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mercredi 23 octobre 2024
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Influenceurs : Quels modèles pour la jeunesse ?

Inconnu, sinon mal connu, il y a encore quelques années, le métier d’influenceur ou d’influenceuse a, actuellement, le vent en poupe, en Côte d’Ivoire. Qu’apportent ces nouveaux héros de l’Internet à notre jeunesse en mal de repères ?

Il y a juste trois ans, Juste Crépin Gondo ne s’imaginait pas connaître la célébrité qui est la sienne aujourd’hui. Début 2020, en pleine période de confinement dû au Covid-19, il commence à poster sur les réseaux sociaux des petites vidéos dans lesquelles il dépeint, avec un zeste d’humour, les faits et méfais qui minent la société ivoirienne. Sur le coup, ses contenus plaisent. Partagées de nombreuses fois – aussi bien par des stars confirmées que par d’illustres anonymes – elles font le tour de la toile. Un sacré coup de publicité pour le jeune homme qui voit sa côte monter en flèche. Au bout de quelques mois, il totalise plusieurs milliers de followers et devient ce qu’on appelle désormais un « influenceur ». Juste Crépin rejoint ainsi le grand groupe des « créateurs de contenus » qui monétisent leur notoriété acquise sur les réseaux sociaux Instagram, YouTube ou Twitter.

Concept marketing à la base

De fait, s’il y a aujourd’hui des gens qui font parler d’eux en Côte d’Ivoire, qui occupent l’espace médiatique et interviennent sur (presque) tous les sujets – de la mode au style de vie, en passant par la musique, l’humour, la cuisine ou la beauté – ce sont bien les influenceurs, ces « prophètes des temps nouveaux » qui ont fini par « coloniser » la jeunesse, devenant toujours et de plus en plus populaires, clic après clic. Apparue depuis quelques années seulement, la fonction d’influenceur tire son origine du microcosme du marketing, où un individu – l’influenceur – à travers son statut, sa position ou même son exposition médiatique, est capable d’influencer les comportements de consommation au sein d’un univers donné. C’est cette capacité d’influence sur la consommation qui explique le fait que les marques ou organisations cherchent à atteindre ou à collaborer de manière formelle ou non avec les influenceurs par le biais de dispositifs et d’actions marketing spécifiques.

Les influenceurs ivoiriens peuvent être divisés en deux grands groupes. D’une part les célébrités qui jouent sur leur image pour impacter la jeunesse et de l’autre, les influenceurs de seconde zone, plus nombreux, qui produisent du contenu au gré de leurs intérêts du moment.

Modèle de réussite sociale

Le travail des influenceurs a changé – ou est en train de changer – le paradigme des modèles de réussite sociale. Le phénomène de la « web influence » traîne derrière lui une réputation sulfureuse, l’objectif pour bon nombre d’influenceurs étant de devenir célèbres, de faire le « buzz » par tous les moyens, de « casser les papos » y compris les plus sordides et les plus intimes. Obnubilés par le désir de récolter le plus grand nombre de « likes », d’émoticônes de cœurs, d’applaudissements virtuels, ils soignent leurs apparences, ne montrent que le bon côté des choses – souvent éloigné de la réalité – surfant ainsi sur la vague des fantasmes populaires de la jeunesse d’aujourd’hui, notamment la richesse, la beauté physique, la réussite matérielle. A ce piège, plusieurs jeunes se font prendre qui avalent goulument ce qu’ils voient sur les réseaux et veulent coûte que coûte ressembler à ceux qui les influencent. Interrogé sur un plateau de télévision, Juste Crépin Gondo dira sur cet aspect des choses : « Je n’aime pas trop le terme d’influenceur parce que cela implique qu’il y a des influencés d’un côté ». Avant d’ajouter : « Je me suis démarqué de tous ces influenceurs. Moi je parle d’influenceurs positifs parce que tout simplement il y a beaucoup d’influenceurs qui sont négatifs ».

La morale fout le camp

C’est un fait connu et exploité : la monstration du sang et du sexe est toujours payante. Et à ce jeu, la plupart de nos influenceurs n’ont de leçons à recevoir de personne. Ils s’y adonnent à cœur joie, jouant sur la trivialité comme un levier pour récolter le maximum de clics à monétiser ensuite.  La célèbre et plantureuse Eudoxie Yao, aux formes généreuses a déclaré sans ambages, selon Abidjan Show : « J’expose mon corps parce qu’il me fait gagner de l’argent. C’est mon corps qui m’a rendue célèbre ». C’est tout dire ! Autant sa réponse pose la question de l’évolution de la notion de « modèle de réussite sociale », elle pose également celle de la morale qui doit guider l’action de toute personne qui se sait influente et qui est convaincue de son action sur la masse. Avec elle, les jeunes ont compris que pour être célèbre et gagner de l’argent plutôt que de passer de longues années d’études pour obtenir un diplôme ou pour une formation professionnelle – afin de devenir médecin, ingénieur, avocat, enseignant, … – il suffit d’avoir un ordinateur, de s’afficher dans une vidéo ou un spot publicitaire de quelques secondes ou minutes, se dénuder, parader à longueur de journée sur les réseaux sociaux et récolter en une seule prestation des sommes faramineuses.

Des exemples à copier

Aujourd’hui, l’importance d’Internet et des réseaux sociaux n’est plus à démontrer. Tout se passe comme dans une jungle où se rencontrent le meilleur et le pire, où l’on trouve des informations utiles et éducatives, comme celles futiles et nocives. L’internaute ne doit plus être cet être facilement influençable auquel l’on vent du faux. « Il doit être animé et faire preuve d’esprit critique, de sagesse et de discernement afin de séparer le bon grain de l’ivraie, de promouvoir l’utile et combattre le futile. Il appartient aux leaders d’opinion, aux têtes de proue de ce phénomène d’influenceur de remettre l’homme au centre des préoccupations de tous en contribuant à la redéfinition, à la préservation des normes et des valeurs sociales », comme le dit si bien la romancière camerounaise Caroline Meva.

Fort heureusement les influenceurs ivoiriens ne font pas que dans la recherche effrénée de buzz. Certains ont décidé de se servir de leur popularité pour diffuser des messages positifs, répondant ainsi aux nouveaux enjeux environnementaux ou sociétaux via les réseaux sociaux. Objectif : inciter leurs communautés – sur Instagram, YouTube, Facebook ou TikTok – à consommer de manière consciente. Citons entre autres Sartaï, jeune artiste peintre engagée qui prône avec fierté l’identité ivoirienne sur son compte Instagram, Nader Fakhry, micro-aventurier qui partage des expériences pour réussir à changer le regard des Africains sur leur continent et Prince Edja qui veut rendre « toute l’Afrique accessible » via son compte Instagram.

Pour Juste Crépin Gondo, l’influenceur doit avoir de la culture pour traiter des sujets sérieux et faire avancer la société. A ses pairs influenceurs, il fera cette adresse devenue une boutade : « Il y a des problèmes de société et le peuple attend beaucoup de vous. Vous laissez les sujets importants tels que la cherté de la vie, et c’est quand il y a des sujets en dessous de la ceinture qu’on vous entend. Commencez d’abord par être utiles, arrêtez d’être grossiers. Lorsqu’on traite un sujet, c’est pour aboutir à une suite. Quand les gens te prêtent leurs oreilles, ce n’est pas pour déverser des ordures dedans ». C’est tout dire !

Influenceurs : Attention à la dérive

Les influenceurs doivent le savoir – pour ceux qui l’ignorent encore – que le 9 mars 2022 ont été adoptés, en Conseil des ministres, deux projets de loi modificatifs de la loi n°2017-867 du 27 décembre 2017 portant régime juridique de la presse. Il s’agit de « prendre en compte et assurer une régulation plus efficiente des mécanismes nouveaux et croissants des communications publiques dont le développement nécessite une adaptation constante du cadre légal existant ». Ces modifications viendront réguler les activités de communication audiovisuelle et de production d’informations numériques diffusées par Internet et autres canaux multimédias, des productions, insuffisamment prises en compte par la législation et qui échappaient au contrôle des différentes autorités de régulation du secteur de l’information et de la communication, notamment l’Autorité Nationale de la Presse (ANP) et la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA). En effet, le projet de loi modificatif vise à rappeler à l’ordre blogueurs et activistes dont les productions ne respectent aucune règle de diffusion de l’information. Implicitement, il est demandé aux producteurs et diffuseurs d’informations numériques (sur Internet) de se constituer en entreprise de presse s’ils entendent exercer dans ce secteur. « Ces différentes modifications permettront de soumettre tous ces contenus audiovisuels et production d’informations numériques diffusées par les acteurs d’Internet, je pense notamment aux blogueurs, aux activistes ou influenceurs. Il s’agit ici de les inciter au respect des textes des principes généraux de l’information de la communication », a expliqué le ministre de la Communication et de l’Economie numérique, Amadou Coulibaly, prévenant des risques encourus par les producteurs d’informations. « Il s’agit ici de protéger les mineurs dont le développement mental, physique pourraient être affectés de par leurs activités et de prévenir le grand public contre certaines infractions courantes telles que l’incitation à la haine, la discrimination ethnique, sociale ou religieuse, la xénophobie ou à la provocation publique », a-t-il insisté. Les influenceurs sont donc prévenus. Il ne leur reste plus qu’à proposer des contenus de qualité pour impacter positivement leurs différentes communautés.

M’Bah Aboubakar

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