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vendredi 25 avril 2025
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Sécurité privée: Pourquoi les vigiles sont mal payés

Sur 1400 entreprises de sécurité exerçant sur le territoire ivoirien, près de 1000 ne sont pas en règle, soit 71 %. C’est le triste constat qu’avait fait le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, le Général Vagondo, en 2021 au cours d’un panel à la 9ᵉ édition CGECI Academy. Selon plusieurs acteurs du secteur de la sécurité privée, ce sombre tableau est l’une des nombreuses raisons qui expliquent les salaires dérisoires des vigiles en Côte d’Ivoire.


«De nombreuses entreprises de sécurité non agréées sont sollicitées parce qu’elles proposent des services à moindre coût». C’est ce qu’a révélé Ouraga Maruis, président du Syndicat des Agents de Sécurité de Côte d’Ivoire (SYNASCI). Il est convaincu que ce sont ces entreprises qui proposent des salaires dérisoires aux agents de sécurité. Pour le syndicaliste, cette situation crée un climat de concurrence déloyale occasionnée par ces entreprises qui ne figurent pas dans la base de données de la Direction de la surveillance du territoire, l’autorité de tutelle chargée de délivrer les agréments aux sociétés de sécurité. À en croire le président du Synasci, l’inexistence d’un standard dans la fixation des salaires conduit à une situation où l’on constate malheureusement que des vigiles sont payés à 50.000 FCFA, voire même 40.000 FCFA le mois. S’il reconnait que certains employeurs sont de bonne foi, il se désole des coûts dérisoires de prestation que leur proposent des opérateurs ou structures privées. La conséquence, c’est que ces promoteurs qui cherchent à faire du profit, sont obligés de sous-payer les agents de sécurité. Pour le patronat des sociétés de sécurité en Côte d’Ivoire, les raisons de la précarité salariale sont bien plus profondes qu’on ne le croit.  

«L’État ne paye pas bien ses prestataires»

Selon Charles Bemi, directeur exécutif de la Fédération Nationale du Patronat des Entreprises Privées de sécurité de Côte d’Ivoire (FENAPEPSCI), l’un des facteurs explicatifs de la précarité salariale des vigiles, c’est l’État lui-même et ses marchés publics. «L’État, à travers les marchés publics, favorise un ghetto salarial», martèle-t-il, avant de rappeler que, lorsque l’État a fait passé le SMIG de 36.607 francs en 2013 à 75.000 francs aujourd’hui, il n’a pas corrélativement revu à la hausse le coût de facturation des marchés, en ce qui concerne les entreprises de sécurité. Le directeur exécutif du patronat des entreprises de sécurité qui compte 314 entreprises dont quatre sociétés de transport de fonds, toutes agréées, révèle que les marchés publics fixent le prix d’un vigile entre 125.000 et 130.000 francs le mois. Cette fourchette, bien au-delà du SMIG, ne semble pas satisfaire le patronat. Selon la faîtière, le prix minimum à facturer, pour un agent de sécurité, devrait être fixé à 245.000 francs, d’après leurs calculs qui tiennent compte des congés payés (Art.25 alinéa1 du Code du travail), de la gratification et des primes que dispose l’article 53 de la convention collective interprofessionnelle. 

Pas de sanctions claires pour les entreprises non agréées ?

Si les entreprises de sécurité comme Puissance 6, 911 Security, Gardian’s, Flash, Sigas Security qui payent leurs agents bien au-delà du SMIG (entre 90.000 et 100.000 FCFA) sont citées en exemple par le patronat et le syndicat des agents de sécurité, le plus gros du lot exerce au «noir». Les clients n’ayant pas toujours le réflexe d’exiger l’agrément de ces entreprises avant de contracter, s’attachent à leur service.  À la question de savoir pourquoi des centaines d’entreprises de sécurité continuent d’exercer sans autorisation, le président du patronat, juriste de formation, explique que le décret n° 2005-73 du 3 février 2005 portant réglementation des activités privées de sécurité et de transport de fonds ne prévoit pas de sanctions claires à l’encontre de ces entreprises qui n’ont pas d’agrément. Dans un rapport d’enquête publié en 2021, le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) avait constaté que « l’obligation d’agrément des personnels, instituée par l’arrêté n°150/MS/CAB du 02 février 2007, ne connaissait pas une application suffisante…» 

Quand les agents de sécurité broient du noir

A Yopougon Mami-Faitai, un sous-quartier, il est 11 heures 30, ce samedi 22 mars 2025. Nous rencontrons N. Koffi, agent de sécurité. Après plusieurs hésitations, il accepte enfin de parler à Le Tamtam Parleur : «Je suis payé à 45.000 francs. Je vis dans cet entrer-coucher avec ma compagne et notre fils. C’est dur». Engagé depuis huit mois par une entreprise de sécurité, il prend six jours sur sept le chemin du travail à 4 heures du matin pour rallier, à pieds, son poste situé à la zone industrielle de Yopougon, distant de près de quatre kilomètres.  «Je n’ai pas le choix. Je préfère donner ce que le transport me coûtera à ma famille», confie-t-il, avant d’expliquer que lorsqu’il tombe malade et qu’il ne travaille pas, ces jours lui sont retranchés dans le salaire. «Au mois de décembre 2024, je me suis retrouvé avec un salaire de 35.000 francs parce que j’ai été malade», rappelle l’agent. Cette situation précaire, D. Lass la vit, lui aussi, dans le quartier de Gonzagueville à Port-Bouët. Avec un salaire de 40.000 francs, il a dû convaincre sa petite famille de retourner au village pour réduire les charges. Le temps de se réorganiser puisqu’il s’apprêtait à aller vivre chez un ami. « Quand je monte à 6 heures, c’est le lendemain à la même heure que je descends», indique-t-il.  Lass, employé depuis deux ans, dit n’avoir jamais eu de congés, de prime et n’a jamais entendu parler de déclaration à la CNPS. «Parfois, j’ai envie d’abandonner, mais je n’ai pas encore trouvé mieux ailleurs», tempère l’employé. Et comme si cela ne suffisait pas, selon le président du Synasci, de nombreux agents de sécurité se retrouvent régulièrement avec des arriérés de salaire. 

Derrière l’apparat reluisant des agents de sécurité se cache souvent une vraie galère./Photo-DR

Les propositions concrètes des acteurs du secteur

Pour Ouraga Maruis, président du Synasci, si l’on veut améliorer les conditions salariales des agents de sécurité, il faut systématiquement fermer toutes les entreprises qui exercent sans agrément. Aussi, il pense qu’il est pertinent d’homologuer le prix des prestations à 300.000 francs minimum pour que la moitié constitue le salaire de l’agent de sécurité, l’autre part revenant à l’entreprise. Quant au directeur exécutif de la Fenapepsci, Charles Bémi, il souhaite que les marchés publics revalorisent les grilles salariales des milliers de vigiles mis à la disposition des structures publiques, par les entreprises du secteur de la sécurité privée.

Le rapport d’enquête diligenté par le Conseil National des Droits de l’Homme a recommandé au gouvernement la mise à jour de la base de rémunérations pratiquées par les services publics, en tenant compte du relèvement du SMIG.

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