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vendredi 25 avril 2025
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Accidents et maladies du travail: Des victimes livrées à leur sort en Côte d’Ivoire

En Côte d’Ivoire, on enregistre 8 000 personnes victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles, selon la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS). Le Tamtam Parleur s’est intéressé à ces sinistrés de l’univers du travail. Reportage.

Jean Koffi broie du noir. L’employé  d’une entreprise de produits laitiers et vivriers  à la zone industrielle de Yopougon souffre d’atroces douleurs articulaires et d’une inflammation de la peau. « À l’usine, j’ai travaillé avec la soude caustique et le formol, pendant de nombreuses années. C’est maintenant que je ressens les effets de ces produits chimiques, après vingt-cinq années de service », nous confie ce travailleur âgé de 59 ans, le 11 mars 2025, au quartier Deux-Plateaux Agban où il vit avec ses jumeaux, dans un habitat modeste. 

Maladie professionnelle handicapante

Issiaka Cissé, collègue de Jean Koffi, qui travaille également dans la même usine depuis 21 ans, ne cache pas son indignation. « Il ne peut plus marcher sur une distance de plus de cinquante mètres sans s’asseoir », s’inquiète Cissé. Selon les confidences de ce dernier, ils sont une quarantaine d’employés de cette entreprise laitière à observer un arrêt de travail collectif de cinq mois, car l’entreprise leur doit une année de salaires impayés. « L’affaire nous opposant à notre ex-employeur se retrouve aujourd’hui devant le tribunal du travail. Le cas de Koffi est préoccupant : l’entreprise nous a déclarés à la CNPS, mais nous ne pouvons pas saisir notre entreprise présentement pour que la CNPS le prenne en charge car nous sommes en procès avec notre ex- employeur », soutient Issiaka Cissé, désigné par ses collègues comme leur porte-parole. Aujourd’hui, Koffi survit grâce à la Providence et la générosité du voisinage.

Dans la commune de Marcory Zone 4, B. L, un autre employé ayant requis l’anonymat, a été victime d’un accident du travail, le 7 avril 2023, dans une entreprise laitière située sur le boulevard Felix Houphouët-Boigny (ex-VGE). Les tendons des trois derniers doigts de sa main gauche ont été sectionnés. « J’ai été soigné à la clinique Farah. L’opération s’est bien passée et je suis les séances de rééducation, non loin de la piscine d’Etat, à Treichville, tout cela grâce à la CNPS qui paye également mon transport pour aller à la rééducation », indique le blessé en convalescence.

Difficile parcours de l’accidenté

 « Mes doigts opérés sont raides ; je n’arrive plus à les plier. Je souhaite que mon employeur me change de poste à la reprise car sur la machine Amba qui ferme les boîtes de lait, je dois me servir des deux mains. Présentement, mon employeur ne paie que la moitié de mon salaire et souvent avec du retard, alors que la CNPS le rembourse », peste l’employé qui assure, lors de notre entretien du 14 mars 2024, qu’il n’a pas encore perçu son salaire de février. Il ajoute qu’il doit attendre la fin de sa rééducation avant que la CNPS détermine s’il doit passer par une « expertise médicale » qui constatera qu’il a une invalidité. Si cela est confirmé, la CNPS décidera du montant de la rente à lui verser.

Gustave Gbean se souvient de sa mésaventure à la zone industrielle de Yopougon également. En 2018, il a été victime d’une blessure profonde au niveau de l’index. « J’étais un journalier au sein d’une usine de fabrication de sachets plastiques. Je n’étais pas déclaré à la CNPS. Donc l’entreprise n’a pris en charge que mes soins et elle m’a payé mes jours de repos maladie. Quand j’ai repris le boulot, l’employeur m’a fait changer de poste et je suis devenu vigile », avance Gbéan qui était à sa cinquième année au sein de l’entreprise, au moment des faits. Il fait savoir qu’à la suite des démêlés judiciaires avec cette société, il l’a quittée pour une autre entreprise.

Amos Botty Bi est le président de la Société Coopérative des Productions Agricoles du Nionos (Scoops-Copacanis), dans la sous-préfecture de Gohitafla. Il relate les conditions difficiles des producteurs du cacao et de l’anacarde que regroupe cette structure, depuis 2016. « En 2021, un membre de la coopérative est parti dans sa plantation d’anacarde et il a pompé l’herbicide face au vent. Il a reçu le produit en plein visage. Il a eu une inflammation et des démangeaisons au visage. On lui a lavé le visage à grande eau pour le mettre hors du danger », relate Botty. Il expose également l’histoire d’un autre membre de la coopérative gravement blessé au genou par sa machette, en plein défrichage, à Nionos. Ils ont dû référer le blessé saignant abondamment à l’hôpital de Gohitafla pour une prise en charge d’urgence. Ce collègue accidenté a pu s’en tirer sans des séquelles, mais ses soins ont nécessité des dépenses imprévues. Ces accidents recensés dans le secteur agricole lui font dire que la corporation des planteurs est exposée à des grands risques comme les morsures de serpents, les piqûres d’insectes venimeux et les fréquentes intoxications aux produits phytosanitaires, entre autres.

Proposition de solutions

Lors de la conférence publique organisée par la Fédération Ivoirienne des Accidentés du Travail et Maladies Professionnelles Pour la Prévention (FIATM3P), au Plateau, le 22 août 2023, un éventail de propositions a été ébauché pour sécuriser l’écosystème de l’emploi. Le président de cette faitière, Fantégué Koné, au cours de ces assises, a plaidé pour que l’accent soit mis sur deux modes de lutte contre ces accidents : la prévention à tous les niveaux de l’entreprise et le contrôle des risques générés par l’activité de l’entreprise. Mme Katy Silué épse Keinde est l’adjointe du directeur de la CNPS Abobo. Elle identifie trois causes principales des accidents de travail. Il s’agit des accidents de trajet que rencontre le travailleur, sur le parcours du domicile au lieu de travail ou vice-versa, des accidents qui interviennent lors de l’utilisation d’outils ou de machines qui peuvent occasionner des blessures, et  des chutes qui interviennent au cours de l’exercice de l’activité. 


Mme Katy Keinde, directrice adjointe de l’agence d’Abobo, précise que la CNPS ne couvre entièrement que ses assurés salariés, en cas d’accident du travail. /Photo-DR

Les travailleurs indépendants, tels que les planteurs, sont assurés par la CNPS, dans le cadre du Régime Social des Travailleurs Indépendants (RSTI). Cette catégorie professionnelle n’a droit qu’à des indemnités journalières, en cas d’incapacité temporaire car la CNPS ne couvre entièrement, en cas d’accident de travail, que les travailleurs salariés. Les statistiques fournies par Mme Keinde indiquent, au chapitre des frais médicaux, que 1850, 1921 et 2026 assurés de la CNPS en ont bénéficié respectivement en 2022, 2023 et 2024 en Côte d’Ivoire. Pendant ces trois années, ce sont respectivement 2450, 1338 et 1753 assurés qui ont bénéficié des indemnités journalières. Le montant cumulé des frais médicaux et des indemnités journalières payés par la CNPS aux accidentés du travail s’élèvent à plus de 18 milliards FCFA, en trois années d’exercice. Ces chiffres, ajoute la directrice adjointe, concernent les assurés ayant déposé leurs dossiers et bénéficiant effectivement d’une prise en charge. 

Pour ce qui est des fonctionnaires civils et militaires, des agents temporaires de l’administration, des magistrats et autres corps de l’Etat, les accidents du travail qu’ils subissent sont pris en charge par une structure de l’Etat. Il s’agit de l’Institution de Prévoyance sociale – Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (IPS-CGRAE), créée par décret numéro 2012-367 du 18 avril 2012.

Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), 2 millions de personnes décèdent d’accidents du travail dans le monde chaque année.

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