Entre 2012 et 2021, ces enfants en bandes organisées, appelés communément « microbes », ont fait trembler plusieurs quartiers d’Abidjan. Plus d’une décennie après l’apparition de ces gangs, ils ont été plusieurs centaines à passer dans des centres de réinsertion et de resocialisation en Côte d’Ivoire. Le Tamtam Parleur a retrouvé des ex-microbes qui racontent ce qu’ils sont devenus.
Ferronnier, menuisier, entrepreneur, éleveur,… Voici ce que sont devenus certains enfants dits «microbes» des années 2012. Koné Ahmed, 29 ans, a fait partie de ces gangs urbains. Très gêné de revenir sur ses souvenirs, il assure qu’il n’est plus la personne qui opérait en bande organisée quand il avait 16 ans. «J’ai appartenu au gang dénommé «Air France», avec des noms qui faisaient peur comme Dragon, Gongo, Petit Béssé, (…). Nous avons fait beaucoup de mauvaises choses. Plusieurs amis ont été tués ou emprisonnés», raconte-t-il. Pour lui, ça devenait trop risqué. Régulièrement harcelé par la police et vomi par les populations, il a donc décidé, avec deux de ses amis, de quitter le gang. Sa rencontre avec l’ONG Indigo a changé sa vie. «Nous avons été formés à plusieurs métiers. Aujourd’hui, je suis ferronnier dans la commune d’Abobo et je gagne honnêtement ma vie». Ahmed nous a confié qu’il a même repris contact avec sa famille et se sent heureux dans cette nouvelle vie, comme celle que mène aujourd’hui C. Amara, un autre ex-microbe.
Coulibaly Amara, ex-microbe devenu excellent menuisier
«Il a été l’un des meilleurs apprentis-menuisiers que j’ai formés», nous confie Kassaro Fofana, maître artisan menuisier installé dans l’une des ruelles derrière la mairie d’Abobo. Si, à l’arrivée du jeune Amara, la collaboration était difficile, son formateur avoue que cet ex-enfant en conflit avec la loi, s’est progressivement amélioré avant de surprendre agréablement tout le monde. «Il était devenu plus calme et plus conscient», assure-t-il. Kassaro Fofana nous fait savoir que ce jeune a été l’une de ses plus grandes satisfactions. Amara est aujourd’hui installé à son propre compte et à cheval entre les villes d’Abidjan et de Bouaké. À la menuiserie, il y a ajouté une corde qui est la maçonnerie. «Patron Fofana m’a beaucoup appris. J’ai passé quatre années avec lui. Aujourd’hui, je suis heureux parce que j’ai réussi à quitter la rue». Quand nous essayons de le replonger dans cette ancienne vie, il préfère tourner la page : «Vieux-père, laisse ça. Je ne veux plus parler de cette vie. C’est du passé». Si le jeune Amara est parti après avoir passé quatre années auprès de son formateur, N’guessan Koffi Patrick est retourné dans le centre qui l’a formé avec la casquette de formateur.
Patrick, enfant en difficulté devenu formateur
Adolescent, désorienté et appartenant à un groupe de petits drogués vivant d’agressions et de vols, Koffi Patrick a intégré le centre de réinsertion Amigo Doumé de Yopougon. Après trois ans de formation en menuiserie, il part du centre et se spécialise plus tard dans ce domaine. Plusieurs années après, Patrick, dont le nom figure dans le répertoire du centre, est rappelé. «C’était un rêve pour moi de revenir travailler et former d’autres enfants en conflit avec la loi». Pour lui, former ces enfants dits «microbes» qui sont passés dans le centre, a été une expérience extraordinaire. Selon le premier responsable du centre qui a reçu près de 720 pensionnaires depuis sa création en 1996, plusieurs enfants en conflit avec la loi qui sont passés par là, ont réussi leur resocialisation. «Des ex-microbes formés dans notre centre sont aujourd’hui des entrepreneurs. Ils nous appellent souvent quand ils recherchent des personnes à employer», fera-t-il observer. Selon le frère Sylvestre Bini, sur les 32 enfants en conflit avec la loi qu’il reçoit chaque année, 80 % des pensionnaires sont installés et travaillent.
Difficile réinsertion !
Si plus de 1400 mineurs, adolescents et jeunes en conflit avec la loi ont été resocialisés et réinsérés entre 2014 et 2021, selon la Cellule de coordination, de suivi et de réinsertion (CCSR), plusieurs autres enfants ont été rattrapés par la pègre. Plus de dix années après l’apparition du phénomène des enfants dits «microbes», ces gamins devenus adultes ont succombé à la tentation des vieux démons. Le maître artisan menuisier Kassaro Fofana, que nous avons rencontré à Abobo, se souvient qu’en dehors du jeune Amara qui a réussi sa resocialisation, les deux autres ex-microbes qu’il a formés sont retournés à la rue. «Je connais beaucoup d’enfants dits microbes qui sont retournés à la rue et qui y ont laissé leur vie. Je suis inquiet pour ces deux apprentis qui sont partis de l’atelier sans me prévenir». Sur le défi de la resocialisation, le responsable du centre Amigo Doumé reconnait que plusieurs enfants se laissent rattraper par leurs vieilles habitudes. C’est pour cela, selon lui, que le centre organise des rencontres régulières entre anciens pensionnaires pour un partage d’expérience.
L’incorrigible Mohamed alias Burkina!
Sans cette source crédible, il nous serait presqu’impossible d’échanger avec ce jeune que le programme gouvernemental de réinsertion et de suivi n’a pas pu sortir définitivement de la rue. Et pourtant, toutes les conditions étaient réunies. «J’ai fait la formation. On nous a demandé de choisir le métier qu’on voulait faire. J’ai choisi la menuiserie», précise-t-il. Seulement voilà, une fois confié à un professionnel, l’ex-microbe s’est montré impatient. «Mon patron ne me donnait pas assez d’argent pour mon transport après le travail», nous confie Mohamed, avant d’avouer que ses amis ne l’encourageaient pas à continuer cet apprentissage. En lieu et place, ils lui proposaient de renouer avec la pègre. L’ex-microbe âgé aujourd’hui de 30 ans a fini par rejoindre ses anciens compagnons avec un mode opératoire désormais axé sur le vol à la tire, en bande organisée. «Je me débrouille avec mes amis. On a toujours besoin de notre dose (Ndlr : la drogue) pour être à l’aise», prétexte-t-il, avant de couper court : «Chao (Ndlr : mot pour désigner une personne plus âgée), je dois aller au bara (Ndlr : au travail)».

Le Centre de resocialisation d’Okoukro, à M’bahiakro, accueille de nombreux pensionnaires chaque année./Photo-DR
Le phénomène des enfants dits «microbes» a presque disparu
Selon Eric Memel, coordinateur du programme Justice juvénile, au sein de la structure Dignité et Droit pour les enfants en Côte d’Ivoire (DDECI), en partenariat avec le Bureau international catholique de l’enfant, les enfants dits «microbes» ont aujourd’hui grandi. «Ces enfants dont l’âge oscillait entre 10 et 16 ans en 2012 ont aujourd’hui entre 23 et 29 ans». Et notre interlocuteur d’affirmer que beaucoup d’enfants ont cessé leurs pratiques délictueuses. Ils sont pour la plupart devenus des adultes épanouis, après avoir été pris en charge par l’État de Côte d’Ivoire dans des centres de réinsertion. Pour ce criminologue de formation, le phénomène des enfants dits «microbes» dans son mode opératoire d’il y a plus d’une décennie, a presque disparu. «Tout ce que nous voyons aujourd’hui dans les rues, est de l’ordre de la délinquance juvénile.», conclut-il.
Rappelons que le phénomène des enfants dits «microbes» est apparu dans la commune d’Abobo, au lendemain de la crise post-électorale de 2011. Face à ce phénomène, l’État de Côte d’Ivoire a opté pour la réinsertion et la resocialisation de ces jeunes, à travers plusieurs dizaines de centres sur l’étendue du territoire national.