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lundi 19 mai 2025
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Erreurs médicales en Côte d’Ivoire: La souffrance des patients

De nombreuses souffrances sont causées à des patients par les erreurs dues à un mauvais diagnostic, à une intervention chirurgicale ratée ou à une prise en charge tardive. Le Tamtam Parleur a recueilli les témoignages des victimes d’erreurs médicales, mais aussi les éclairages des spécialistes de la médecine.

Les erreurs médicales causent d’énormes dégâts. Si elles n’entraînent pas la mort, les victimes continuent d’endurer une souffrance tant sur le plan physique, émotionnel que financier. 

Kra Vianney (nom d’emprunt), 24 ans, autrefois motocycliste à Béoumi, a contracté une pathologie urinaire, en 2022, à la suite d’une erreur médicale. 

Son frère aîné qui a accepté de témoigner sous anonymat a confié à Le Tamtam Parleur que son frère avait consulté un urologue à l’hôpital de Béoumi, à la suite d’un mal au niveau du sexe. Il y a subi deux interventions chirurgicales infructueuses qui ont provoqué une dilatation du sexe et son urètre s’est bouché. Face à la complication, leurs parents l’ont conduit au CHU de Bouaké où ce dernier aurait reçu des anti-inflammatoires et des antibiotiques ; mais son état de santé s’était aggravé davantage. C’est alors, ajoutera-t-il, que les responsables du service d’urologie de Bouaké ont exprimé leurs regrets et recommandé de poursuivre le traitement au CHU de Treichville. 

Trois années après, soit en 2025, la santé du jeune Vianney ne s’est guère améliorée, l’obligeant à user d’une sonde pour uriner. Sa famille, quant à elle, « se trouve épuisée financièrement, après avoir dépensé environ deux millions de francs FCFA dans les soins durant ces années », se lamente notre interlocuteur.

Siaka, quant à lui, n’a pas eu la même chance de voir sa sœur cadette, 42 ans, survivre à son traitement médical raté. Elle est morte à la suite d’un mauvais dosage médicamenteux contre l’hypertension.  « On lui a prescrit deux médicaments qui ne devaient pas être pris ensemble. Elle a fait une crise le lendemain. À la clinique, ils nous ont d’abord dit que c’était sa faute, qu’elle n’avait pas bien suivi les instructions », relate Siaka.

Dans nos hôpitaux, tout ne se résume pas à la carence professionnelle. Souvent, des cas d’omissions voire de négligence occasionnent ces erreurs fatales. C’est le cas de Dame Yapi qui a passé huit jours dans le coma, avant de décéder quelque temps après. Selon le récit de son fils, l’on avait administré, aux urgences, un sérum avec des médicaments incompatibles à sa génitrice malade. Ce serait deux jours après qu’un infirmier a remarqué l’erreur. Mais pire encore, au cours du nouveau traitement administré à la patiente, les soignants auraient encore omis, après un contrôle de routine, de remettre en marche le sérum durant trois heures. « Ma mère a finalement succombé », lâche frustré notre témoin. 

6 mois d’emprisonnement pour cause d’erreur médicale

Les Ivoiriens se rappellent encore du cas de ce médecin-gynécologue condamné en 2022 à six mois d’emprisonnement puis suspendu de ses activités professionnelles pour avoir laissé mourir une institutrice parturiente au Centre hospitalier régional (CHR) de Daloa. Selon le site Koaci.com, le médecin qui était de garde a non seulement refusé de recommander une césarienne à la patiente, malgré des indications claires, mais il avait aussi quitté l’hôpital, se dérobant de ses obligations de garde.

Que dit la loi sur l’erreur médicale ?

La loi n° 2024-240 du 24 avril 2024 portant sur l’exercice de la médecine en Côte d’Ivoire est catégorique sur la responsabilité des médecins, notamment en ce qui concerne l’erreur médicale. Celle-ci stipule que : « L’exercice de la médecine est personnel. Chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes ». 

L’expert en droit médical et de la santé, Dr Sanogo Yanourga, souligne que l’article 56 de ladite loi stipule que toute erreur dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent y compris une anomalie ou une malformation congénitale, constitue un cas de faute personnelle du médecin. Tandis que l’article 60 dit que la sanction peut être disciplinaire, civile, administrative et pénale.

D’après notre spécialiste, le médecin a l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir des conditions de sécurité optimales, notamment en veillant à la propreté et à la décontamination des lieux où sont réalisés les actes médicaux. Il précise par ailleurs que le médecin ne doit pas exercer sa profession dans des conditions de nature à compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ; et doit aussi veiller à la compétence de ceux qui lui apportent leur concours, selon ledit article. 

Agir face à une erreur médicale ?

En cas d’erreur médicale, Dr Sanogo recommande de se fier aux textes de lois qui traitent de cette question dont notamment le Code civil (article 1382). Cette loi énonce qu’un médecin qui commet une erreur telle qu’un mauvais diagnostic, un acte imprudent ou un oubli important et qui cause du tort à un patient (blessure, souffrance, handicap, etc.), peut être tenu responsable et doit compenser le dommage causé par des amendes. Les infractions sont fonction de la gravité de l’erreur médicale et peuvent être punies d’une peine privative de liberté supérieure à deux mois et inférieure ou égale à dix ans, ou d’une peine d’amende supérieure à 360 000 francs CFA.

Dans le cadre de ce dossier, le Tam Tam parleur a adressé  un courrier à l’ordre des médecins de Côte d’Ivoire , mieux nous avons échangé avec la secrétaire qui nous a rassuré que l’ordre des médecins nous reviendrait. Malheureusement, jusqu’à ce que nous mettions l’article sous presse, notre  demande est restée lettre morte.

Dr Sanogo Yanourga,  enseignant-chercheur en droit de la santé, exhorte les médecins à la mesure./ Photo-DR

Pourquoi les victimes s’abstiennent de porter plainte

« Les Ivoiriens ne sont pas encore vraiment éduqués à porter ces affaires devant les juridictions, parce qu’ils ignorent les procédures à suivre ou parce qu’ils ne veulent pas du tout », argumente l’universitaire, Dr Sanogo. Un avis que partage le magistrat Manlan Laurent, président de l’Ong Transparency Justice sur le site Abidjan.net.  Pour ce dernier, en Afrique, le réflexe de celui qui a perdu son proche, c’est de faire son deuil. Cela est culturel. Les considérations religieuses pourraient également expliquer le peu d’enthousiasme de certains à des enquêtes post-mortem qui inclurait l’autopsie, proscrite par certaines confessions. « S’il n’y a pas d’autopsie, on ne peut pas tirer les conclusions pour prouver que la personne est décédée à la suite d’une erreur dans le traitement ou dans l’intervention chirurgicale », poursuit-il. Et, pour finir, il fait savoir que le coût de la procédure peut être un obstacle aux poursuites. Car, ce n’est pas parce qu’il y a une expertise médicale qui a été faite que le tribunal va reconnaître la culpabilité du médecin, confie le magistrat Manlan Laurent.

Dr Sanogo Yanourga, enseignant-chercheur spécialiste en droit médical et de la santé explique que l’article 1 de la loi du 24 avril 2024 portant exercice de la médecine en Côte d’Ivoire définit l’erreur médicale ou accident médical comme : « tout événement défavorable hors aléa thérapeutique pour le patient qui n’est pas en rapport avec l’évolution naturelle, spontanée de sa maladie, mais lié aux soins médicaux que sont les stratégies ou actes de prévention, de diagnostic, de traitement, de réhabilitation ou de rééducation ». 

La faute médicale

L’universitaire fait savoir que la faute médicale émane de la volonté du professionnel de santé de poser l’acte selon son « désir », en dehors du respect des règles applicables et de la procédure et ce, en toute conscience. Ou, en cas de manquement avéré aux règles et principes déontologiques.

Derrière chaque erreur ou faute médicale, il y a une famille qui ressent une douleur, et souvent, un sentiment d’injustice. Elle arrive toujours pour compliquer l’état d’un patient au moment où celui-ci s’attend à un acte médical qui lui apporte la guérison.

Le gouvernement de Côte d’Ivoire, pour réduire les erreurs médicales et améliorer la qualité des soins, a renforcé la régulation du secteur de la santé. Des cliniques illégales sont fermées, et de nouveaux codes de déontologie des professions médicales sont adoptés.

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