Les conditions d’hygiène dans de nombreuses boulangeries et pâtisseries en Côte d’Ivoire sont précaires. Le gouvernement en a d’ailleurs fait l’amer constat avant de prendre des mesures pour assainir le secteur, qui compte plus de 2 000 boulangeries, selon le ministère du Commerce et de l’Industrie.
Des murs vétustes, une terrasse crasseuse, des bombonnes de gaz à ciel ouvert, des employés au torse nu sans protection, dégoulinant de sueur, des motos et vélos qui attendent leur quantité de pains pour aller ravitailler les boutiques et autres vendeuses à la criée. C’est le décor que nous offre l’arrière-cour de cette boulangerie sans dénomination apparente, à Koumassi-Sopim. De l’autre côté du comptoir vitré de la boulangerie, des clients achètent du pain. Ils sont loin de s’imaginer les conditions de fabrication de ces baguettes qu’ils vont consommer.
Dans cette pâtisserie à Yopougon Maroc, l’ambiance est tout autre. Une chaude discussion entre une serveuse et une cliente attire notre attention. «J’ai vu des mouches sur les croissants que je voulais acheter. Il fallait que je lève le ton», martèle dame Koffi Lydie, secrétaire de direction, qui a juré de ne plus remettre les pieds dans cette pâtisserie pour y acheter de la viennoiserie. Fidèle cliente depuis deux ans, elle est aujourd’hui convaincue que cet établissement ne respecte plus les principes élémentaires d’hygiène.
Des équipements de protection devenus un luxe
Selon une étude menée en 2020 par des universitaires ivoiriens sur la pollution et les conditions d’hygiène dans quarante boulangeries à Abobo, Adjamé, Koumassi, Marcory, Port-Bouët, Treichville, Yopougon et Cocody, les employés interrogés ont affirmé qu’ils ne disposaient pas suffisamment d’équipements de protection. Les masques de protection, les chapeaux, les tabliers et les tenues de travail étaient disponibles chez les employés à des proportions de 7,5 %, 33,7 %, 21,3 % et 60,7 %. Selon toujours cette enquête, certains employés justifient le non-respect des mesures de protection par le fait que les patrons ne leur fournissent pas les équipements de protection. Un pétrisseur d’une boulangerie a confié aux enquêteurs : « Les patrons ne nous donnent pas d’équipements. Nous n’avons pas de cache-nez, ni de chaussures spéciales pour travailler… »
À l’intérieur du pays, les boulangeries ne font pas mieux que celles d’Abidjan. En juin 2023, au cours d’une réunion avec les acteurs du secteur, le Directeur régional du commerce à Tengrela, Pierre Doua, avait déploré qu’aucun employé des boulangeries ne porte la tenue requise. Et, plus inquiétant, les toilettes présentaient un état insalubre, lors des contrôles sanitaires effectués par ses inspecteurs et le service d’hygiène. Il avait d’ailleurs menacé de fermer ces boulangeries qui ne respectaient pas les règles d’hygiène.
Un gâteau d’anniversaire fait 60 victimes
Il y a trois mois, dans le quartier d’Adiopodoumé, à Songon, soixante personnes ont été intoxiquées en consommant un gâteau, au cours de la célébration d’un anniversaire. C’est ce qui est ressorti du diagnostic des services de santé de l’hôpital PMI de Yopougon où les victimes ont été admises. De sources médicales, les personnes intoxiquées ont présenté des symptômes graves tels des diarrhées sévères, des douleurs abdominales aiguës, des vomissements et de la fièvre. Les premières investigations ont révélé qu’un aliment contaminé serait à l’origine de cette intoxication collective. Et le gâteau d’anniversaire livré par une pâtisserie a été fortement suspecté. Si les cas d’intoxication dus à la consommation de pain sont rares en Côte d’Ivoire, les plaintes des consommateurs se comptent par centaines chaque année. Le président de l’Union générale des consommateurs de Côte d’Ivoire (UGCCI), N’Guessan Kouakou, nous a fait savoir que son organisation a reçu 170 plaintes au cours de l’année 2024, soit une plainte tous les deux jours. «Beaucoup de consommateurs se plaignent de la qualité des pains qu’ils achètent», confie-t-il, avant d’expliquer que l’UGCCI remonte régulièrement ces informations au ministère du Commerce.
Plusieurs boulangeries fermées…
Selon l’Inspecteur du commerce chargé de la répression, des fraudes et de la concurrence à la Direction régionale d’Abidjan-Sud 1, Hyacinthe Kouma Yao, en 2022, une opération terrain avait permis de fermer une dizaine de boulangeries dans la zone qui relève de sa responsabilité, c’est-à-dire Marcory, Koumassi et Treichville. «La même période, d’autres directions régionales avaient entamé cette même opération», fait-il savoir. Le président de la Fédération des coordinations professionnelles des boulangeries et pâtisseries de Côte d’Ivoire (FECOBP-CI), Barry Hyoussouf, a reconnu qu’à cette période-là, des boulangeries avaient été fermées dans plusieurs quartiers de Yopougon. Principale raison : non-respect des mesures d’hygiène. Le président de la FECOBP-CI a tenté de justifier cet état de fait par les problèmes que connait le secteur, avec la flambée des prix de la farine, la concurrence déloyale imposée par des grosses entreprises, l’absence d’un prix plancher… Pour lui, tout ceci ne permet pas aux propriétaires des boulangeries de rentabiliser leur investissement. Le secteur brasse pourtant d’importantes ressources. Selon le site français bretagnecommerceinternational.com, le chiffre d’affaires du secteur de la boulangerie ivoirienne est passé de 12 milliards FCFA en 2016 à 25 milliards FCFA en 2020.
L’organe régulateur toujours attendu
En 2023, le gouvernement ivoirien a pris des mesures portant règlementation des activités de boulangerie, afin d’assainir durablement le secteur. Dans ce décret n° 2023-567 du 7 juin 2023, il est prévu la mise en place d’un organe chargé de la régulation du domaine, en vue d’éradiquer définitivement les boulangeries clandestines et insalubres ainsi que la manipulation et le transport du pain dans des conditions inappropriées.
Rappelons qu’au regard de cette nouvelle législation, toute boulangerie ne respectant pas les règles d’hygiène, de sécurité et de protection des employés doit faire l’objet de fermeture par les services compétents de la Direction générale du Commerce intérieur, après avis du Comité national de suivi.