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samedi 22 mars 2025
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Cedeao/sortie de l’AES:  Les secteurs impactés

La sortie de la CEDEAO des trois pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), le 29 janvier 2024, aura d’importants impacts économiques sur le Burkina, le Mali et le Niger, de l’avis des experts. La zone de libre-échange, le marché de l’électricité, la liberté de circulation des personnes, des capitaux et des biens, les flux commerciaux et le financement du développement régional seront perturbés.

Un rapport confidentiel de la Banque mondiale de mai 2024, obtenu par Le Tamtam Parleur, faisant l’évaluation préliminaire des impacts économiques potentiels de la sortie des trois pays de la Cedeao, relève que la rupture occasionnera de nombreuses conséquences à court, moyen et long termes aux plans économique, politique et social pour l’ensemble de la région.  Les nouveaux documents d’identité annoncés par l’AES mettent fin au passeport et à la carte d’identité nationale biométrique de la Cedeao. Et les citoyens ouest-africains perdront du même coup leur liberté de voyager sans visa, de bénéficier du droit de résider et de travailler au sein de la Cedeao et de l’AES. La décision des trois États de l’AES de sortir de la Cedeao est d’autant plus paradoxale que l’essentiel de leurs populations vit à l’étranger, spécialement dans cet espace d’intégration. La palme de la plus importante diaspora -par le nombre- dans la Cedeao, revient au Burkina Faso (97% dont 93% dans l’Uemoa) ; au Mali (73% dont 55% dans l’Uemoa) et au Niger (92% dont 60% dans l’Uemoa), selon les chiffres de la Banque mondiale (2020). 

Des impacts inévitables sur le transit et le libre-échange

D’après l’étude de la Banque mondiale, les perturbations des mécanismes de la Cedeao auront des impacts économiques négatifs sur les pays au sein de l’Uemoa, plus particulièrement sur ceux de l’AES.  Le premier parmi les instruments importants de la Cedeao à être impacté, c’est la convention de la Cedeao sur le Transport Routier Inter- Etats (TIE) et le Transit Routier Inter-Etats (TRIE), ainsi que le droit d’accès à la mer pour les pays enclavés, édicté par les Nations Unies.  Cette convention complétée par des accords bilatéraux entre les pays permet aux Etats du Sahel sans débouché maritime d’avoir accès aux ports de la Cedeao et particulièrement de l’Uemoa, notamment les ports d’Abidjan (Côte d’Ivoire) ; Lomé (Toma) ; Accra et Téma (Ghana) ; Cotonou (Bénin) ; Abuja (Nigéria) et Dakar (Sénégal). Le transport par la route entre les Etats, des biens et des personnes, obéissent à cette même réglementation. 

Le second instrument dans l’œil du cyclone est la politique commerciale commune connue sous le nom de Schéma de libéralisation des échanges (SLE) qui a établi une zone de libre-échange (ZLE), une union douanière et un Tarif extérieur commun (TEC).  De façon pratique, dans le cadre de cette ZLE, les marchandises sont transportées d’un pays membre à un autre en franchise de droit sans taxations et d’impositions sur les marchandises produites dans la zone. 

Mais la donne pourrait évoluer, après le départ de l’AES. Ces instruments que sont TRIE, TIE, SLE ou TEC appartenant à la Cedeao cesseront d’être appliqués, selon les experts qui prévoient une révision de certains accords sur le commerce transfrontalier, après la suppression du TEC. Et les effets seront l’imposition des formalités et taxes payantes aux opérateurs qui pourraient réorienter certains produits ( du bétail, agricoles, miniers, etc.) des pays de l’AES vers des espaces communautaires autres que l’Uemoa. Pour la Banque mondiale, les impacts liés à cette situation seront les fermetures de frontières ou des contrôles exagérés pouvant entrainer des retards de livraisons des marchandises ; des risques pour les produits périssables et des risques de pénuries des biens de première nécessité. L’institution financière ajoute que l’allongement des trajets va, en outre, renchérir les coûts de transport et faire grimper les prix de détail sur le marché des pays. 

Selon M. Amara Traoré, Directeur des infrastructures logistiques et des transports de l’Office Ivoirien des Chargeurs (OIC), le « divorce » entre la Cedeao et l’AES conduira à la rupture de certains contrats entre les affréteurs et les transporteurs à cause du climat de méfiance; une baisse de la quantité des marchandises en transit par les ports ivoiriens ainsi qu’une baisse du trafic due à la révision de certains accords en matière de transit maritime ; une baisse du trafic des marchandises fabriquées en Côte d’Ivoire du fait du durcissement éventuel des droits de Douane imposés par les pays de l’AES. À cela s’ajoute l’augmentation du coût du transport entre la Côte d’Ivoire et les pays de l’AES ; l’apparition de conditions difficiles pour l’accès au fret au départ de la Côte d’Ivoire vis-à-vis des transporteurs non nationaux. 

Importations et exportations sérieusement impactées

Le trio Mali-Burkina-Niger est fortement dépendant de la Cedeao et l’Uemoa pour les importations. Soit respectivement 44% ; 35% et 25% des importations en provenance de la Cedeao dont 34% dans l’Uemoa et 3% du Ghana et du Nigéria. Les produits importés de la Cedeao par les 03 Etats sont essentiellement les suivants : combustibles minéraux, huiles minérales, légumes, animaux vivants, produits d’origine animale (Niger), Zinc, minerais, déchets, engrais, etc. 

L’étude de la Banque mondiale précise encore que l’absence désormais d’une zone de libre-échange entre les Etats de l’AES et ceux de la Cedeao hors Uemoa -Nigéria et Ghana- va occasionner de nouveaux droits de douane et obstacles non tarifaires. Hassimi Hamidou Sofiani, représentant du Conseil Nigérien des Transporteurs (CNUT) en Côte d’Ivoire atteste que « les tarifs de douane changent » tout en affirmant que « c’est un sujet qui sera débattu par les autorités compétentes ». 

En matière d’énergie, un marché régional de l’électricité de la Cedeao, West Africa Power Pool (WAPP) relie tous les Etats membres, y compris les 03 pays, à un réseau électrique régional. Malheureusement, ce système qui améliore l’accès à l’électricité prend un coup. 

Le Burkina Faso importe de l’énergie du Ghana et de la Côte d’Ivoire ; le Mali consomme l’électricité ivoirienne ; et le Niger importe 70% de son électricité du Nigéria.  La sortie des 03 pays, selon toujours le rapport de la Banque mondiale, réduira leurs importations d’énergie en provenance du WAPP, et ils devront chercher à augmenter la production nationale. Mais cette réduction énergétique n’est pas sans conséquences : il y aura un renchérissement des coûts, entrainant la chute de la croissance annuelle moyenne jusqu’à 0,6 à 0,9 % du PIB pour le Mali et le Burkina avec à la clé une inflation à l’importation de 3%.


La transport des marchandises est le principale secteur de la vitalité des économies des pays de la CEDEAO/Photo-DR

Financements et développement régionaux compromis

L’AES est bénéficiaire d’importants programmes régionaux sur la sécurité alimentaire, le pastoralisme, l’irrigation et la résilience du système alimentaire. Ces projets et programmes estimés à 500 millions dollars US seront suspendus ; tout comme les financements du développement régional par la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD).  Par ailleurs, la principale source de financement domestique des trois pays qui est le marché obligataire régional de l’Uemoa est aussi gravement compromise. La Bceao a corsé ses mesures, faisant grimper les primes de risques pour le Burkina, le Mali et le Niger, par rapport aux autres pays de l’Uemoa. Les rendements moyens actuels des obligations à 3 ans sont de 9 à 10% pour le Mali et le Burkina. Des pays hors AES tels que la Côte d’ivoire, le Sénégal et le Bénin affichent des taux de rendement moyens sur 3 ans respectifs de 6,57% ; 7,52 % ; 6,81 %. 

L’Uemoa comme alternative à la Cedeao

L’Uemoa reste-t-elle une alternative pour les pays de l’AES face aux conséquences de la sortie de la Cedeao ? En tout cas, la plupart des instruments et mécanismes d’intégration de la Cedeao se retrouvent dans l’Uemoa. Hamidou Kabré, représentant du Conseil Burkinabè des Chargeurs en Côte d’Ivoire rassure que « pour ce qui concerne le Burkina Faso, membre de l’UEMOA, il n’y a aucun changement au niveau des importations et exportations passant par les ports de la Côte d’Ivoire… ». Pour Hassimi Sofiani du CNUT, des risques existent, mais il demeure convaincu que des « solutions seront trouvées », afin que chacun puisse défendre ses intérêts

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