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samedi 27 avril 2024
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Alcoolisme : Vody, la boisson qui détruit les jeunes

Vody Energy est une boisson énergisante atypique. Ce breuvage, contenant au moins 18% d’alcool, sème la désolation au sein de la jeunesse, notamment en milieu scolaire.

Dans leurs cartables scolaires Thomas, Bakary et Nicolas (noms d’emprunt), tous les trois en classe de 3è, dans un établissement  privé de Yopougon Niangon, font quotidiennement de la place aux canettes  Vody energy. Faute de quoi, ils n’assimilent rien pendant les cours. « C’est devenu pour nous une habitude. A l’insu des professeurs et de l’administration, nous trouvons le moyen d’en consommer pendant les cours. Ça augmente notre niveau de concentration », laisse entendre Bakary, qui est visiblement le meneur de ce groupe de jeunes de moins de dix-huit ans.

Aux alentours des établissements scolaires, dans les gares de véhicules de transport en commun et même au coin de chaque rue, à Abidjan, la boisson très prisée des adolescents, se vend comme de petits pains. Pourtant, elle est formellement interdite au moins de dix-huit ans et aux femmes enceintes.

« Nos meilleurs clients sont les élèves. Ils viennent toujours en groupe ou individuellement et en achètent en quantité. Ils en achètent 5, 6, 7… Du moment où nous faisons recette, c’est ce qui importe », explique un vendeur installé au coin d’une rue, dans la commune d’Adjamé.

Consommée sans modération, Vody Energy est une boisson mixant à la fois des substances énergisantes et de la Vodka. Produit de l’entreprise allemande « Cody’s drink international », contenue dans une canette de 250ml, elle est composée d’eau, de vodka, de sucre, de dextrose, d’acidifiant, de caféine, d’alcool… Ce qui n’est pas sans conséquence sur la vie des consommateurs qui, de plus en plus, testent leur limite en ingurgitant davantage ce breuvage.

L’histoire de l’adolescent Brice N’Goran, décédé en 2020,en est une parfaite illustration. Il en avait  bu quinze canettes pour « oublier un chagrin de cœur », et  s’est effondré en pleine rue.

Selon les experts, la consommation de l’alcool et de la caféine explique cette forte addiction. La caféine diminuant la torpeur due à l’alcool et incitant ainsi à boire davantage. En fait, les consommateurs deviennent moins conscients  de la quantité qu’ils boivent et ils consomment davantage de boisson. Certains peuvent aller jusqu’à s’enivrer, plus que de raison.

On peut observer plusieurs conséquences chez les gros consommateurs. Il s’agit notamment de la mort subite, des cancers, y compris « les altérations neurocognitives qui peuvent entraîner des problèmes comportementaux, émotionnels, sociaux et scolaires plus tard», atteste l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La loi et les actions du gouvernement

Pour réduire l’abus d’alcool chez les jeunes, l’Etat a adopté la loi N° 64-293 du 1er Août 1964 portant code des débits de boissons et des mesures contre l’alcoolisme en ses articles 83, 84, 85, 86, 87 et 88 portant régime de la protection des mineurs contre l’alcoolisme. Cette loi interdit la vente et le don de la boisson à un mineur de moins de dix-huit ans. Toute infraction est punie d’amende de 300 000 FCFA à 1.500 000 FCFA.

Le gouvernement a  également mis en place un Programme National de Lutte contre le Tabagisme, l’Alcoolisme, la Toxicomanie et les autres Addictions (PNLTA), depuis 2001. Il coordonne les activités de lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme, la toxicomanie et toute autre addiction, sur l’ensemble du territoire, pour réduire la morbidité et la mortalité liées à ces addictions via des activités de type promotionnel, préventif, curatif et de recherche. En 2009, l’organisme, après avoir réalisé une enquête, avait révélé que dans plusieurs régions de la Côte d’Ivoire « 70% des élèves consommaient déjà de l’alcool et que l’âge d’initiation se situait entre 12 et 16 ans ».

Le Centre d’Accompagnement et de Soin en Addictologie (CASA) assiste des milliers de consommateurs de toute catégorie de drogue. En 2021, 6 816 pensionnaires ont bénéficié de consultations médicales, 3 541 d’une assistance sociale, 763 d’une assistance psychologique et 17 personnes dont 5 femmes, ont été mises sous méthadone (substance de substitution à la drogue).

Malgré la prise de ces mesures, les mineurs restent toujours exposés aux dangers de l’alcoolisme. Les organisations de la société civile font du mieux qu’elles peuvent pour assurer le bien-être de ceux-ci. C’est le cas de l’Association Imagine le Monde (AIM) et de l’ONG Lutte contre la Consommation abusive de l’Alcool (LCACI).

Le 2 novembre 2022, AIM a sensibilisé 108 adolescents dont 38 filles et 33 garçons, à l’effet de réduire la consommation de substances additives par les jeunes, notamment à Port-Bouët.

L’ONG LCACI, quant à elle, a mis en route un programme de zéro consommation d’alcool par les mineurs et élèves de Côte d’Ivoire, depuis l’année 2020.

« En 2021, nous avons été dans cinq communes d’Abidjan et avons réalisé une enquête dans les treize communes. En 2022, uniquement à l’intérieur du pays, nous avons été dans 25 communes. Cette année 2023, nous toucherons les autres communes d’Abidjan, après les dix villes de l’intérieur du pays », confie le consultant – chef de projet de l’ONG LCACI, Kaberu Tairu.

L’enquête réalisée auprès de 700 mineurs, des élèves à l’intérieur du pays et 1000 dans le district d’Abidjan, a révélé que « 63, 8% des mineurs et élèves ont déjà consommé une boisson alcoolisée ».

En deux ans (septembre 2020- octobre 2022), l’ONG a touché  plus de 27 000 personnes dont plus de 12 300 élèves sensibilisés à ne pas toucher à une boisson alcoolisée, plus de 4 100 parents d’élèves, personnel éducatif et agents de la police municipale formés sur les outils de prévention de l’alcoolisme chez les mineurs, 41rencontres de plaidoyer, 1230 Autorités locales directement touchées, plus de 10 300Tenanciers de débits de boissons dans 41 communes sensibilisés et responsabilisés à l’interdiction de vente et de consommation d’alcool par les mineurs. De plus, il y a eu 25 Réunions de sensibilisation et d’échanges entre tenanciers de débits de boissons et autorités locales,  plus de 10 000flyers d’interdiction de vente et de consommation d’alcool par les mineurs dans les débits de boissons collés dans les maquis, bars, restaurants, boites de nuit, bistrots … « Il faut appliquer la loi dans toute sa rigueur et sanctionner les débits de boissons qui servent de l’alcool aux enfants (bistrots, maquis, boîtes de nuit etc.) », recommande vivement Kaberu Tairu.

Marina KOUAKOU

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