Contenus obscènes, sexualisation des challenges vidéo… TikTok, temple numérique de la créativité, devient aussi un terrain glissant pour les adolescents. Si certains y trouvent une plateforme d’expression, d’autres sombrent dans une course à la visibilité aux relents préoccupants.
« TikTok capte l’attention des ados et altère leur rapport au réel en créant une forme d’addiction ». C’est ce que révèle la psychologue, Dr Stéphanie Kouao, qui poursuit en disant que près de 69 % des adolescents passent plus de 3 heures par jour sur la plateforme. Ceci a pour conséquences des troubles du sommeil, l’isolement, l’anxiété, la baisse d’estime de soi, etc. La praticienne rappelle que l’adolescence est une phase de construction fragile.
Au-delà de ce diagnostic, ce sont les menaces structurelles de TikTok qui inquiètent les spécialistes. L’application repose sur un algorithme extrêmement performant, capable d’identifier en quelques secondes les préférences d’un utilisateur, pour lui proposer un flux illimité de contenus similaires. Résultat, une captation de l’attention qui tourne à l’obsession.
Autre menace pour les ados, l’absence de vérification d’âge efficace. Un enfant de 11 ans peut facilement s’inscrire en se déclarant majeur. Il devient alors une cible facile pour des contenus inappropriés, sexualisés ou violents, mais également pour les adultes malintentionnés. La plateforme favorise également une logique de performance toxique. Likes, partages, abonnements, une mécanique qui pousse les adolescents à se dépasser pour plaire, choquer ou séduire. Certains franchissent des limites dangereuses, influencés par des modèles virtuels.
Ces dérives au parfum de TikTok
TikTok, à première vue, est un outil d’expression. Des jeunes y partagent des contenus éducatifs, humoristiques ou inspirants. Le juriste ivoirien, Tosseta par exemple, y vulgarise le droit avec pédagogie. La façade ludique de TikTok masque une réalité bien plus inquiétante, comme l’affaire de l’influenceuse ivoirienne Biscuit Impolita. Elle avait choqué l’opinion en testant des produits éclaircissants sur son bébé. Plus récemment, le challenge vidéo sur la chanson «Chou» de l’artiste Himra a fait scandale. Des jeunes filles y font apparaître des pénis, provoquant une vague d’indignation.
Le cas de Nicapol reste néanmoins le plus révélateur d’une dérive profonde. Dans ses directs, nommés « cui-lolo », des adolescentes s’exhibaient en twerkant (danse aux relents obscènes), suivies par des centaines de milliers de spectateurs. Ces vidéos ont généré des millions de francs CFA avant d’être suspendues.
Une version approximative différente de la Chine
Face à ces dérives, Suy Kahofi, journaliste ivoirien spécialiste des nouveaux médias et fact-checking, dénonce une asymétrie stratégique : « Pendant que la Chine encadre sa jeunesse, les autres pays héritent d’une version approximative, sans régulation ».
Il explique que la version chinoise de TikTok est encadrée, à visée éducative et valorise l’éducation et la créativité. Selon l’expert, la plateforme a les moyens techniques de modérer efficacement. « Si elle le fait pour ses propres jeunes, elle peut le faire ailleurs. Il faut l’y contraindre», suggère-t-il. Mais, il pointe aussi la responsabilité des États africains. Pour Suy Kahofi, TikTok n’est pas intrinsèquement nocif. « L’application n’est pas en soi un danger. C’est l’usage que l’on en fait qui pose problème », fait-il remarquer.
Hervée MONA