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lundi 20 mai 2024
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Mariages consanguins : Attention, danger !

Pour les généticiens, les enfants issus d’une union consanguine courent le risque d’être atteints de maladies génétiques incurables. C’est le cas de Moustapha, qui décèdera après plusieurs mois de souffrances.   

Quelques mois seulement après sa naissance, la santé de Moustapha a commencé à se dégrader. Une maladie « mystérieuse » qui lui laissera, au fil du temps, des séquelles insurmontables : un retard de croissance et des troubles psychomoteurs. L’enfant décèdera quelques années plus tard. Et ce ne sont pas les deux autres maternités – heureusement sans problèmes – de sa mère Salimata qui lui feront oublier ce qu’elle a vécu avec Moustapha.

C’est à l’hôpital, lors d’une de ses nombreuses visites, qu’une sage-femme, certainement plus expérimentée que les autres, l’avait un jour prise de côté et lui avait demandé s’il existait entre elle et son époux un quelconque lien de parenté. « Si oui, cela pourrait expliquer les ennuis de santé de l’enfant », avait ajouté la sage-femme. Sans plus. Cette remarque, Salimata et son époux Bakari – en fait son cousin germain – ne l’ont jamais vraiment prise aux sérieux. Des histoires comme celle-là, les généticiens en connaissent des centaines. Il s’agit des unions consanguines – ou mariages consanguins – des unions qui ont donné naissance à une grande souffrance que partagent des milliers de femmes comme Salimata.

La consanguinité en cause

« La consanguinité est une relation entre deux personnes qui partagent un ancêtre commun. Ainsi, un mariage consanguin est une union entre deux individus apparentés.  Cette union peut être qualifiée de premier, deuxième ou troisième degré selon le lien de parenté entre les conjoints. Les enfants issus d’une telle reproduction sexuée ont en commun au moins un parent issu de leurs parents biologiques », explique Prof. Coulibaly Founzégué Amadou, Maître de Conférences des Universités du CAMES, Spécialiste en Biochimie, Pharmacologie des substances naturelles et Biologie de la réproduction et Vice-président du Groupe Interafricain d’Etude, de Recherche et d’Application de la Fertilité (GIERAF). Du point de vue biologique – génétique – la descendance d’une union consanguine multiplie par deux le risque d’apparition de caractères récessifs qui seraient masqués chez leurs parents, indique l’homme de science. En effet, explique-t-il, les individus d’une lignée (la famille biologique) partagent en commun un nombre important de gènes comparés à la population en général. Ces gènes, structurés en caractères génétiques peuvent s’exprimer chez l’individu ou non en fonction de son caractère dominant ou récessif. En terme simple, nuance Prof Coulibaly, lors de la conception d’un individu, son patrimoine génétique provient de ses deux parents : une copie ou une moitié apportée par l’ovocyte, donc la mère et l’autre copie ou moitié apportée par le spermatozoïde, donc le père. Ainsi, en dehors de quelques gènes des chromosomes X et Y, respectivement spécifiques à la femme et à l’homme, nous possédons pour chaque gène deux copies constituant les chromosomes. « Et, au cours du développent de l’individu, lorsqu’une copie porte des anomalies, l’autre copie peut s’exprimer, contribuant ainsi au bon développement biologique de l’individu et masquant par conséquent l’anomalie portée par la copie portant la mutation génétique.  Ou alors, lorsque la maladie s’exprime, l’on assiste à une forme bénigne ou moins grave », indique-t-il. Avant d’ajouter : « Cependant, lorsque les deux copies du gène sont mutées, l’individu fait la maladie et parfois les formes graves. Or, lorsqu’une anomalie génétique est présente dans une famille, l’union sexuelle entre membres de cette famille augmente naturellement la fréquence d’apparition de la mutation et par conséquent multiplie le risque pour la descendance de porter l’anomalie génétique. Cette anomalie génétique qui va entraîner une mauvaise expression de la protéine correspondante à l’origine d’une maladie génétique. Cette pathologie peut se présenter sous sa forme grave lorsque les deux copies du gène portent la mutation génétique ».

Chose à savoir, la consanguinité n’est pas un risque pour le couple mais plutôt pour leur progéniture, qui pourrait être atteinte de toutes sortes de maladies génétiques incurables entraînant des handicaps physiques. C’est dire que la consanguinité augmente le risque de malformations cardiaques, cérébrales et induit d’autres maladies génétiques dont les plus fréquentes sont : la mucoviscidose – une maladie génétique qui touche l’appareil respiratoire, l’appareil digestif et l’appareil génital – les maladies génétiques musculaires – l’amyotrophie spinale, myopathie de Duchenne – et des maladies neuro-dégénératives (l’ataxie de Friedreich), l’hémophilie. Les travaux réalisés ces dernières années, indique le scientifique, montrent clairement une incidence plus élevée de maladies non transmissibles telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète, l’insuffisance rénale chronique dans les descendances d‘unions consanguines. A cette liste s’ajoute les maladies oculo-cutanées.

Le cas de la Côte d’Ivoire

Au cours de nos recherches, nous n’avons trouvé aucune documentation disponible ou d’études scientifiques publiées sur les risques biologiques dans les descendances d’unions consanguines en Côte d’Ivoire. Si le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publie chaque année les statistiques d’état civil – incluant celles du mariage – nulle part il ne ressort des chiffres sur les unions consanguines. De même, au ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, des données chiffrées sur cette pratique sont également indisponibles. Malgré ces lacunes, les scientifiques ivoiriens sont cependant bien instruits sur les conséquences génétiques de cette réalité sociale qui est bien ancrée dans certaines aires géographiques du pays, notamment dans le nord-ouest.

D’ailleurs, pour minimiser les risques, des appels sont régulièrement lancés à la population lors des campagnes de luttes contre la drépanocytose, cette affection qui d’après des études, touche 12% de la population. En Côte d’Ivoire, renseigne Prof Coulibaly Founzégué Amadou, les maladies génétiques fréquentes sont les hémoglobinopathies avec en tête la drépanocytose, la maladie génétique la plus répandue dans le monde, avec plus de 50 millions de personnes atteintes. L’on peut ajouter l’albinisme, les malformations congénitales (hydrocéphalie, maladies respiratoires) et les faibles poids de naissance, les avortements spontanés ou fausses couches, les retards psychomoteurs, et mentaux, la schizophrénie, les troubles bipolaires.

Quid de la sensibilisation?

En Côte, dans le cadre de la prévention de la drépanocytose, un bilan biologique est systématiquement demandé en consultation prénatale en vue de prévenir le risque de la maladie et d’organiser sa prise en charge chez le nouveau-né. Cependant, prof Coulibaly conseille aux couples ou aux futures mariés d’ajouter aux nombres des analyses du bilan prénuptial, un conseil génétique surtout s’il y a présence d’anomalies génétiques chez au moins un conjoint ou dans la lignée d’un des conjoints. Comme indiqué précédemment, le mariage entre cousins germains – mariage entre cousins et cousines appelé encore badegnan fourou en malinké – est encore beaucoup observé dans certaines communautés ivoiriennes, en ignorance des conséquences biologiques sur la descendance. Des considérations culturelles, religieuses et socio-économiques encouragent ce type d’union en dépit des conséquences graves que cela peut entraîner sur la vie de la descendance.  « Face à cette réalité sociologique, à défaut d’atteindre l’idéal d’une interdiction de telles unions, la législation devrait être en mesure de prévenir les formes graves en obligeant les futurs mariés à un dépistage systématique avec l’avis d’un conseil génétique avant la célébration de telles mariages. C’est-à-dire, que le dossier de demande en mariage, lorsque le mariage est consanguin doit obligatoirement comporter un avis médical certifiant une descendance apparemment saine », conseille Prof Coulibaly.

Somme toute, la sensibilisation doit être faite en amont, dans les zones rurales beaucoup plus. D’où l’urgence de mettre en place un plan de communication destiné à la population générale et particulièrement rurale ainsi que les professionnels de la santé sur les conséquences de la consanguinité sur les enfants des couples consanguins. Il faut bien prévenir quand on ne peut pas guérir.

Ce que dit la loi

En termes d’obligation, la loi sur le mariage en Côte d’Ivoire interdit des cas de consanguinité. Selon l’article 7 de la loi n° 2019-570 du 26 juin 2019 relative au mariage, est prohibé le mariage entre :en ligne directe, les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne, en ligne collatérale, frère et sœur, oncle et nièce, neveu et tante et entre alliés au degré de beau-frère et belle-sœur,lorsque le mariage qui produisait l’alliance a été dissous par ledivorce ;l’homme et la femme qui l’a nourri au sein ;l’homme et la fille de son ancienne épouse née d’une autre union ;la femme et le fils de son ancien époux né d’une autre union ;l’homme et l’ancienne épouse de ses ascendants en ligne directe et collatérale ; la femme et l’ancien époux de ses ascendantes en ligne directe et collatérale ; l’adoptant et l’adopté ;l’adopté et les enfants de l’adoptant ; l’adopté et le conjoint de l’adoptant et réciproquement entre l’adoptant et le conjoint de l’adopté ; les enfants adoptifs de la même personne. Néanmoins, tempère le législateur, le procureur de la République, saisi par toute personne intéressée, peut lever les prohibitions pour causes graves entre alliés en ligne directe et en ligne collatérale au degré de beau-frère et de belle-sœur, lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée.

M’Bah Aboubakar

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