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lundi 16 septembre 2024
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Newton Ahmed Barry, journaliste burkinabè: « Le voyage de Goïta à Ouagadougou était pour sauver le soldat IB »

Le président du Mali, Assimi Goïta, a effectué une visite de travail et d’amitié de 24 heures au Burkina Faso, le 25 juin 2024, qui a suscité de nombreux commentaires. A ce propos, nous avons interrogé, le 27 juin 2024, le journaliste-éditorialiste burkinabè, Newton Ahmed Barry, ex-président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et consultant international.

Le Tamtam Parleur : Comment analysez- vous la rencontre Ibrahim Traoré-Assimi Goïta à Ouaga ?

Newton Ahmed Barry : N’étant pas dans le secret des dieux, c’est un voyage officiel qu’on n’a pas vu venir. Toute chose qui est inhabituelle, à ce niveau des relations entre Etats. Mais supposons que c’est pour des raisons de sécurité que la visite de travail et d’amitié a été organisée en catimini, vu que nous sommes dans une zone où les Etats n’ont pas le contrôle total de leur territoire.

L’on constate aussi que cette visite survient, après que le régime du capitaine Ibrahim Traoré a vraiment vacillé par suite d’un mouvement d’humeur au sein de sa garde rapprochée qui a valu le déclenchement d’un tir de roquette, le 12 juin, au moment où le capitaine présidait un conseil des ministres, non loin de là. La version officielle laisse croire qu’il s’agit d’un « banal incident survenu au moment de la relève entre deux équipes de gardes ». Et, il s’en est suivi des ballets de gros porteurs militaires entre Bamako et Ouagadougou présentés officiellement comme le transport des munitions onusiennes de Gao à Ouagadougou pour être détruites. Mais, au sein de l’ONU, on est plutôt perplexe. Certains se demandent comment est-ce possible, surtout que la compagnie transportant ces munitions est sous sanctions des Etats-Unis.

La visite du président Goïta à Ouagadougou est donc une surprise avec certainement d’autres motivations non officielles. Car pendant le Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (Fespaco) 2023 où le Mali était pays invité d’honneur, il avait été annoncé et finalement il n’était pas venu. A cela, il faudrait ajouter qu’Assimi Goïta est un président casanier, qui ne voyage pratiquement pas. Pour toutes ces raisons, on peut penser que le voyage de Goïta à Ouagadougou était pour sauver le soldat IB.

Des militaires russes et maliens assureraient la sécurité du président Traoré. Le régime de transition serait-il sérieusement menacé ?

Comme toutes les sources sérieuses le disent, si les militaires maliens et des mercenaires russes ont été convoyés à Ouagadougou au moment fort de la crise consécutive au tir de la roquette qui est tombée dans la cour de la télévision nationale (RTB), ce n’est sûrement pas pour rien. L’arrivée des militaires maliens et des mercenaires russes que des sources maliennes confirment semble avoir été le moment de bascule qui a remis le capitaine Ibrahim Traoré en selle. Donc la question n’est plus de savoir s’il y a problème. Il s’agit effectivement de savoir si cette présence de militaires maliens et mercenaires russes réussira à enrayer la défiance contre IB. Évidemment, le régime étant hyper fermé, on sait peu de choses de ce qui se passe dans l’enceinte du bunker présidentiel de Koulouba. Mais il y a des signaux qui montrent que ce ne serait pas la totale sérénité. Pendant combien de temps le couvercle de la cocotte va être maintenu fermé ? C’est l’enjeu à mon avis. Surtout que les coups de semonce au lieu d’inciter à se ressaisir poussent le capitaine à devenir « vraiment méchant ».

Au Mali et au Burkina Faso, les chartes ont été modifiées et la transition rallongée de trois à cinq ans avec possibilité pour les deux chefs d’Etat d’être candidats aux élections prochaines. Qu’en dites-vous ?

Dès janvier 2024, en sortant de la Cedeao, les juntes militaires au Mali, au Niger et au Burkina anticipaient leur refus de se plier aux délais de fin des transitions. Dès lors, ils ne restaient plus qu’à formaliser ce refus en usant des ficelles des forces vives et des assises nationales. La preuve au Mali et au Burkina les consultations ont soigneusement ignoré ceux qui n’étaient pas favorables. Les partis politiques représentatifs, les représentants des communautés religieuses et des légitimités traditionnelles ont boudé ces assises. Donc les militaires qui n’écoutent que leurs volontés font comme bon leur semble. La junte malienne vient d’arraisonner une dizaine de chefs de partis politiques pour délit de réunion dans un domicile privé. Même l’ancien président malien Moussa Traoré n’avait pas osé cela.

A votre avis, de quels moyens disposent Ibrahim Traoré et Assimi Goïta pour garder le pouvoir jusqu’à expiration de ces délais, quand on sait qu’un consensus n’existe pas avec les forces politiques dans ces pays ?

Ce sont des pouvoirs qui n’ont pas de résultats dans la lutte contre le terrorisme. Or c’est la raison principale qui a justifié leur avènement. En l’absence de résultats tangibles, ils perdent leurs légitimités. Dans ces conditions, la survie ou leur maintien est plutôt hypothétique. Il n’est pas possible de perpétuer durablement la peur et la terreur avec lesquelles ils tiennent tout le monde en respect. Il y a bien sûr la donne russe. Mais les peuples sahéliens ont montré par le passé qu’ils savaient se défaire des régimes autocratiques.

Comment jugez-vous le bilan sécuritaire des militaires au pouvoir à Bamako et à Ouagadougou ?

Si les résultats étaient probants dans la lutte contre le terrorisme, les juntes n’allaient pas se durcir. Au Mali, la junte arraisonne les partis politiques pour les empêcher de dénoncer sa faillite. Au Burkina, la junte est vent debout contre la presse et les journalistes qui interrogent ses incapacités. Comment peut-on penser que les armées montent en puissance avec des drames comme à Mansila (NDLR : localité située à l’Est du Burkina où une attaque terroriste contre le camp militaire aurait fait selon plusieurs médias 107 tués parmi les soldats burkinabè, le 11 juin 2024) avec une centaine de soldats tués, 7 otages et l’arsenal de la base emporté ? Il n’y avait pas trop d’illusions sur la chance de succès des juntes. En revanche, il faut avouer qu’on était loin de penser que ceux-ci pouvaient échouer de cette manière.

Les pays du Sahel sont désormais tournés vers la Russie pour s’équiper militairement et une atmosphère de révolution anti-occidentale se développe au sein de cette jeunesse sahélienne. Quelle appréciation faites-vous de ce tournant géopolitique ?

Le problème avec la situation actuelle, c’est qu’une frange de Sahéliens est en rébellion contre l’ancienne puissance coloniale, après ingestion d’une propagande insidieuse qui a su réveiller les ressentiments de la colonisation. Cependant, si on demandait à ces frondeurs de choisir où ils voudraient émigrer, il n’est pas certain que 10% choisissent comme destination la Russie. Tout simplement parce que même si cette jeunesse est en conflit avec la démocratie telle qu’elle a été pratiquée par les élites, elle reste ataviquement attachée à des idéaux proches de ceux en vigueur en Occident et dans l’ancienne métropole. Nous sommes à un moment charnière. Il faudra revisiter les bases de nos relations, mais la fin de la crise ne devrait pas consacrer un divorce irréversible, comme le pensent les juntes. Il y a des colères et des psychoses qu’il ne faut pas ignorer, mais nous devons les analyser de façon lucide.

Réalisée Bachir Rayan TOURE

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