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mardi 22 octobre 2024
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Identification: Les enfants « fantômes » et les parents  » sans visage « 

Ils sont près de deux millions d’enfants sans extrait d’acte de naissance en Côte d’Ivoire, selon une enquête menée par l’Institut National de la Statistique (INS). Ces enfants fantômes se transforment plus tard en « parents sans visage », des adultes sans carte d’identité.

Sur 11 873 338 enfants de 0 à 14 ans dénombrés en 2023 par la plateforme d’outil pédagogique des grandes tendances mondiales dénommée “Perspective Monde” basée au Québec, près de deux millions d’enfants n’existent dans aucun registre de l’état civil en Côte d’Ivoire. Selon le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), 35 % des enfants âgés de moins de cinq ans ne sont pas déclarés. Ils pourraient être estimés à un peu plus d’un million. Des chiffres qui sont en hausse comparativement à ceux de 2016 publiés par le gouvernement ivoirien à travers une enquête sur la situation des femmes et des enfants. Ces chiffres révélaient que 28 % des enfants de moins de 5 ans n’avaient jamais été officiellement déclarés. Au niveau scolaire, en Côte d’Ivoire, sur un total de 4 102 825 élèves au primaire, 914 913 sont sans extraits d’acte de naissance, soit 22,30 %. Dans ce rapport annuel de 2021 du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) qui rapporte les statistiques du ministère de l’Éducation nationale et de l’alphabétisation, l’on dénombre 420 648 filles, soit 45 % de ces cas.

Des milliers d’écoliers sans extrait de naissance à Oumé et Duekoué

Pour l’année scolaire 2023-2024, ce sont plus de 500 écoliers de la classe du Cours moyen deuxième année (CM2) de la sous-préfecture de Guepahouo, dans le département d’Oumé, qui étaient sans extraits d’actes de naissance. Ces révélations avaient été faites par le chef de circonscription de l’Inspection de l’Enseignement Préscolaire et Primaire (IEPP) de Guéapahouo, Ouattara Adama. À l’en croire, cette situation s’étendait au-delà de cette sous-préfecture. Selon ce fonctionnaire, sur un effectif global de 5 107 apprenants, 3 197 écoliers étaient sans extrait d’acte de naissance. Selon l’UNICEF, dans cette même localité, en 2019, 58 % des enfants n’étaient pas enregistrés à l’état civil. Trois ans plus tôt, l’Office National de l’Identification avait dénombré dans la région du Guemon 56 404 élèves au primaire qui n’avaient pas d’extrait de naissance. Ces élèves représentaient 46 % de l’effectif total. Une étude menée par des enseignants-chercheurs de l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody en 2017, a constaté que les facteurs socioculturels de la non-déclaration des enfants à l’état civil, portent essentiellement sur l’ignorance, l’analphabétisme, les cas supposés d’adultère ou sur les cas des familles recomposées. Malheureusement, ces enfants fantômes qui en paient le prix fort sont, à coup sûr, les « parents sans visage » de demain.

Ces parents sans visage

On estime à 1 391 253, le nombre d’adultes -en Côte d’Ivoire- qui ne sont pas connus des registres de l’état civil, selon une étude réalisée en 2019 par l’Institut National de la Statistique. Ce sont clairement ceux qu’on pourrait qualifier de parents sans visage. Si 484 814 « parents sans visage » ont été dénombrés en zone urbaine, c’est presque le double, soit 906 439 personnes sans extrait d’acte de naissance qui vivent en zone rurale. Chantal Lekpa, une ménagère vivant dans le village de Koreyo, à Soubré, fait partie de ces « parents sans visage ». Se confiant aux équipes de l’agence des Nations unies pour les réfugiés, elle a déclaré que sa famille n’a jamais engagé de démarches et ne lui a donné ni extrait d’acte de naissance, ni livret de famille. Bien que née en Côte d’Ivoire de parents ivoiriens, la jeune femme vit sans papiers et donc sans identité. « Je ne suis jamais allée à l’école. Aujourd’hui, je suis une femme au foyer, mais l’État ne me connaît pas », a-t-elle déploré, avant d’expliquer que les recherches pouvant permettre d’attester son lieu de naissance ou son lien familial ont jusqu’ici été infructueuses. Dans cette région du Bas Sassandra, ce sont plus de 120 000 personnes qui sont touchées par le phénomène, selon les statistiques de l’INS.

Rencontré par une ONG à Duekoué au cours d’une campagne de sensibilisation sur la déclaration des naissances l’année dernière, Idriss Soumahorro, planteur, a aussi confié que lui et ses trois enfants ne disposent pas d’extrait de naissance. Il a dit ignorer la procédure, vu qu’il est analphabète. L’Ouest montagneux compte à peu près 150 000 personnes dans la même situation, selon des données publiées par l’Institut National de la Statistique.

L’État face aux défis de la non-déclaration des naissances

Selon le rapport annuel 2021 du Conseil National des Droits de l’Homme, la non-déclaration des naissances affecte considérablement l’exercice des droits de l’enfant en ce qui concerne le droit à l’éducation et à la santé. Aussi, le phénomène d’« enfants fantômes » devenant des « parents sans visage » ne représente pas une difficulté isolée au développement de la Côte d’Ivoire, surtout lorsqu’il est question de planifier les investissements à consentir dans les secteurs sensibles comme l’éducation, la santé, la justice, les loisirs, etc. Cet état de fait freine quelque peu l’ambition de la Côte d’Ivoire dans l’atteinte de certains indicateurs en termes de développement humain et économique.

La déclaration systématique de naissance et les audiences foraines comme panacée

Grâce au soutien technique et financier de l’UNICEF, le gouvernement ivoirien a mis en œuvre, depuis quelques années, une politique systématique d’enregistrement des naissances via les maternités et les services de vaccination. Aujourd’hui, selon l’agence des Nations Unies, cet outil couvre près de 62 % des centres de santé du pays. Ces nouveaux mécanismes d’enregistrement des naissances dans les maternités et les centres de vaccination permettent de rapprocher les services de l’état civil des populations, selon Hyacinthe Sigui, spécialiste de la protection de l’enfant à l’Unicef. « Ils améliorent qualitativement le taux d’enregistrement des naissances dans les délais », a-t-il fait savoir.

Afin d’apporter une réponse au phénomène des « parents sans visage », le gouvernement a autorisé des audiences foraines. Elles consistent, rappelons-le, à permettre le déplacement des magistrats vers les quartiers et les villages pour y présider des audiences et rendre un jugement qui permettent à toute personne née en Côte d’Ivoire, qu’elle soit ivoirienne ou étrangère, âgée de plus de 13 ans, n’ayant jamais été déclarée à l’état civil, de pouvoir obtenir un acte, séance tenante. À l’issue de ces audiences, si le jugement est favorable, à la suite de différents témoignages et enquêtes, le concerné reçoit un « Jugement supplétif d’acte de naissance ». Le sésame qui lui permettra d’obtenir une identité juridique. L’Office National de l’Identification (ONI) prépare en ce moment une opération similaire.

Au-delà de ces nouveaux mécanismes, les autorités ivoiriennes multiplient les campagnes de sensibilisation sur les déclarations de naissance.

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