selon des informations disponibles sur koaci.com.
Et, l’État ivoirien a aussi mis en œuvre des programmes tels que « Une école, 5 hectares de forêt » et « Un village, 5 hectares de forêt » afin d’impliquer les communautés locales dans la reforestation et la gestion durable des ressources forestières (servicepublic.gouv.ci) ; tout en associant des partenaires techniques et financiers.
Des mesures draconiennes sur le bois
Des mesures conservatoires sont intervenues à partir de 1995. Il s’agit du décret n° 95-682 du 6 septembre 1995, entré en vigueur à partir de 1997, qui interdit l’exportation des bois bruts équarris et en plots, exception faite des bois issus des plantations. Aussi, les exploitants forestiers étaient contraints de reboiser des superficies proportionnelles aux volumes exploités à raison d’un ha pour 250 m³ exploités en zone forestière et d’un ha pour 150 m³ exploités en zone préforestière.
Il y a eu également l’incitation des entreprises à une transformation plus poussée du bois au moyen de quotas imposés à l’exportation sur les sciages verts dès 1998.
Quant à la gestion et au développement forestier de l’État, notamment des forêts classées, des parcs et des réserves, la Société de développement des forêts a été créée en septembre 1966.
Le Tamtam Parleur s’est entretenu, le 11 juin 2025, avec Dr Alain Bley Bitignon, responsable du service de communication de la Sodefor. Il résume la mission de sa structure à deux composantes clés, à savoir : la réhabilitation et l’extension des forêts. Il a confié que ladite société a réalisé 245 000 ha de reboisement, de 1966 à 2024, dont 72 000 ha en agroforestier, à raison de 208 plants à l’hectare. « La Sodefor vise un objectif de 60 000 ha pour l’année 2025 et un objectif global de 300 000 ha à l’horizon 2025 », explique-t-il.

Par ailleurs, toujours selon Dr Bitignon, la Sodefor conduit trois composantes des cinq du projet d’investissement forestier financé à 148 millions de dollars (83,916 milliards de F CFA) par la Banque mondiale. Il s’agit d’un reboisement intensif (1600 pieds à l’hectare) de 20 000 ha et de 300 000 ha en agro-forestier.
Notons pour finir que l’État a mis un accent particulier sur le ravitaillement des usines locales de transformation de bois. Ainsi donc, après 1995, l’ensemble de ces mesures a produit des effets notables. L’exportation de grumes a fortement chuté, passant à environ 100 000 m³ en 1999 contre plus de 3 000 000 m³ en 1980, avec une tendance toujours à la baisse. Quant à l’exportation des sciages, elle se stabilise autour de 500 000 m³.
Enjeux économiques de la baisse du bois
À la question de savoir comment le pays survit aux pertes de ressources liées à l’économie du bois en déclin, des experts expliquent à Le Tamtam Parleur que les crédits carbone restent l’alternative principale. Coûtant des centaines de milliards (projet Karidja, PRE), les gains financiers en crédits carbone apportent une compensation économique aux pertes induites.
En pratique, en 2024, la Côte d’Ivoire a reçu un paiement de 35 millions de dollars, soit 19,950 milliards F CFA, de la Banque mondiale, à travers le Fonds de Partenariat pour le Carbone Forestier (FPCF). Le pays a réduit de 7 millions de tonnes ses émissions carbone entre octobre 2020 et décembre 2021 pour un objectif de 10 millions de tonnes et 50 millions de dollars à gagner (Communiqué de presse N°2024/083/AFW, Banque mondiale).
Par ailleurs, cette baisse drastique du bois entraîne une perte directe de recettes fiscales et de devises étrangères pour l’État ivoirien, affectant ainsi sa balance commerciale.
Selon l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie, cette situation impacte les industries locales de transformation du bois (127 de sciage, 15 de déroulage, 7 de tranchage et 8 de contre-plaqués) qui emploient autour de 15 000 personnes et génèrent un chiffre d’affaires d’environ 100 milliards de francs CFA.
Les défis de la restauration forestière
L’un des gros défis auquel fait face la stratégie de l’État et qu’affronte la Sodefor reste le phénomène d’infiltration paysanne dans les forêts classées. En effet, l’agriculture extensible est le premier facteur responsable de la déforestation à plus de 72 %, suivie de l’orpaillage, de l’urbanisation et de l’exploitation illégale de la forêt, aux dires de Dr Alain Bley Bitignon.
Ces phénomènes persistent malgré les approches pour les juguler telles que la fiscalité forestière et le reboisement compensatoire (consistant à planter des arbres sur les périmètres détruits).

Les défis touchent aussi la participation des structures privées étrangères dans le processus de la réalisation des projets forestiers. Un responsable de projet forestier nous confie que des structures bénéficient de contrats auprès des bailleurs de fonds, alors qu’elles ne maîtrisent pas le terrain ou peinent à accomplir efficacement leur mission. Ce qui entraînerait des blocages et des retards dans l’exécution desdits projets.