Pratique millénaire présente sur tous les continents, le massage s’est enraciné dans les habitudes de nombreuses sociétés, y compris en Côte d’Ivoire. Jadis rituel de détente au sein des communautés, il s’est progressivement professionnalisé. Relaxation, drainage, thérapie… les techniques sont variées et les bienfaits prouvés. Partout en Afrique, les Spas ou centres de soins esthétiques fleurissent. Et Abidjan n’échappe pas à cette dynamique. Derrière cette façade, Le Tamtam Parleur a découvert une autre réalité…
Massage relaxant, shiatsu, thaï, pierres chaudes… sont des différentes thérapies qui aident à détendre les muscles, à améliorer la circulation sanguine, à soulager les tensions musculaires, notamment au cou, au dos, aux épaules, et dans certains cas, à apaiser l’esprit. Depuis les années 2000, les hôtels de luxe, instituts de beauté et centres de bien-être intègrent le massage à leurs services. Les salons se multiplient à Abidjan, avec des prestations allant de 15 000 à 20 000 F CFA par séance. Les offres ciblent cadres, expatriés, sportifs ou mères de famille. Certains professionnels parviennent à se constituer une clientèle fidèle et à vivre décemment de leur activité, avec des revenus journaliers dans l’ordre de 100 000 F CFA et plus. Avec un minimum de cinq clients par jour, certains masseurs gagnent entre 500.000 et 700.000 francs CFA par semaine. Autant dire que cette activité nourrit bien son homme. Et pourtant certains choisissent d’y ajouter d’autres prestations plus intimes.
Prostitution déguisée ?
Derrière cette façade respectable, une autre réalité émerge. Plus discrète, moins reluisante. « Massage complet, massage + finition », ces expressions fleurissent sur les réseaux sociaux, les forums en ligne et même sur certaines enseignes de salons de massage. Sous ces termes apparemment anodins se dissimulent des pratiques bien éloignées du cadre thérapeutique ou d’une simple relaxation. De plus en plus, la frontière entre soins corporels et services sexuels se brouille. Certaines masseuses, souvent indépendantes ou en quête de revenus supplémentaires, proposent des prestations sexuelles sous couverture professionnelle. Un phénomène difficile à quantifier, mais croissant à Abidjan et dans d’autres villes. Dans les hôtels, résidences meublées ou à domicile, ces professionnelles reçoivent des sollicitations explicites, souvent codées, quand ce ne sont pas elles-mêmes qui proposent ces services en supplément. Mélina, 27 ans, formée en institut, débute avec sérieux, avant de se retrouver prise au piège. « Au début, je refusais. Mais quand tu vois certaines collègues doubler leurs gains, tu y réfléchis », avoue-t-elle. Avec les massages traditionnels, elle gagnait environ 250 000 F CFA par mois. En acceptant des « extras », ses revenus peuvent atteindre les 600 000 FCFA. Lors de sorties dans des stations balnéaires comme Assinie, ces jeunes filles disent empocher entre 200 000 et 500 000 FCFA le temps d’un week-end.
Les non-dits d’une industrie en mutation
Les témoignages sont unanimes, ce sont souvent les clients qui font la demande des massages hors norme. Selon cette masseuse avec qui nous avons échangé, certains clients déposent subtilement de fortes sommes dans la salle d’eau pour suggérer leurs attentes. Les plus aguerris utilisent les codes du milieu, comme le « massage + finition », entendez par là, un massage qui se termine par des rapports sexuels. Pour les masseuses, le dilemme est autant moral qu’économique. Certaines masseuses évoquent les pressions de la précarité, d’autres dénoncent l’attitude de certains employeurs qui les contraignent à aller plus loin dans le massage. « Un jour, ma patronne m’a dit : “Tu es jolie, il ne faut pas te limiter à frotter le dos. Certains clients veulent plus. Si tu refuses, ils ne reviennent pas et moi je perds de l’argent ”, nous a confié Sidoine, une autre masseuse de 25 ans. Elle ajoute : « On ne peut pas toujours dire non, surtout quand il faut payer le loyer, aider la famille ». En échangeant avec ces masseuses, nous apprenons que les communes de Cocody, de Marcory en Zone 4 et même de Bingerville abritent ces endroits qui offrent des séances de massages érotiques. Quant aux clients, ils assument pleinement leur démarche. Thierry.K, cadre dans une entreprise, confie : « On sait très bien pourquoi on y va. Ce n’est pas pour un simple massage. Tu demandes un massage relaxant et discret à 50 ou 100 000 FCFA, mais en réalité, c’est un code. C’est un jeu de sous-entendus. »
Une image écornée de la profession
Cette confusion dessert l’ensemble du métier. Des masseurs et masseuses professionnels se sentent décrédibilisés. La clientèle devient méfiante, et certaines femmes évitent les salons par peur d’être associées à des pratiques douteuses. Un responsable d’institut à la Riviera déplore : « Il faut réguler la profession et multiplier les inspections. Sinon, c’est toute notre crédibilité qui s’effondre. Certaines d’entre-elles travaillent, à domicile, mais c’est risqué, car il y a l’insécurité, en cas d’abus ou d’agression ; comment peut-on gérer ça ». Mélina, elle, espère un avenir différent. « Mon rêve, c’est d’ouvrir un salon respecté, où je pourrais former des jeunes filles. On peut vivre dignement du massage professionnel. Mais il faut aussi que les clients le comprennent également », avance-t-elle.
Hervée MONA