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mardi 22 octobre 2024
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Erosion côtière  / Port-Bouët : L’aéroport menacé de disparition

Les communes côtières telles que Grand-Bassam, Port-Bouët et Grand-Lahou pourraient disparaître de la surface de la terre, dans quelques années. En cause, le phénomène de l’érosion des côtes, tant l’avancée de l’océan Atlantique préoccupe les spécialistes en environnement.

Disparition inévitable de l’aéroport et de Port-Bouët

« On constate l’avancée de la mer tous les jours. Et ce, depuis plusieurs décennies », assure Dr Yao Salomon. Dans la Revue de Géographie tropicale et d’environnement n°2 parue en 2014, Dr Yao Salomon, Hauhouot Célestin, Koffi Koffi Philibert, Dangui Nadi Paul, Monde Sylvain, et Aka Kouamé, tous experts en océanographie, ont publié un article intitulé : « L’évolution à long terme (quarante années) du trait de côte du périmètre du littoral est de Port-Bouët et projection d’une ligne de recul ». Ils y révèlent  «une érosion générale de la plage du littoral est de Port-Bouët ». Selon le document, la cadence d’érosion varie de 0,40 à 1,85 m par an. Les mouvements les plus importants sont observés, notamment au niveau de l’aéroport Felix Houphouët-Boigny (où la mer évolue de 1,83 m par an), du quartier Jean Folly (1,83 m par an) et du corridor de sortie de la commune de Port-Bouët (1,25 m par an). Par ailleurs, indiquent les experts, « le suivi de l’évolution de ce littoral à long terme a montré que l’érosion s’inscrit dans une tendance générale érosive. Dans la période 1972-2012, les mesures effectuées ont conclu à un recul du trait de côte à des vitesses allant de 0.40 à 1.85 m par an ». Les experts concluent ainsi qu’à cette vitesse, la marée pourrait atteindre l’autoroute, entre 2027 et 2040. Outre l’autoroute, les enjeux menacés par cette érosion sont essentiellement l’habitat et le tourisme balnéaire.

Pour certains océanologues, dont Dr. Yao Salomon, le risque de voir la commune de Port-Bouët, comme certaines villes du littoral, disparaître est réel et inévitable. « On constate l’avancée de la mer tous les jours. Et ce, depuis plusieurs décennies. Et la commune de Port-Bouët fait partie des points chauds », confirme-t-il.

Le témoignage des riverains

Au quartier Phare de la commune balnéaire de Port-Bouët, la marée houleuse est déjà visible, depuis l’autoroute. Les constructions qui servaient d’habitations aux populations déguerpies en 2015 sont englouties par l’eau. Il ne reste plus que quelques murs debout sur lesquels viennent se briser violemment les vagues. La cité universitaire de Port-Bouët 3, qui se trouvait à des kilomètres de distance de l’océan, est  plus proche, en quelques années. Le jeune Moussa, en vacances,  explique qu’il a grandi dans le quartier situé de l’autre côté de la route. « Certains sont allés à Adjahui, à Koumassi, à Gonzague. Il y avait même un maquis devant là-bas. C’est l’eau qui a fait qu’il a été déplacé », témoigne-t-il, en pointant du doigt une maison à la clôture défraîchie. Conscient de cette avancée fatale des vagues, Moussa assure que ses parents et lui quitteront le quartier sous peu.

Extraction du sable de l’océan

Au quartier Adjouffou, situé plus loin, dans la même commune, sur la route qui mène à Grand-Bassam, commence le projet écologique financé par l’Etat ivoirien à hauteur d’environ 6 milliards de F CFA. Cet espace, dont la construction est toujours en cours, est composé entre autres d’une piste piétonne de plusieurs kilomètres, de jardins, d’aires de jeu, et de quelques bureaux d’hygiène. Irié Bi, l’un des habitants de la zone, en fonction dans ce lieu, fait savoir que l’extraction du sable et l’abattage des cocotiers semblent favoriser l’avancée de la marée. « Des personnes viennent se servir du sable de l’océan pour remblayer leur maison en saison de pluie. Pourtant, c’est un fait interdit, qui favorise l’érosion côtière. Les cocotiers jouaient un bon rôle, mais ils ont tous été enlevés pour la construction de ce cadre », regrette-t-il. Pour lui, la progression de l’eau reste « inévitable », mais il propose des solutions pour réduire les dégâts que cela pourrait engendrer. « La première solution c’est d’interdire aux gens d’extraire le sable. Parce que c’est interdit mais les gens continuent de le faire. Il faut essayer de repiquer des cocotiers parce que ça joue un rôle important », argumente-t-il.

Un autre travailleur, un peu plus âgé, qui a requis l’anonymat, abonde dans le même sens que Irié Bi. « Oui, l’océan avance.  Au moment où je m’installais ici, l’océan était plus loin. Si on ne fait pas attention, même ces constructions vont disparaître. Il y avait des maquis autour de ces voies. Mais la mer a tout englouti », fait-il observer.

D’autres localités concernées

Outre la commune de Port-Bouët, d’autres cités balnéaires sont concernées par l’érosion côtière. C’est le cas de Lahou Kpanda, village situé dans la sous-préfecture de Grand-Lahou, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Ici, l’embouchure du fleuve Bandama a bougé de 2,2 kilomètres, en trente années, avec un mouvement de 150 à 170 mètres par an, selon les experts. Ils affirment que d’ici 2050, si rien n’est fait, le village Lahou Kpanda, dans son emplacement actuel, sera rayé de la carte de la Côte d’Ivoire par l’océan. « A notre connaissance, c’est une catastrophe naturelle inédite en Afrique de l’Ouest due au changement climatique qui occasionne la montée des océans. Les habitants du village s’inquiètent de l’avancée de l’océan », rapporte un habitant avec lequel nous avons échangé.

Interrogé sur la problématique de l’érosion côtière, le Professeur Ochou Abé Delfin, expert en variabilité et changement climatique, réduction des risques de catastrophe, résilience climatique, par ailleurs coordonnateur du Projet d’Investissement pour la Résilience des Zones Côtières Ouest-Africaines (WACA-ResIP), confirme cette montée de l’océan à l’intérieur des terres. Financé par la Banque Mondiale, le projet Waca a été lancé pour protéger les pays de l’Afrique de l’Ouest menacés par l’érosion. Il s’agit de la Côte d’Ivoire, du Bénin, de la Mauritanie, de Sao Tomé-et-Principe, du Sénégal et du Togo. Malheureusement, la pandémie de la Covid-19 a ralenti le déploiement du programme de gestion du littoral ouest-africain.

 « C’est un phénomène naturel qui emmène le sable. Si nous sommes dans un endroit de la côte où il y a des rochers, vous comprenez que la mer ne peut pas trop avancer, contrairement à une côte sablonneuse où la mer a la possibilité d’avancer un peu plus. En réalité c’est un phénomène naturel dû aux vagues », explique le Professeur Ochou Abé Delfin. Il ajoutera que le phénomène a pris de l’ampleur depuis que les êtres humains ont commencé à s’établir trop près de l’océan. A l’en croire, les constructions d’établissements humains (habitations, complexes hôteliers, routes, etc.) et l’extraction du sable de l’océan fragilisent le sol et accélèrent l’érosion côtière.

Définir des zones non habitables

Pour le Professeur Ochou, il est important de définir des zones non habitables au bord de l’océan pour préserver les conditions naturelles et favoriser de ce fait la réduction de l’avancée de l’eau. A en croire l’expert en variabilité et changement climatique, selon les estimations, normalement au niveau du littoral ivoirien, l’océan Atlantique avance d’un à trois mètres en moyenne par an, avec des avancées spectaculaires observées par moments, selon certaines conditions climatiques. « Si on compte trois mètres par an dans une zone comme Port-Bouët où on peut avoir des avancées spectaculaires, en dix ans, la mer peut avoir avancé de 30 mètres ou même plus, alors que nous avons des habitations qui sont juste à côté », estime-t-il, en prenant l’exemple la cité universitaire, au niveau de Port-Bouët Phare, qui n’est plus loin de la mer.

Quelques pistes de solutions

Face à l’avancée inéluctable de l’eau, Pr Ochou préconise de sensibiliser les autorités des communes concernées, ainsi que les populations. Selon lui, c’est primordial, si l’on veut inverser le cours des choses. « Pour le moment, même si une étude de préfaisabilité a été réalisée pour comprendre de façon technique et scientifique les facteurs de l’avancée de la mer au niveau de Port-Bouët, l’Etat, à travers le Ministère de l’Environnement, est à la recherche de moyens financiers nécessaires pour réaliser les investissements de protection de la côte », ajoute-t-il, tout en précisant qu’il y a des systèmes forestiers qui bloquent l’avancée de la marée, tels que les plants de mangroves. Lesdites mangroves constituent l’un des écosystèmes les plus productifs et les plus diversifiés de la planète, sans lequel 39 % de personnes supplémentaires seraient inondées, chaque année. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) estime que les mangroves assurent un stockage exceptionnel du carbone, trois à cinq fois supérieur à celui des forêts tropicales, et font vivre plus de 120 millions de personnes dans le monde. « On essaie de voir comment les planter dans le but d’empêcher l’eau d’avancer », explique-t-il.

De ce fait, il propose que « dans un premier temps, c’est vraiment la sensibilisation qui doit être mise en avant, afin que les populations, de façon générale, arrêtent d’extraire du sable, au niveau des plages ; que les populations ne s’installent pas trop près des plages. Le respect de toutes ces consignes peut contribuer à renforcer la résilience des populations qui sont proches des côtes », conseille vivement l’expert.

Sandra KOHET

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