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dimanche 2 juin 2024
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Consommation de la shisha : Comment les jeunes se tuent à petit feu

Si des espaces de consommation de shisha restent fermés officiellement, depuis le lancement de l’opération de « lutte contre la prolifération des espaces de shisha et les filles de joie » à Abidjan, la réalité du terrain est tout autre, exposant la jeunesse à un suicide lent.

Abobo Dokui, mardi 19 juillet 2022. Il est 19 heures. L’atmosphère est ordinaire. Sur l’axe reliant la commune d’Adjamé à celle d’Abobo, les véhicules en file indienne avancent à pas de tortue. Les espaces de divertissement presque vides jouent de la musique pour attirer de la clientèle. Rap, Coupé-décalé et autres variétés musicales se succèdent. Les clients arrivent timidement, mais la rue reste toujours très animée.

En face du maquis « Dokui VIP » du quartier, autour de vingt heures et demie, un fait attire l’attention du passant. Il s’agit d’un groupe restreint de jeunes gens assis autour d’un fourneau, dans lequel un tas de charbon est allumé. Ils sont installés devant un magasin de vente d’équipements électro-ménagers. Difficile de savoir ce qu’ils préparent, même après une poignée de minutes d’observation.

Ça continue, malgré la sensibilisation

Quelques semaines avant l’opération de lutte contre la prolifération des espaces de shisha et les filles de joie, en juin dernier, cet endroit était l’un des plus prisés des consommateurs de shisha. Le maquis au-dessus proposait différents parfums du produit prohibé, mais à ce jour, il semble vide. Il n’y a que quelques consommateurs de boissons qui s’y aventurent.  

« Il n’y a plus de shisha ici. Le monsieur qui en vendait louait l’espace. Après le passage de la police, il a tout arrêté officiellement. Mais officieusement, il le fait à son domicile. Ses clients s’y rendent désormais. Allez-y fumer là-bas », lâche l’une des vendeuses de  nourriture installées au sein du maquis.

A quelques encablures de cet endroit, à « Azur », un autre espace vendant la shisha est ouvert. Il se nomme « O Shish + ». Des jeunes ayant visiblement moins de dix-huit ans occupent les lieux. A l’entrée, deux filles sont assises côte à côte. Elles se partagent tour à tour l’embout de la pipe à eau servant à fumer le narguilé.

A l’intérieur, on aperçoit de la shisha sur toutes les tables. Il est même difficile de se frayer un chemin jusqu’au comptoir de la réception, tant l’endroit est auréolé d’un épaix nuage de fumée.

La police complice ? 

Renseignement pris, nous apprenons que le coût de la shisha est en hausse, depuis quelques semaines. Il est passé de 3000 F CFA à 5000 F. « Les 2000 FCFA de plus sont reversés aux policiers, afin de continuer notre business », confie l’un des serveurs, sous le voile de l’anonymat.

Au District de la police d’Abobo,  personne ne semble informé de la situation. C’est du moins, le constat fait, le 20 juillet, au lendemain de notre visite dans ces fumoirs  interdits. « Maintenant que nous avons l’information, nous allons nous réunir au plus vite et faire fermer ce maquis dans les plus brefs délais. Nous allons également veiller à ce que ceux qui ne respectent pas la loi paient de leurs actes, en renforçant les patrouilles », fait savoir le sergent-chef de Police, Joseph Kouabo.

Effets pervers de la shisha sur la santé

La loi N 2019-676 du 23 juillet 2019 relative à la lutte antitabac, en son article premier, définit les produits du tabac en prenant en compte les cigarettes, les pipes à eaux, les cigarettes électroniques et tous les autres dérivés du tabac comme étant des produits du tabac. A ce titre, la shisha est considérée comme un produit de tabac. En Côte d’Ivoire, ces nouveaux produits du tabac sont interdits dans les restaurants, les maquis et d’autres lieux publics fermés, pour protéger les générations présentes et futures contre les méfaits du tabagisme. Néanmoins, force est de constater que cette loi n’est pas toujours respectée.

Comme nous avons pu l’observer, au cours de notre reportage, les jeunes ayant moins de dix-huit ans sont nombreux à consommer cette substance. Une étude menée en 2020 sur l’utilisationde la shisha chez les adolescents, par le Comité Club Unesco Universitaire pour la Lutte contre la Drogue et les autres Pandémies (CLUCOD) révèle que 52% des consommateurs de cette substance ont moins de dix-huit ans. Pourtant, selon plusieurs spécialistes, la consommation des pipes à eaux (shisha) s’avère plus toxique que la cigarette. De plus, cette pratique multiplie par vingt, le risque de contracter certaines maladies graves : cancer, infections, tuberculose, bronchophonie,…

 « Les effets sont accélérés, les inhalations sont plus profondes. C’est plus compliqué que chez le fumeur normal », explique Dr. Koffi Nestor, chargé d’études, de l’information, l’éducation et la communication au Programme National de Lutte contre le Tabagisme, la Toxicomanie et les autres Addictions. En fait, poursuit le médecin, « c’est comme si plusieurs cigarettes, des paquets et même toute une cartouche sont mélangés à d’autres ingrédients et c’est tout cela qui constitue la shisha ». Le praticien précise que le tabagisme atteint tout le corps humain, de la tête au pied. « C’est vrai qu’il y a des organes préférentiels comme les poumons, le cœur et les vaisseaux sanguins, mais tous les autres organes de l’organisme sont impactés par l’usage du tabac », détaille Dr. Koffi Nestor.  

Contacté pour en savoir plus sur la situation actuelle des jeunes patients dans les hôpitaux, le professeur Alexandre Kouassi Boko, pneumologue et responsable de l’unité de sevrage tabagique, au CHU de Cocody, tire a sonnette d’alarme. Néanmoins, il explique qu’il est difficile d’obtenir des statistiques à jour sur les adolescents qui trainent des complications liées à la consommation de la shisha. « Les complications se feront ressentir sur le long terme, c’est-à-dire dans dix ou quinze ans. Le tabac agit sur le long terme et comme les cellules sont en processus de maturation chez les adolescents, cela va impacter les cellules, la croissance de cet enfant et à la longue, il va facilement développer certaines pathologies », relève-t-il. « La shisha fait partie des nouveaux produits du tabac ; c’est maintenant que les jeunes s’y intéressent. Les répercussions seront constatées plus tard. Mais les dégâts seront énormes », ajoute le praticien.  

Pour le moment, constate le pneumologue, les jeunes fumeurs s’exposent à des complications primaires telles que la fatigue, la grippe qui persiste, la tuberculose, etc. « Il y a aussi des complications secondaires qui peuvent survenir après deux ans de consommation et entrainer une mort subit, puis des maladies irréversibles sur le long terme. Il faut savoir que l’organisme du fumeur est vulnérable donc susceptible d’avoir beaucoup de complications », alerte Pr. Alexandre Kouassi Boko.

Marina Kouakou

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