Le secteur défense / sécurité est le plus corrompu de Côte d’Ivoire, d’après une étude réalisée par la plateforme SPACIA, mise en place par le ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption.
Avec 103 dénonciations enregistrées – entre janvier et octobre 2022 sur la plateforme du Système de Prévention et de Détection des Actes de Corruption et Infractions Assimilées – le secteur défense / sécurité se présente comme le plus corrompu du pays. Il ressort des analyses effectuées par les agents du ministère de la Promotion de la Bonne Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption – tutelle de SPACIA – que le montant des préjudices subis par les usagers peut être estimé à 52.585.064.478 FCFA. « Paradoxalement, le secteur ayant fait l’objet du plus grand nombre de signalements (défense/sécurité intérieur) subit un préjudice financier moins important que le secteur communication, médias et technologies, qui présente le potentiel manque à gagner de 33.668.647.557 F pour seulement 14 signalements ou celui du secteur urbanisme/construction/habitat qui représente un potentiel manque à gagner de 8.572.134.700 F pour 43 signalements », fait remarquer Fatoumata Ba, coordonatrice du Système de Prévention et de Détection des Actes de Corruption et Infractions Assimilées (SPACIA). Outre le secteur défense et sécurité, le secteur urbanisme / construction / habitat est épinglé avec 43 signalements, le secteur éducation / formation avec 38 signalements, le secteur du transport / logistique (25 signalements) et le secteur du droit, de la protection et la justice avec 24 signalements.
Ces dénonciations, 469 au total, ont été faites par les usagers – les victimes de la corruption – via les canaux de la plateforme SPACIA, qui a enregistré en tout 469 signalements : cent onze à travers son numéro vert 1345, 58 à travers sa plateforme numérique www.spacia.gouv.ci et 100 signalements par courriers physiques.Pour Fatoumata Ba, «l’analyse de la nature de l’infraction signalée permet de conclure que la concussion – le profit illicite dans l’exercice d’une fonction – constitue l’acte de corruption le plus dénoncé avec 154 signalements, suivi par l’abus de fonction, 78 signalements et corruption d’agents publics nationaux, 42 signalements ».
Les types de corruption enregistrés
A en croire la patronne du SPACIA, les dénonciations enregistrées dans le secteur Urbanisme / Construction / Habitat, portent majoritairement sur des cas de fraude dans l’obtention des Arrêtés de Concession Définitive (ACD), de démolition de logements jugés abusives et de prédation sur les terrains libérés, de fraude et corruption dans le secteur de la fabrication et la commercialisation de fer à béton, de l’exploitation illégale et construction anarchique, dragage et remblayage des bordures lagunaires, d’extorsion de terres rurales commises par des représentants de sociétés d’État, etc.
Quant au secteur Défense / Sécurité Intérieur, les faits signalés font essentiellement référence à des actes de corruption et de concussion commis par des agents des forces de sécurité et des officiers d’état civil dans l’exercice de leurs fonctions.
Dans le secteur Droit / Protection / Justice, les cas de signalement sont en rapport avec les sommes d’argent indues exigées par les agents, lors de l’établissement des actes administratifs dans les juridictions, mais également les difficultés rencontrées dans l’obtention des décisions de justice.
En ce qui concerne le secteur Éducation / Formation / Sciences / Étude / Recherche / Développement, il fait l’objet de nombreuses dénonciations, précisément dans les périodes d’examen et lors de la rentrée scolaire. Plusieurs signalements font mention d’extorsion de fonds par certains membres du personnel de l’éducation nationale, quand d’autres signalements sont plutôt liés à des présomptions de détournements de deniers publics destinés au paiement des heures complémentaires dans des universités. Dans le secteur Santé / Hygiène Publique, les signalements sont généralement relatifs aux mauvais agissements du personnel de santé.
Selon les analystes de la SPACIA, la répartition par localité des signalements permet également d’observer que le District Autonome d’Abidjan enregistre le plus grand nombre de signalements – soit plus de 75% des cas signalés – devant le district Autonome du haut Sassandra-Marahoué (5,1%) et le District Autonome de la Comoé (3,2%).
Des fonctionnaires et agents de l’Etat mis en cause
Au cours du premier trimestre 2022, onze personnes ont été mises en cause avec des éléments de preuves irréfutables. Ainsi, neuf agents de police – dont huit de la Police Nationale et un de la police municipale, qui se sont rendus coupables de corruption et de concussion, lors de la régulation de la circulation routière, ont été épinglés. De même, deux agents des impôts des centres des impôts de Yopougon et Adjamé ont été épinglés. A Yopougon, l’agent en question a proposé une annulation des arriérés des impôts fonciers d’un usager, moyennant le paiement de la somme de 40.000 FCFA. Le même agent a aussi proposé de différer le paiement d’impôts par la réception de la somme de 50.000 FCFA. Dans la commune d’Adjamé, l’agent épinglé, administrateur des services financiers, a proposé à l’usager un échelonnement de paiement moyennant une contrepartie financière de 50.000 FCFA. Ces faits constituent des actes de corruption tels que prévus et punis par les articles 28 (corruption d’agents publics), 36 et 37 (concussion), de l’ordonnance N° 2013-660 du 13 septembre 2013 relative à la prévention et la lutte contre la corruption. Au cours du second trimestre 2022, cinq personnes ont ainsi été mises en cause. Deux agents des Palais de Justice du Plateau et de Yopougon se sont adonnés à des actes de corruption, dans la procédure de délivrance d’actes administratifs (certificat de nationalité et casier judiciaire), en réclamant des sommes d’argent afin de réduire le délai d’obtention de l’acte, quand trois autres, du secteur Défense / Intérieur se sont rendus coupables de faits de concussion dans la délivrance de documents administratifs, pour l’un à la sous-préfecture de Songon et pour les deux autres à la Direction Générale de l’Administration du Territoire (DGAT) où ils ont exigé la somme de 50.000 FCFA à un usager avant l’établissement d’un agrément pour la création d’une association à but non lucratif.
La corruption, une urgence mondiale
La question de la corruption demeure une urgence mondiale qui interpelle tous les gouvernements. Selon la Banque mondiale, plus de 2.600 milliards de dollars – soit environ 1.300.000 milliards de FCFA – sont annuellement détournés dans le monde à des fins personnelles. Ce qui représente 5% du PIB mondial. De son côté, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) estime que le montant des fonds, en direction des pays en développement, soustraits de leur destination par la corruption est 10 fois plus élevé que celui de l’aide publique au développement. Plus spécifiquement, pour ce qui concerne notre pays la Côte d’Ivoire, une étude réalisée a estimé le préjudice causé par la corruption à près de 1.400 milliards de francs CFA. Ce montant équivaut à 4% du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Côte d’Ivoire et représente quatre fois le montant de l’aide publique au développement.
M’Bah Aboubakar