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vendredi 5 juillet 2024
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Addiction à la drogue: On peut en sortir

Sur un total de 3571 patients reçus dans les 11 centres de traitement contre l’addictologie en Côte d’Ivoire, en 2023, 67,57% étaient des jeunes, d’après le Programme National de Lutte contre le Tabagisme l’Alcoolisme la toxicomanie et les autres Addictions (PNLTA). Malgré ce sombre tableau, des patients réussissent à s’échapper de l’enfer de la drogue.

En plusieurs années de pratique, Dr Ahounou Etobo Innocent a vu des centaines de patients sortir de la dépendance aux addictions. Le psychiatre-addictologue rapporte un de ses plus beaux souvenirs: « Il s’agit d’un patient de quinze ans que nous avons traité au Service d’Addictologie et d’Hygiène Mentale (SAHM) d’Adjamé. Il était brillant à l’école et il était en classe de Terminale dans un lycée, à Cocody. Ce jeune a commencé à consommer de la drogue dans une période qui coïncidait avec un problème entre son père et sa mère. Il a commencé à ne plus aller à l’école et il avait de mauvaises notes en classe », se remémore le praticien à l’Institut National de Santé Publique (INSP) d’Adjamé. « Avec le travail motivationnel que nous avons fait et le sevrage -un peu difficile au début mais qui s’est amélioré par la suite- il a repris le chemin de l’école (…) La bonne nouvelle, c’est qu’il a obtenu son baccalauréat. Et il nous est revenu qu’il a pu obtenir une bourse et qu’il serait présentement hors du pays », se félicite le médecin, par ailleurs maître-assistant à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Cette sortie du cercle vicieux de la toxicomanie n’est pas un cas isolé. 

La motivation, le maître mot

Les médecins sont unanimes: la collaboration du malade est déterminante pour avoir de bons résultats dans un temps record. « Tout dépend de la motivation de la personne qui vient en consultation. Le projet de prise en charge est toujours individualisé », analyse docteur Traoré Samuel, psychiatre-addictologue. Le spécialiste de psychiatrie d’adulte fait savoir que le patient peut venir en consultation sous la contrainte de ses proches ou parce qu’il veut, de son propre gré, limiter les risques de consommation de substances. Dans ces deux cas, il ne peut y avoir une envie franche du sujet d’arrêter la consommation de substances. Il cite un troisième cas où le sujet peut vouloir arrêter parce que son épouse est enceinte et qu’il ne veut pas que son bébé arrive au monde alors qu’il consomme toujours de l’héroïne, par exemple. Le troisième sujet, fait observer le psychiatre -addictologue, aura une issue favorable dans un bref délai, en raison de sa source de motivation bien définie.  

Il faut noter que tous les sujets n’ont pas la même histoire. Certains  sont contraints par la justice à suivre un traitement, alors que d’autres ont des problèmes de santé qui les obligent à démarrer une thérapie. On note également la question de la spécificité des drogues consommées. « Les substances n’ont pas le même potentiel d’addiction. Je veux parler du pouvoir addictogène qui n’est pas identique pour un sujet qui a une addiction au cannabis ou pour celui avec une addiction à l’héroïne », précise Dr Traoré. 

Dr Yavo Marie-Chantal, psychologue en service au Programme National de Lutte contre le Tabagisme, l’Alcoolisme, la Toxicomanie et les autres Addictions (PNLTA), établit la classification des trois grandes familles de drogues, selon les effets qu’elles produisent. « Il y a les dépresseurs, les stimulants et les hallucinogènes. Par exemple, au niveau des dépresseurs, il y a l’alcool et l’héroïne. En ce qui concerne les stimulants ou stupéfiants, nous avons l’amphétamine. Pour les perturbateurs ou hallucinogènes, nous pouvons citer le cannabis», énumère-t-elle. 

Commencer par l’infirmier
La prise en charge des personnes addicts aux drogues est liée à un protocole bien établi. C’est ce qu’explique Dr Koffi Nestor, chargé d’Education et de Communication au PNLTA. « On ne quitte pas directement un village, lorsqu’on a un problème d’addiction à la drogue, pour aller directement au CHU. On commence par l’infirmerie qui vous réfère au centre de santé communautaire. Ce centre va vous référer au CHR où l’on va vous diriger au CHU, si c’est nécessaire », détaille l’expert. 

Au Service d’Addictologie et d’Hygiène Mentale de l’INSP d’Adjamé qui est un centre ambulatoire, les patients pris en charge ne sont pas admis en hospitalisation. Au sein de ce centre de référence, le toxicomane peut recevoir un traitement médicamenteux, en cas de sevrage, ou un traitement de substitution non encore effectif. L’hospitalisation qui peut être faite dans des centres comme l’hôpital psychiatrique de Bingerville n’est recommandée que pour la prise en charge des addictions ou des complications psychiatriques ou somatiques. Pour les patients addicts aux opiacés, le traitement de substitution intervient.

La Méthadone donne de l’espoir

« La Méthadone n’est pas le traitement de toutes les addictions, mais elle est utilisée dans le traitement des addictions aux opiacés », fait constater Dr Goncé Dion Aristide, psychiatre-addictologue. 

Ce traitement est d’autant plus important que le Tramadol, dont l’usage est répandu en milieu jeune, est un opiacé. De nombreux jeunes consomment le « Kadhafi », un mélange de cet opiacé bon marché et de la boisson énergisante alcoolisée. Les chiffres fournis par le PNLTA indiquent que sur 727 patients admis en soins à la Croix Bleue en 2020, 46% sont âgés de 15 à 24 ans et 73% sont polytoxicomanes, consommant au moins deux substances. 

Dr Goncé tire la sonnette : « Il y a de nombreuses années que la Côte d’Ivoire est dans l’attente de la Méthadone. Il n’y a qu’une structure qui en dispose ( le CASA, Centre d’Accompagnement et de Soins en Addictologie, ndlr) et elle ne prend en charge qu’un très faible pourcentage de patients (…). Les structures publiques qui ont besoin de Méthadone doivent en disposer ». Le médecin fait remarquer que de plus en plus de patients reçus dans les principaux centres de soins ont des addictions aux opiacés. « Une addiction au Tramadol est similaire à une addiction à l’héroïne qui est un opiacé (…). Il y a des consommateurs de Tramadol qui prennent jusqu’à 30 comprimés par jour », alerte Dr. Goncé, l’assistant chef de clinique, à l’université FHB. 

Les psychiatres interrogés plaident pour que le gouvernement dote les structures publiques d’équipements et d’un personnel qualifié pour la prise en main du patient addict, après ses soins dans un centre ambulatoire ou un séjour en hospitalisation. Il pourra ainsi recevoir une psychoéducation et des outils d’apprentissage pour sa réhabilitation psycho-sociale. Comme l’a déclaré un praticien interrogé, en psychiatrie, tout comme en addictologie, « le travail est un médicament ». D’où l’importance d’une rapide réinsertion sociale. 

Touche pas à la drogue !
Aminata, une vendeuse habitant à Campement, quartier difficile de la commune de Koumassi, a vu son jeune frère, à douze ans, sombrer dans la drogue, il y a quelques années. « Il avait abandonné l’école et il se promenait de fumoirs en fumoirs. On a beaucoup prié et on s’est rendu dans un centre au grand carrefour de Koumassi pour ses soins », se souvient-elle. Aujourd’hui, son jeune frère a pu sortir du cercle vicieux de la toxicomanie et il suit une formation professionnelle. Pour Dr Yavo Marie-Chantal, la dépendance aux drogues n’est pas une fatalité. Sa recommandation aux personnes vivant un mal-être est stricte : « Il ne faut jamais céder à la tentation de s’approcher de ces substances: l’alcool, le tabac, la drogue. »

La Côte d’Ivoire compte 10.000 usagers de drogue, pour une population de 29 millions d’habitants, selon une étude de l’ONG Médecins Du Monde.


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