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dimanche 7 décembre 2025
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Réseaux sociaux : la foire aux pseudo-médecins

Sur Internet, espace sans véritable garde-fou, prolifèrent de nouveaux « maîtres» du bien-être et de la santé : influenceurs, créateurs de contenus et pseudo-spécialistes qui s’improvisent médecins. En Côte d’Ivoire, cette tendance prend de l’ampleur: conseils hasardeux, prescriptions douteuses, mises en scène de savoirs médicaux, etc. Derrière l’illusion d’expertise, se cachent bien souvent des risques pour la santé des internautes.

acebook, TikTok, Instagram et YouTube fourmillent de vidéos des créateurs de contenus qui s’improvisent médecins, prescrivant produits, tisanes et médicaments comme s’ils étaient diplômés en médecine. Les exemples abondent. L’un des plus alarmants est celui de l’Ozempic. Conçu pour traiter le diabète de type 2, ce médicament fait l’objet d’un engouement planétaire sur TikTok, où le hashtag cumule plus de 500 millions de vues. Les influenceurs le présentent comme une solution miracle pour perdre du poids. Or, l’Ozempic agit en réduisant le taux de sucre dans le sang, ce qui peut provoquer des hypoglycémies sévères et des complications graves chez les non-diabétiques.

Autre dérive largement répandue : la vitamine E Toco 500 mg, à base de tocophérol. Destinée à traiter certaines affections du foie, elle est massivement utilisée en Côte d’Ivoire par de jeunes femmes qui l’ingèrent ou l’appliquent directement sur la peau pour obtenir un teint plus lumineux. Un usage détourné qui expose à des risques digestifs et hépatiques. À côté de ces deux cas emblématiques, on retrouve la nivaquine vantée pour la pousse des cheveux, ou encore des recettes à base d’ail et de curcuma censées détartrer les dents. Autant de prescriptions hasardeuses qui séduisent par leur simplicité, mais mettent en danger la santé des internautes.

Pourquoi ces conseils gagnent-ils autant de terrain ? D’abord, parce qu’ils sont présentés sous des formats courts et dynamiques, parfaitement adaptés aux codes des réseaux sociaux. Les influenceurs parlent sans jargon médical, « comme des amis », et donnent l’impression de rendre la santé accessible à tous. Leur succès repose aussi sur des motivations claires. La première est la recherche de visibilité. Plus une vidéo choque ou promet une solution rapide, plus elle est partagée. Le sensationnel devient un levier de viralité. Ensuite vient l’appât du gain : monétisation des vues, partenariats commerciaux ou vente de produits dérivés. Certains influenceurs se transforment ainsi en commerciaux vantant des tisanes ou compléments alimentaires, souvent échappant à tout contrôle sanitaire. Enfin, il y a l’illusion de reconnaissance. Se voir remercié comme un « sauveur » par ses abonnés conforte les pseudo-médecins dans leur rôle de prescripteurs improvisés.

Des prescriptions sauvages aux conséquences parfois dramatiques

Ces pratiques ne sont pas sans conséquences. Plusieurs personnes sur les mêmes plateformes tirent la sonnette d’alarme. Des médecins aussi s’inquiètent. C’est le cas du Dr Kouamé Simone, cardiologue, qui fait ce constat : « De plus en plus de patients arrivent avec des complications après avoir suivi des recettes vues sur Facebook ou TikTok ».

Dans le cas de l’Ozempic, les effets secondaires sont sérieux : nausées, vomissements, pancréatites aiguës, voire risque de cancer de la thyroïde. Et ce n’est pas Rahina Armande, qui nous dira le contraire. Obsédée par le désir de retrouver la silhouette de son adolescence, après plusieurs années d’obésité, Rahina a fini par se procurer de l’Ozempic par l’intermédiaire d’une vendeuse en ligne, le médicament n’étant pas disponible dans les pharmacies en Côte d’Ivoire. En moins de deux semaines, elle perd près de dix kilogrammes sur les cent dix qu’elle pesait. Le résultat semblait miraculeux, mais l’illusion fut de courte durée. Le produit censé l’aider à mincir s’est rapidement transformé en cauchemar. « La diarrhée et les vomissements étaient devenus mon quotidien. Je ne parvenais plus à m’alimenter ; tout ce que j’avalais ressortait aussitôt. Manger me dégoûtait. J’avais extrêmement peur, parce que les selles que je faisais, c’était du sang. Prise de panique j’ai décidé de me rendre à l’hôpital et c’est là qu’ils ont découvert que j’ai fait une inflammation aux intestins, ainsi qu’à l’estomac », confie-t-elle, la voix encore tremblante.

Comme Rahina, de nombreuses personnes s’exposent à des risques graves en détournant des traitements médicaux de leur usage initial. La vitamine E Toco 500 mg, utilisée hors de son cadre thérapeutique, expose aussi à des risques. Les surdosages peuvent entraîner des troubles digestifs, des douleurs abdominales et une surcharge du foie. En 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rappelé que l’automédication incontrôlée représente en Afrique une cause fréquente de complications médicales et d’hospitalisations évitables. Selon Dr Kouamé, ces prescriptions improvisées favorisent des comportements dangereux, à savoir l’abandon de traitements médicaux pour suivre des « recettes maison », la consommation de mélanges non identifiés ou l’usage excessif de plantes aux interactions méconnues.

Un vide juridique préoccupant

Face à ce constat, la question de la régulation se pose avec acuité. Le droit ivoirien encadre la prescription médicale, mais pas dans sa dimension numérique. Le Code de déontologie médicale de 1960 stipule en son article 8 que le médecin bénéficie d’une totale liberté de prescription, sauf en cas de contrainte législative. L’article 28 précise qu’avant toute prescription, il doit établir son diagnostic « avec la plus grande attention » et en s’appuyant sur les méthodes scientifiques reconnues. Autrement dit, seule une personne formée et habilitée peut prescrire un traitement.

Le Code de déontologie pharmaceutique de 1962 fait du pharmacien le contrôleur de la prescription. Il a l’obligation de vérifier les ordonnances et d’alerter en cas d’erreur manifeste. L’article 11 précise qu’il doit surveiller attentivement la délivrance des médicaments. Par ailleurs, la loi n°54-418 du 15 avril 1954, relative aux dispositions du Code de la santé publique applicables à la pharmacie, autorise les pharmaciens dans certaines zones, à délivrer des médicaments sous conditions strictes. Mais aucune de ces dispositions n’évoque le cas des prescriptions en ligne. L’exercice illégal de la médecine est bel et bien puni, mais dans la pratique, les poursuites sont rares et les influenceurs se réfugient derrière leur statut de créateurs de contenus.

Au-delà des individus, la responsabilité des plateformes est engagée. Facebook, TikTok et Instagram disposent de politiques officielles de lutte contre la désinformation médicale, renforcées depuis la pandémie de la Covid-19. Pourtant, de nombreux contenus dangereux passent entre les mailles du filet. Leur suppression repose souvent sur des signalements d’utilisateurs, un mécanisme insuffisant au regard de la masse de vidéos publiées chaque jour. Les algorithmes, conçus pour favoriser l’engagement, amplifient paradoxalement la diffusion de contenus sensationnalistes, y compris ceux qui prescrivent des médicaments sans fondement scientifique, argue le journaliste Suy Kahofi, spécialiste des réseaux sociaux.

Si ces pratiques rencontrent un tel écho, c’est aussi parce qu’elles répondent à un besoin. Pour une jeunesse hyperconnectée, les réseaux sociaux remplacent les encyclopédies et parfois même les médecins, sans compter la quête de solutions rapides que la médecine n’offrirait visiblement pas. Dans une société marquée par la précarité, les promesses de résultats visibles en quelques jours séduisent plus que des traitements officiels jugés longs et coûteux.

Un espace à réguler

Pour répondre à cette situation et endiguer ce phénomène naissant, plusieurs pistes sont envisageables. D’abord, renforcer la régulation. Une adaptation des lois ivoiriennes à l’ère numérique permettrait de sanctionner plus clairement les prescriptions illégales en ligne. Ensuite, responsabiliser davantage les plateformes en exigeant un filtrage rigoureux des contenus liés à la santé et une vérification des créateurs se présentant comme « experts ».

Parallèlement, l’éducation du public apparaît essentielle. Des campagnes de sensibilisation pourraient aider les internautes à distinguer une information fiable d’un conseil dangereux. Enfin, les professionnels de santé gagneraient à investir eux-mêmes les réseaux sociaux. Comme le fait si bien le dentiste Dr PaulRo, avec ses vidéos sur Tiktok et Facebook. En produisant des contenus attractifs et scientifiquement validés, médecins et pharmaciens pourraient occuper le terrain aujourd’hui abandonné aux influenceurs, dont certains ne sont en réalité que de véritables charlatans des temps modernes.

La prolifération des pseudo-médecins en ligne n’est pas une simple curiosité numérique, mais un véritable défi de santé publique. En Côte d’Ivoire, où Internet est devenu un espace incontournable de communication, la frontière entre information et désinformation médicale s’amenuise chaque jour

Hervée MONA

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