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dimanche 12 mai 2024
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Abidjan : Les vendeurs ambulants côtoient la mort

Les nombre des vendeurs ambulants commerçant sur les voies publiques augmente au fil des jours, à Abidjan. Malgré la publication, en 2013, d’une loi  interdisant  formellement  cette activité, ces vendeurs ambulants continuent de s’exposer aux accidents de la route.

 Samedi 13 août 2022. Nous sommes à Yopougon, la commune la plus peuplée d’Abidjan. Le trafic est dense, comme c’est le cas, les jours ordinaires de la semaine. Le tintamarre des klaxons rythme la cadence des véhicules qui avancent en file indienne, dans les grandes artères. Les vendeurs ambulants se faufilent entre les voitures à qui mieux mieux pour proposer à la criée leurs articles aux automobilistes et aux passagers, au niveau des feux tricolores. Vêtements, sacs, ampoules, porte-clés, accessoires de cuisine, jeux d’enfants et autres sont présentés par ses vendeurs imprudents.

Il est 16 heures environ. Alors qu’il vient de frôler la mort, il y a peu de cela, Konaté Moussa, 25 ans, poursuit son activité pour gagner sa pitance quotidienne. « J’ai pu éviter un accident grave sur l’autoroute du Nord, il y a quelques heures de cela. Je veux parler de l’axe Yopougon-Adjamé. Mais, comme on a l’habitude de le dire, qui ne risque rien n’a rien et je n’abandonnerai pas», assure le jeune homme, l’air insouciant.

S’il a pu éviter cet accident, ce ne fut pas le cas de Sawadogo Oumar qui a été percuté par un taxi, au mois de février précédent. Ici, le danger est quasi-permanent.

« Je m’apprêtais même à lui céder le passage lorsqu’il m’a cogné par l’arrière. Depuis ce jour, je fais attention à chaque pas que je fais », témoigne le vendeur rencontré au carrefour Siporex de la même commune.

Les commerçants ambulants sont présents dans la plupart des communes d’Abidjan.

Le harcèlement des vendeurs à Adjamé

Néanmoins, on les retrouve en nombre considérable, dans la cité commerciale d’Adjamé, située au nord de la commune du Plateau.

Cet après-midi, la rue passante de cette commune est bondée de monde. Il faut être doté d’un sang-froid pour y circuler sereinement, surtout au carrefour Liberté où le goulot d’étranglement de la circulation est épouvantable. Ici, commerçants et chauffeurs de véhicules se disputent la chaussée, à la croisée de quatre artères toujours encombrées. Les vendeurs ambulants accostent les passants. Ils les harcèlent et leur lancent des vêtements contre leur gré, avec désinvolture. Plusieurs passants sont envahis de la sorte par ces commerçants, pendant qu’ils sont en pleine traversée de la route. Le désordre et l’insécurité sont immanquablement au rendez-vous.

« On est obligés de se bousculer pour passer. Ces jeunes gens font la loi », se plaint une passante. Zokou Armand, riverain est du même avis. « On n’est plus libre de passer sur cette voie. Malgré les déguerpissements de la mairie, à maintes reprises, ces vendeurs reviennent toujours et ralentissent la circulation. Ces vendeurs n’ont peur de rien. Ils n’hésitent pas à jeter l’une de leurs marchandises sur l’épaule des passants. Ils deviennent très agressifs lorsqu’on s’en plaint », renchérit-il.

Autre lieu, même constat, Port-Bouët, commune bordant tout le long du littoral sur une dizaine de kilomètres, au-delà du canal de Vridi,  au carrefour Akwaba, les commerçants ambulants sont  présents en grand nombre. Ces envahisseurs utilisent la même mode de harcèlement pour écouler leurs marchandises.

« C’est pendant les embouteillages que nous vendons beaucoup plus d’articles aux automobilistes. Lorsque le feu devient rouge, aussi », explique Daou N.

La loi sur le commerce de rue

L’ordonnance 2013-662 du 20 septembre 2013, en son article 19 ratifié par la loi 2013-877du 23 décembre 2013 interdit formellement la vente sauvage ou paracommercialisme. « Cette disposition fait référence à la vente au détail non autorisée. Elle est donc condamnable », brandit un expert, sous anonymat.

En son article 21, la loi stipule que toute infraction aux dispositions de l’article 19 précité est punie d’un emprisonnement de deux à six mois et d’une amende de cent mille à dix millions de francs CFA ou de l’une de ces deux peines. En cas de récidive, l’amende est portée au double.

A la suite de cette loi, le gouvernement, par l’entremise de l’ex-Premier ministre, Hamed Bakayoko, alors ministre d’État, ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, dans un communiqué, interdisait certaines pratiques. Il s’agit de la mendicité et du commerce ambulant, au carrefour des grandes rues de la capitale économique. Cette intervention s’est faite, le 5 août 2013.

A en croire Koffi Diby Alexandre, fonctionnaire au ministère de l’Economie et des Finances, ces dispositions sont prises pour réduire au minimum la concurrence déloyale.  « C’est un commerce illégal parce que ça fout en l’air l’économie du pays. C’est une concurrence déloyale envers les autres commerçants qui ont des locaux, donc qui paient les impôts », fait-il savoir.

Outre le risque des commerçants ambulants et la concurrence déloyale dont ces derniers sont accusés, Koffi Joël, ex-commerçant ambulant, attire l’attention de la clientèle.

 « Il faut se méfier des jeunes. Ils proposent parfois des articles que l’on retouche sur le marché noir.  Et cela peut être très dangereux pour les clients », prévient-il.

Tenir compte de nos réalités

Il est clair qu’en interdisant le commerce de rue, le gouvernement avait à cœur de lutter contre une sorte de concurrence déloyale faite au détriment des commerces légalement constitués. S’il faut saluer cette mesure, il faut cependant se garder de reproduire à l’identique les décisions prises par d’autres pays, notamment d’Europe, qui ont des systèmes et des fondements socio-économiques différents de ceux des États africains. Le secteur informel occupe, on le sait, une place non négligeable dans l’économie de la Côte d’Ivoire, dans la mesure où il représente entre 30% et 40% du PIB (FMI, 2017). Par ailleurs, l’économie informelle y emploie la quasi-totalité de la population active.

Chasser les commerçants ambulants de la sorte, sans leur proposer d’autres alternatives, revient à déplacer gravement un problème, du plan économique au plan social. Autour de ceux qui s’adonnent à cette activité gravitent de nombreuses personnes dont ils s’occupent. De plus, qui peut prévoir ce que deviendra un père de famille auquel l’on a enlevé ainsi le pain de la bouche ?

C’est au gouvernement qu’il revient de trouver des solutions durables à cette problématique : d’une part réguler efficacement le commerce en réduisant la concurrence déloyale à une portion congrue et d’autre part trouver les moyens pour « sortir de la rue » les vendeurs ambulants qui affrontent les véhicules sur les chaussées. 

Cela est d’autant plus urgent que depuis la publication de la loi de 2013, la situation, si elle n’a pas empiré, est restée la même. Le gouvernement a du pain sur la planche.

Marus KONE (stagiaire)

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