28 C
Abidjan
dimanche 27 octobre 2024
AccueilLe Grand angleFinance, épargne, gestion : Pourquoi les Ivoiriens « fuient » les banques

Finance, épargne, gestion : Pourquoi les Ivoiriens « fuient » les banques

Les chiffres fournis par le gouvernement estiment que moins de 20% de la population ivoirienne dispose d’un compte bancaire. Une faiblesse du taux de bancarisation qui provient de plusieurs facteurs.

Le rapport de la Banque Mondiale intitulé « La course vers l’émergence : pourquoi la Côte d’Ivoire doit ajuster son système financier », publié en 2016, indique que seul un épargnant sur huit choisit de placer ses économies dans une banque ou un établissement financier. Ce qui représente un taux presque deux fois inférieur à celui observé sur le continent et presque trois fois en dessous de la moyenne dans les pays à bas revenus. Pour les analystes de cette institution financière, l’explication de cette situation est à la fois historique et pratique. « La réticence des Ivoiriens s’explique en partie par la crise politique qui a rompu les liens de confiance entre les épargnants et leurs banques. Elle provient aussi de la défaillance historique de plusieurs banques publiques qui sont susceptibles d’être fermées, restructurées ou privatisées », à en croire Jacques Morisset, économiste en chef à la Banque Mondiale et auteur du rapport. Cette réticence peut aussi s’expliquer, fait remarquer Jacques Morisset, par le fait que les épargnants ivoiriens ont tendance à privilégier les placements qui leur offrent de meilleurs rendements. « Dans les conditions actuelles, il y a peu d’incitation à ouvrir et à gérer un compte bancaire pour de nombreuses raisons : frais de transport pour se rendre à une banque, temps perdu devant le guichet et coûts excessifs des transactions bancaires. Par ailleurs, la détention d’un compte bancaire n’est pas une garantie pour obtenir un crédit, car les banques ivoiriennes privilégient les grandes entreprises, l’achat de titres de l’État ou la constitution de réserves de liquidités », écrit-il.

Les banques délaissées…

Dans ces conditions et en tenant compte des griefs relevés, l’on remarque que de plus en plus, les épargnants ivoiriens délaissent les banques pour se tourner vers les opérateurs de téléphonie mobile. « La problématique liée aux coûts demeure également un élément central qui dissuade les épargnants ivoiriens d’acquérir un compte bancaire ou en microfinance. D’où le succès des comptes mobiles qui offrent aux utilisateurs une facilité d’accès et l’aisance de transférer l’argent d’un compte à l’autre. Par ailleurs, les épargnants ont l’avantage de consulter par eux-mêmes leur solde à travers leur téléphone mobile, évitant les attentes en banque », écrit l’Agence de Promotion de l’Inclusion Financière (APIF) dans la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière 2019-2024.

En 2014, les détenteurs de compte mobile money (24 %) ont dépassé ceux de comptes bancaires (15 %). A en croire les analystes de la Banque mondiale, le ratio d’adultes avec un compte mobile en Côte d’Ivoire est le cinquième au monde (au moment de la publication du rapport) derrière le Kenya (58 %), la Somalie (37 %), l’Ouganda (35 %) et la Tanzanie (32 %). Moins de cinq ans après son arrivée en Côte d’Ivoire, le mobile money s’impose donc comme l’un des moyens de transactions financières les plus utilisés par la population. Du côté de l’Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI) l’on estime que sur les 24 millions d’abonnés au réseau de téléphonie mobile enregistrés en juin 2015, 7,2 millions ont des comptes de mobile money. Au cours du premier semestre 2015, les recettes sur les retraits, les transferts et les paiements de factures ont atteint 17 milliards FCFA, soit environ 28 millions de dollars. Plus de cinq ans après, les chiffres peuvent avoir augmenté.

…au profit du mobile money

Pour inverser la tendance et renforcer l’intermédiation bancaire dans le pays, la Banque Mondiale a conseillé à Abidjan de faire en sorte que les banques et établissements de micro-crédits « se rapprochent de leur clientèle à travers des innovations et des partenariats pour réduire leurs coûts de transaction ». Ensuite, il serait avantageux de « favoriser l’essor des institutions financières autres que les banques commerciales », recommande-t-elle. « Un renforcement du système financier est indispensable, si la Côte d’Ivoire veut poursuivre la voie de l’émergence. Avec une amélioration de son indice de développement financier à hauteur de celui observé au Cap-Vert ou en Namibie, sa croissance économique pourrait augmenter de 2,4 %. S’il (cet indice, Ndlr) atteignait celui de l’Afrique du Sud, sa croissance pourrait augmenter de plus de 5 % », analyse l’institution bancaire.

Cela dit, il est indéniable que le secteur bancaire local connait depuis quelques années un dynamisme croissant. La cartographie de la bancarisation en Côte d’Ivoire, éditée en septembre 2018 par le ministère de l’Economie et des Finances, indique que le nombre d’agences bancaires sur le territoire national est passé de 281 en 2008 à 692 en 2017, soit une augmentation de 146%. En outre, le bilan total des banques a connu une hausse de 12,63% en passant de 9.658,81 milliards de francs CFA en 2016 à 10.878,55 milliards francs CFA en 2017. « Malgré ce dynamisme du marché, nuance le rapport, le taux de bancarisation en Côte d’Ivoire demeure encore faible ». Les services bancaires sont sous-utilisés par la majeure partie des personnes de plus de quinze ans. « Au sens strict, seulement 19,7% de cette population dispose d’un compte bancaire », indique l’étude menée par les économistes ivoiriens.

L’analyse des caractéristiques fournies par le ministère de l’Economie et des Finances fait noter que la clientèle des banques est composée de 70% d’hommes contre 30% de femmes, la majorité ayant plus de 25 ans (96%). « Les jeunes dont l’âge est compris entre 15 et 25 ans sont sous-bancarisés (4%) alors qu’ils représentent 19% de la population totale », indique le rapport. « La population titulaire de comptes est constituée en majorité de salariés du secteur privé (71%). Pour ce groupe, l’ouverture de compte est systématique pour la perception des salaires et accessoires. Il en est de même pour les fonctionnaires qui représentent 16% des clients. Les commerçants et agriculteurs représentent respectivement 9% et 4% de la clientèle.

La Stratégie Nationale d’Inclusion Financière 2019-2024 rédigée par l’Agence de Promotion de l’Inclusion Financière a pour objectif – entre autres – de porter le taux de bancarisation à 50% en 2024.

M’Bah Aboubakar

Articles Similaires
spot_img

Articles Populaires

commentaires recents