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dimanche 12 mai 2024
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Prof Djê Bi Tchan Guillaume (Psychologue) : « Pourquoi les jeunes se suicident de plus en plus » 

D’après une étude de l’unité de médecine légale du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Treichville, la Côte d’Ivoire, qui comptabilise en moyenne 23 cas de suicide par an, se trouve au troisième rang des pays où le taux de suicide est le plus élevé en Afrique. Qu’est-ce qui explique cette situation ? Comment réduire ce taux ? Entretien avec Djê Bi Tchan Guillaume, psychologue et maître de conférences en psychologie, à l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody.

La découverte de deux étudiants morts, l’un par noyade et l’autre par pendaison, à l’université Félix Houphouët-Boigny, a relancé le débat sur le suicide en Côte d’Ivoire. Qu’en pensez-vous ?

Pour les cas que vous évoquez, nous n’avons pas encore la preuve que ce sont des suicides. Les enquêtes sont en cours. On a fait l’observation qu’un jeune est mort par noyade et un autre par pendaison. Maintenant, est-ce volontairement qu’ils se sont donné la mort ? La question reste posée en attendant les conclusions des enquêtes.

Avec 23 cas de suicide par an, la Côte d’Ivoire se classe au 3e rang des pays où le taux de suicide est le plus élevé en Afrique, d’après une étude de l’unité de médecine légale du CHU de Treichville. Quelle est votre analyse de ces chiffres ?

Vous indiquez des statistiques que je n’avais pas, personnellement, mais ce que je peux dire dans un premier temps, c’est que le monde devient de plus en plus compliqué pour les être humains et face à certaines situations, il nous faut trouver des ressources. Ce que l’on constate, c’est que les êtres humains n’ont pas la même façon de réagir face aux difficultés. Il y a certains qui sont robustes et résistants, pendant que d’autres ont besoin que l’on les accompagne, soit affectivement, soit socialement, pour faire face aux difficultés. Il y a enfin d’autres dont le niveau de ressources est très faible et qui sont plus exposés aux situations que nous observons ces derniers temps. Ceux qui ont moins de ressources ont besoin que la société se donne les moyens de mettre à leur disposition des structures formelles d’encadrement.

Pourquoi de plus en plus jeunes se suicident-ils aujourd’hui ?

Parce que de plus en plus, on nous demande de résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Si intellectuellement, les jeunes peuvent faire face à certains problèmes, ils évoluent très souvent dans des environnements où ils sont de plus en plus fragiles. Il y a donc un accompagnement émotionnel qu’il faut leur apporter pour qu’ils s’adaptent. Ce qui n’est pas toujours le cas.

Un chercheur soutient que la désintégration de la cellule familiale couplée aux crises de ces dernières années pourrait expliquer cette propension au suicide. Etes-vous de son avis ?

C’est possible. Nous sommes dans le temple du savoir et lorsque vous n’avez pas fait d’observations particulières sur un fait, vous ne pouvez pas vous prononcer. Ce que nous observons d’une façon générale, c’est que la crise a secoué plus d’un dans les différentes familles. Les problèmes peuvent exister et existeront toujours. Ce sont les ressources pour que l’on s’adapte qui peuvent différer d’un individu à l’autre. D’une façon générale, quand on vit des crises comme celles que nous avons connues, il faut mettre en place des structures formelles pour que les gens viennent déposer leurs difficultés, exposer leurs problèmes puis recevoir des conseils. Ça soulage quelque peu. Mais si après tous ces événements, l’on fait comme si émotionnellement tout est devenu normal, c’est  ce qui n’est pas normal. Parce qu’en réalité, tout n’est pas devenu normal.

Y a-t-il des signes avant-coureurs qui peuvent alerter sur la volonté d’une personne de se suicider ?

Bien sûr ! Quand vous vivez dans l’environnement immédiat d’une personne, si vous prêtez attention, il y a des signes qui ne peuvent pas vous échapper. On ne se lève pas comme cela un jour pour se suicider. Quelquefois même, c’est prémédité.

Quels peuvent être ces signes ? Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?

Si vous avez, dans votre famille, un adolescent qui est réservé, qui est souvent seul dans son coin, qui a peu de contacts avec les autres, qui n’a pas d’amis dans le quartier et dans la famille, il faut aller vers lui pour l’écouter. Il doit être sûrement en train de vivre dans une nébuleuse où autour de lui il n’y a personne. Il gère sa crise seul. C’est déjà un signe qui peut interpeller. Si vous avez un individu qui a une maladie chronique, qui souffre terriblement et que les gens autour de lui sont distants, sans que personne ne s’occupe des conditions dans lesquelles il vit, ça peut très bien lui donner des idées noires.

Il faut que nous fassions tous très attention – parents, parents d’élèves, éducateurs, gestionnaires de la République. Quand des situations intenables commencent à se produire, il faut créer des structures, des centres ou cellules d’écoute, faire en sorte que la République soit le plus proche des individus. Sinon, nous allons toujours assister à ce genre de choses.

Vous avez indiqué 23 suicides par an, c’est ce qui a été répertorié. C’est peut-être plus élevé que cela. J’espère que ces statistiques prennent en compte ce qui se passe également dans nos villages.

Est-ce qu’il n’existe pas de centres d’écoute dans le pays ?

En tant que psychologue, je sais qu’il y a quelques cabinets qui existent sur la place. Mais quelqu’un qui vit déjà une situation intenable, ce n’est pas dans un cabinet qu’il ira. Il y a le centre des travailleurs sociaux qui existe, mais il faut en faire la promotion et faire en sorte que les attributions de ces centres soient plus ou moins vulgarisées. Pour que quand quelqu’un vit une situation difficile, il sache dans quel centre se rendre pour exposer son problème. Comme on n’en fait pas la promotion, quand les gens ont des difficultés, ils s’adonnent à des pratiques occultes. En Europe par exemple, vous verrez rarement des gens aller dans des structures informelles en cas de problème. Ils vont dans des structures officielles, mises en place par les Etats.

Quelles solutions entrevoyez-vous pour lutter contre cette propension au suicide ?

Ce qu’il est convenable de faire, c’est de créer et de mettre à disposition des structures formelles d’accompagnement des individus qui ont moins de ressources pour pouvoir s’adapter aux difficultés de l’existant. Quand un individu a des problèmes d’adaptation, il ne faudrait pas qu’on le regarde sombrer avec une certaine distance. Il faut faire en sorte que les professionnels des centres d’écoute soient de plus en plus en rapport avec l’Etat. Pour le moment, à part le département de psychologie et les quelques cabinets de psychologie sur la place, rien n’est fait dans ce sens. Pourtant, nous formons  des étudiants.

Dans les Centre Régionaux des Œuvres Universitaires (CROU), il y a des centres médico-sociaux. Mais pour l’instant, c’est uniquement l’aspect médical qui est privilégié. Ça signifie qu’il faut y introduire l’aspect psychologique. Il y a des gens qui viennent et dont les problèmes psychologiques vont se somatiser, c’est-à-dire que tous les troubles vont trouver de la place dans leurs corps. Ils ont besoin d’évacuer les problèmes qu’ils vivent pour libérer leurs corps de ces pathologies qui ne sont ni bactériennes encore moins  virales, mais psychologiques. On espère qu’avec ce que nous vivons aujourd’hui, nos propositions seront acceptées quand nous allons les présenter aux gestionnaires de la République.

Il semble que dans l’écoute que vous préconisez, les parents des suicidés doivent être pris en compte !

Généralement une situation pareille ne peut être analysée à l’exclusion des parents. Quand intervient un acte suicidaire, c’est toujours qu’on cherche l’histoire, ce qui peut expliquer cela. Et dans ce cas, on entre en contact avec les parents. Très souvent, on revient vers les parents pour les encadrer et leur dire les gestes à faire pour éviter que pareille situation ne se reproduise dans leur milieu. Le département de psychologie est disponible et nous attendons que nos étudiants servent à quelque chose. Déjà en commençant par les centres médico-sociaux, dans les différentes universités, pour que cet aspect soit pris en compte. Véritablement, dans le monde universitaire, les étudiants sont de plus en plus jeunes et ils ne peuvent pas faire face aux difficultés de plus en plus nombreuses.

Réalisée par M’Bah Aboubakar

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