Le nombre de grossesses en milieu scolaire, enregistré par le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), sur les deux premiers trimestres de l’année, a connu une hausse par rapport à l’an dernier. Nous avons identifié les villes les plus touchées par le phénomène.
Cette année, c’est la région de la Nawa (Soubré) qui remporte la palme avec 294 cas de grossesses dans les rangs des élèves. Suivent les régions de Gbêkê (Bouaké) et du Poro (Korhogo), avec chacune 268 cas. Viennent ensuite la Marahoué (Bouaflé), avec 234, Haut-Sassandra (Daloa) 199 cas, Grands-ponts (Dabou) 154, Gôh (Gagnoa) 145, Agnéby-Tiassa (Agboville) 144 cas, Gontougo (Bondoukou) 135, San Pedro 131 cas enregistrés. Dans le bas du tableau, l’on enregistre les régions du N’Zi (Dimbokro) avec 66 cas, de la Mé (Adzopé) 45 cas, du Bafing (Touba) 43, du Béré (Mankono) 32, et du Folon (Minignan) 31 cas.
Le dernier rapport du Conseil National des Droits de l’Homme de Côte d’Ivoire (CNDH) qui fait le point des grossesses enregistrées en milieu scolaire aux deux premiers trimestres de l’année est formel. 3.588 cas de grossesses en cours de scolarité – soit une hausse de 5 % – par rapport à l’année précédente où, à la même période, l’on observait le nombre de 3.409 grossesses à l’école.
« Les grossesses en milieu scolaire constituent l’un des principaux obstacles à la poursuite de la scolarité de ces jeunes filles et ont des conséquences à la fois sociales, économiques, physiques et psychologiques sur leurs vies », fait noter le Conseil National des Droits de l’Homme. Il invite les autorités compétentes à poursuivre leurs efforts pour la promotion et la protection des droits des jeunes filles scolarisées et engage les parents à assumer leur responsabilité d’éducateurs.
Il faut dire que plusieurs facteurs sont à l’origine de la montée de ce phénomène. On peut citer, entre autres, la rupture sporadique des actions liées au planning familial, le manque d’occupations saines des enfants, durant les vacances scolaires, l’ignorance, les violences basées sur le genre et l’effondrement de la cellule familiale en général. Autant de facteurs qui posent de réels problèmes d’encadrement et de suivi des enfants à la maison. L’État doit renforcer les programmes de santé et de reproduction, favoriser l’accès aux contraceptifs pour mieux protéger les jeunes filles, a analysé, il y a quelques années, Namizata Sangaré, présidente du CNDH.
Quels sont les « coupables » ?
Des spécialistes de l’Education interrogés font observer que l’environnement des élèves joue un rôle non négligeable dans la survenue de ces difficultés. « La plupart des élèves habitent soit chez des tuteurs, ou louent des maisons. Ce qui les rend vulnérables », assure un de nos interlocuteurs, sous anonymat. L’an dernier, les rapports des Directions Régionales de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (DRENA) du Tonkpi (Ouest ivoirien) et de la Bagoué (Nord du pays), relativement aux cas de grossesse traités par le CNDH – de septembre 2021 à mars 2022 –révélaient qu’aucune disposition n’était prise pour permettre à ces filles d’avoir une éducation sexuelle normale. Par ailleurs, les documents révèlent que les auteurs des grossesses sont la plupart du temps des personnes exerçant des petits métiers. Il s’agit, entre autres, des maçons, des plombiers, des cultivateurs, des conducteurs de motos-taxis… Parfois des enseignants sont responsables des grossesses de ces jeunes élèves dont l’âge varie entre 12 et 25 ans.
Eduquer à une sexualité responsable
Pour réduire le taux de grossesses en milieu scolaire, Dr Yao Albert Kouakou, socio-anthropologue à l’Université Lorougnon Guédé de Daloa, propose une solution : celle d’instaurer une sexualité responsable et de l’apprendre aux élèves. Il en a d’ailleurs fait le sujet de sa thèse intitulée : « La problématique du phénomène de la grossesse chez les adolescentes en milieu scolaire ivoirien ». « Je parle d’instaurer l’éducation à la sexualité, dans les modules de formation, de sorte à donner aux adolescents d’aujourd’hui, qui seront parents demain, les moyens, les connaissances nécessaires qu’ils pourront transmettre à leur tour.», explique-t-il.
Selon l’enseignant, cela évitera aux parents de se cacher derrière l’argument que la sexualité est un sujet tabou, pour ne pas en parler avec leurs enfants. Pour l’universitaire, le manque d’éducation à la sexualité est l’unique cause des grossesses en milieu scolaire. Il pense que les acteurs du monde éducatif doivent s’attaquer à cette cause, avec l’appui des parents. « Nous devons prendre l’exemple sur cette leçon d’éducation routière : nous enseignons à nos enfants à regarder à gauche et à droite, avant de traverser la route. Lorsque nous grandissons, nous avons ce réflexe et pensons qu’il est inné. Nous devons, de même, éduquer nos enfants à la sexualité pour qu’ils soient mieux outillés pour éviter les situations difficiles occasionnées par les grossesses en milieu scolaire », conclut l’universitaire.
Les stratégies de l’UNESCO
Selon l’UNESCO qui a publié en 2013 une « Etude sur les grossesses en milieu scolaire », les stratégies de prévention des grossesses en milieu scolaire se regroupent essentiellement autour de trois éléments : l’amélioration de l’accès à l’éducation/l’information des jeunes et des élèves en particulier sur la santé sexuelle et reproductive, l’accès aux services adaptés aux besoins des jeunes, mais aussi la punition effective des auteurs des grossesses. « Les stratégies recommandées pour la prise en charge et la réintégration scolaire et communautaire des élèves-mères, sont la sensibilisation des élèves / écolières – mères pour qu’elles réintègrent l’école, et leur accompagnement par les responsables scolaires et par les parents. Il est aussi recommandé à l’entourage d’entourer d’affection les jeunes mères pour leur équilibre psycho-affectif et celui de leur enfant à naître », conseille l’organisation onusienne.
M’Bah Aboubakar
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