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lundi 20 mai 2024
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Divorce en Côte d’Ivoire : Une augmentation alarmante

Le taux de divorce est passé de 40.7% en 2020 à 45.4% en 2021. Ces chiffres rendus publics par le ministère de l’Intérieur, mettent en lumière un phénomène qui prend de l’importance dans la société ivoirienne.

La toute dernière édition de l’Annuaire statistique d’état civil – publiée le 27 juin 2022 – indique une hausse des cas de divorce pour l’année 2021. Selon le document, le taux de divortialité est de 1.112 divorces accordés (soit 40,7%) sur 1.668 demandes en 2020 contre 1.590 divorces accordés en 2021 (soit 45,4%) sur 2300 demandes de divorce. Des chiffres qui confirment bien l’augmentation du taux de divortialité de 2020 à 2021. Selon la loi n° 98-748 du 23 décembre 1998 modifiant et complétant la loi n° 64-376 du 7 octobre 1964, relative au divorce et à la séparation de corps, modifiée par la loi n° 83-801 du 2 août 1983, le divorce est la rupture officielle d’un mariage civil ou religieux liant précédemment deux personnes, ou plusieurs en cas de polygamie.

Pourquoi divorce-t-on ?

Plusieurs personnes divorcées ou en instance de divorce ont évoqué de nombreuses raisons pour expliquer leur séparation. Sous anonymat, elles ont témoigné avoir rencontré dans leurs couples des difficultés telles que « l’incompatibilité d’humeur », « beaucoup d’impréparation et d’immaturité », « un manque de résilience face aux épreuves et difficultés de la vie »,… A ces causes, il faut également ajouter, selon d’autres témoignages, des « difficultés à agir ensemble, à bien communiquer ». La question spirituelle, l’infidélité, la distance géographique – le fait que les conjoints ne vivent pas et ne travaillent pas dans la même ville – les questions financières (peu de revenu du mari, femme plus riche que l’homme) font aussi partie des causes de la séparation de certains couples.

Pour mieux comprendre le phénomène, nous avons interrogé une source judiciaire au fait de la question. A l’en croire, la cause la plus récurrente dans les demandes de divorces aujourd’hui est « l’injure grave ». Selon ses explications, « l’injure grave » est un « fourre-tout » qui explique la plupart des divorces. « On peut définir l’injure grave comme tout comportement humiliant, malséant de la part d’un ses époux », explique notre source judiciaire.

L’avis du sociologue

Professeur en Sociologie et enseignant chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Pr Sehi Bi Tra Jamal, estime que la hausse du taux de divorce en 2021 est un « indicateur précieux de ce qu’on pourrait appeler l’effritement du lien social » en Côte d’Ivoire. Dans le contexte africain, explique le sociologue, l’homme et la femme se mettent ensemble en vue de procréer. Et l’occidentalisation des relations amène à conclure qu’il y a mariage entre un homme et une femme lorsque ce lien est porté devant l’officier d’État civil. Généralement, poursuit Pr Sehi Bi, cette formalisation du lien devant l’officier d’État civil intervient beaucoup plus tard, parce qu’on se dit qu’après cinq ans, six ans ou dix ans de relation, on connaît mieux le conjoint. Or, à en croire le sociologue, la réalité est tout autre. « Quand on se sait observé, on montre aux yeux de celui qui observe ce qu’il recherche en termes de valeurs sociales et morales », fait-il observer. « Mais une fois installé dans le mariage, on montre son vrai visage, c’est-à-dire qu’on laisse tomber les maquillages », ironise-t-il.

Le manque de tolérance

Pour l’enseignant chercheur, un couple vit mieux si les deux conjoints gardent cet élan de pouvoir toujours faire mieux. Par contre, si l’un a le sentiment d’avoir tout donné, le mariage court le risque de s’effriter rapidement. En plus, ajoute-t-il : « au fur et à mesure que les contraintes matérielles et financières pèsent sur le couple, ils (Ndlr : les conjoints) deviennent naturellement susceptibles et très fragiles. Et cette susceptibilité fait qu’on est fébrile et qu’on assume rarement et correctement ses responsabilités.» Pour cela, conseille-t-il, celui qui se marie doit mesurer son degré de tolérance vis à vis de l’inconnu. Si ce degré-là est très important, il a la chance de vivre sans divorcer. Si ce degré est très faible, il court le risque de divorcer juste après avoir célébré le mariage.

Le regard de la société

Le regard de la société sur le mariage et le divorce est également important. Selon Pr Sehi Bi, la société attend des gens mariés qu’ils ne divorcent pas, quelles que soient les raisons. Et c’est pour cela que le divorce choque. « Tous ceux qui nous entourent, y compris les enfants, souhaitent que les mariés ne divorcent pas. Pour y arriver, il faut que le seuil de tolérance de chacun soit supérieur à la moyenne. Il faut qu’on soit prêt à accepter l’autre en ayant à l’esprit que malgré tout le temps passé ensemble, il reste un inconnu », estime le sociologue. Il souligne par ailleurs  que le divorce peut se justifier, lorsqu’il y a des périls sur la vie de chacun des deux conjoints. « Si être ensemble constitue un risque permanent sur la vie de l’autre, la chance de survivre devient le divorce », recommande-t-il.

Le rôle des autorités administratives

Professeur Sehi Bi Tra relève aussi  un autre point à la base des divorces en Côte d’Ivoire. En effet, l’une des raisons essentielles, au-delà des incertitudes, c’est le fait que le mariage légal est mal vu par la société africaine dans son ensemble. Et c’est souvent l’administration qui « oblige » à se marier à cause des avantages liés au mariage officiel. Ainsi, les autorités administratives sont-elles invitées à mettre la main à la tâche pour mieux expliquer le mariage et pour faire un bon suivi, après la célébration de l’acte.« Il faut aller expliquer pourquoi il faut formaliser son union. Les gens n’ont pas une compréhension nette du mariage civil. Et ces illusions, ces idées reçues, constituent une faiblesse », décrypte-t-il, rappelant que c’est la responsabilité première des officiers d’état civil parce que le mariage devient de plus en plus un luxe.

Pour l’expert en sciences sociales, à l’instar des communautés religieuses qui font des formations des couples, les autorités administratives doivent encadrer et inviter les familles pour des partages d’expériences. « Les couples qui sont en difficultés peuvent venir partager leurs difficultés avec d’autres parce que ce qui emmène l’un à prendre la décision de divorce est peut-être quelque chose que l’autre a positivé », relativise-t-il.

Ce que dit la loi

Au regard de la loi n° 98-748 du 23 décembre 1998 modifiant et complétant la loi n° 64-376 du 7 octobre 1964, relative au divorce et à la séparation de corps, modifiée par la loi n° 83-801 du 2 aout 1983, le juge peut prononcer le divorce ou la séparation de corps dans les cas suivants : dans un premier temps, à la demande d’un des époux, pour cause d’adultère de l’autre, pour excès, sévices ou injures graves de l’un envers l’autre et en cas de mauvais comportement. Il faut souligner que les « mauvais comportements » sont une des nouveautés du projet de loi révisé relatif au divorce et à la séparation de corps défendu par le ministre Sansan Kambilé,  mercredi 6 juillet 2022, devant les députés. Le texte a été adopté par l’ensemble des parlementaires.

Encadré : Divorces chrétien et musulman, parlons-en

La séparation de couples ne concerne pas que la mairie. Des couples chrétiens et musulmans – pour ne citer que ces deux grandes religions – se séparent également pour diverses raisons. Dans son mémoire intitulé « Le divorce des pasteurs en milieu évangélique ivoirien : approche socio-anthropologique d’un phénomène désintégrateur à travers le cas des communautés  Assemblées de Dieu  et  Ministère international de la révélation », soutenu le 21 octobre 2021, N’dri Kouadio Patrice pose le problème. L’impétrant avance que plusieurs facteurs expliquent le divorce dans ces dénominations. Son mémoire révèle que les raisons de séparation, les plus importantes, sont les  tensions et les disputes récurrentes dans le couple, l’infidélité continue des époux. À cela, il faut ajouter le manque de pardon et d’acceptation réciproque des conjoints en cas d’erreur, la fuite subtile de l’un des conjoints du foyer, etc.

Bien qu’ils soient des guides religieux, plusieurs pasteurs succombent et rompent le lien sacré de leur union. Des séparations qui favorisent la régression du fonctionnement social et politique des communautés chrétiennes. De ce fait, quelques responsables d’église ont appelé les futurs époux à se faire former et encadrer en vue de bien réussir leur mariage.

Chez les musulmans, le mariage est considéré comme un contrat privé dont l’Islam accepte la dissolution par le divorce. Selon un imam qui a requis l’anonymat, les causes du divorce en Islam sont nombreuses. Il s’agit de l’incompatibilité d’humeur entre les époux, de l’insuffisance de l’amour de l’un pour l’autre ou des deux, du mauvais caractère de la femme ou de son insoumission vis-à-vis de son mari. Notre interlocuteur citera également le mauvais caractère du conjoint et son comportement injuste envers sa femme, le non-respect de ses droits ou son incapacité à y faire face, le fait pour l’un d’entre eux ou les deux conjoints de commettre des actes de désobéissance – envers Allah – de nature à détériorer leurs relations et d’aboutir au divorce. « J’ai rarement assisté à des cas de divorce car la procédure est longue en Islam, sauf pour celui qui veut faire le divorce sans se référer aux principes de la religion »,  souligne-t-il, exhortant les futurs mariés à épouser quelqu’un qui craint Dieu.

Sandra KOHET

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