Plus de 80 mille véhicules roulent au gaz, malgré l’interdiction. Depuis 32 ans, en effet, la loi N°92-470 du 30 juillet 1992 prohibe l’utilisation du gaz comme combustible pour faire rouler les véhicules. Mais cette législation est violée, pour des raisons essentiellement économiques.
Entre 80 et 100 mille véhicules de plus de 15 ans d’existence fonctionnent au gaz butane en Côte d’Ivoire sur un parc de véhicules vétustes estimé à près de 300 mille. Ces véhicules vétustes servent principalement au transport, dans les grandes agglomérations et certaines villes de l’intérieur. D’après Soumahoro Mahamadou, président de la Maison des Transporteurs de Côte d’Ivoire (MTCI) qui nous révèle ces données, le gaz permet de pallier le coût élevé du gasoil et de l’essence. C’est donc la solution pour les propriétaires de véhicules pour amoindrir les coûts et mieux rentabiliser leur business.
Le gaz, source de profits pour plusieurs acteurs
Les taxis communaux ou wôrô-wôrô, constitués généralement de vieux véhicules, consomment en moyenne 02 bonbonnes de gaz B12 de 6h à 21h. Soit une dépense de 11 000 F CFA/jour pour une recette quotidienne moyenne de 30 000 FCFA. La marge journalière est estimée à 19 000 FCFA. Avec le gasoil, le même taxi communal consomme au moins 30 litres/jour à raison de 715 FCFA le litre, ce qui équivaut à une dépense de 21 450 FCFA pour une marge de 8 550 FCFA. Cette comparaison nous a été faite par Bamba Kassoum, propriétaire de taxis communaux à Yopougon. Un véhicule qui roule au gaz, rapporte mensuellement 313 500 FCFA de plus que le même véhicule, cette fois-ci à gasoil, démontre notre transporteur.
M. Soumahoro de la MTCI estime que l’utilisation du gaz permet aux transporteurs d’optimiser leurs gains et de maintenir le coût du transport à un niveau bas au profit des populations. Les transporteurs n’ont d’autre choix que d’augmenter les prix du transport pour faire face aux dépenses si l’interdiction était réellement appliquée conclut-il. Les petits métiers autour des véhicules à gaz sont prospères. Dans un article scientifique publié dans European Scientific Journal (December 2014 edition vol.10, No.35) par l’enseignant-chercheur Kouassi Kouamé Sylvestre, de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, un vendeur de gaz interrogé à Bouaké en 2013 a affirmé que 90% de son stock allait aux taxis. Le commerçant interrogé ajoute que c’est une clientèle journalière, comparée aux ménages qui sont hebdomadaires voire mensuels.
Viennent, en outre, les techniciens qui installent le système dans les véhicules. L’un d’eux rencontré dans son garage auto à Cocody- qui a requis l’anonymat- confie qu’il facture à 250 000 FCFA sa tâche.
Les véhicules à gaz se généralisent sur le territoire
Selon la législation ivoirienne, les contrevenants à la loi interdisant l’utilisation du gaz butane par les véhicules, sont punis d’une peine d’emprisonnement de 15 jours à un an, et une amende de 100 000 à 500 000 FCFA. L’application de cette loirelève, communément, de l’Administration des hydrocarbures, de la Douane, de la Police Judiciaire ; de la Gendarmerie et du Service de la Répression des Fraudes et du Contrôle de la Qualité du ministère du Commerce. Malgré ce dispositif répressif, des transporteurs persistent à utiliser le gaz en lieu et place du gasoil ou de l’essence.
L’article publié par European Scientific Journal dévoile, par ailleurs, que les villes de Bonoua et Aboisso sont également réputées pour les véhicules à gaz et tous les taxis communaux de Bonoua sont à gaz. D’autre part, 99 taxis sur 100 utilisent du gaz à Yamoussoukro, toujours selon l’article de la revue scientifique.
Les transporteurs font la résistance
Le préfet d’Agboville, M. Sihindou Coulibaly, a interdit en août 2024 par arrêté l’usage du gaz dans les véhicules. Un mois après cet arrêté, les taxis communaux à gaz continuent de circuler d’après un acteur des transports de la localité que nous avons contacté.
La problématique des taxis au gaz concerne également Abidjan et sa périphérie. Des acteurs interrogés affirment que la quasi-totalité des taxis d’Abobo et de Yopougon, tout comme 90% des taxis communaux de Grand-Bassam roulent au gaz. Les transporteurs de Bassam ont fait une grève, en février 2021, contre l’Office de la Sécurité Routière (Oser), qui tentait d’appliquer la loi.
Des conséquences multiples
Au plan sanitaire, le conducteur d’un taxi à gaz est vulnérable car il inhale le gaz et rejette du gaz carbonique, selon le Conseil National de Lutte contre la Vie Chère (www.cnlvc.ci , juin 2018). Le gaz butane ralentit l’activité du système nerveux central, cause l’asphyxie et la mort. Les symptômes sont, entre autres, des maux de tête, des nausées, des vertiges, de l’incoordination, des difficultés respiratoires et une perte de conscience, etc. Les véhicules à gaz sont sources d’insécurité avec plusieurs drames à leur actif comme l’incendie d’un taxi communal qui a fait 03 personnes mortes calcinées, le 23 avril 2021, à Locodjoro (Yopougon).
Économiquement parlant, les localités concernées par le phénomène, rencontrent des pénuries de gaz, pénalisant les ménages. Et, les stations-service d’essence et gasoil voient leurs recettes diminuer drastiquement.
Selon l’article d’European Scientific Journal, le gaz butane est utilisé par les taxis au Togo, au Ghana, au Burkina Faso, au Cambodge, en Thaïlande et au Brésil. Près de la moitié des taxis, 300 sur 757, de Bobo-dioulasso au Burkina Faso, roulaient au gaz en 2011.