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mardi 25 novembre 2025
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Extraction de sable en Côte d’Ivoire : Les conséquences sur l’environnement

La production de sable des lagunes est passée de 368 000 m³ en 2019 à plus de deux millions de m³ de sable en 2023, selon un rapport du ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie. C’est l’équivalent de plus de 200 000 camions benne de dix roues, soit un accroissement annuel de 46,4 % sur la période. D’après les experts, cette situation a des conséquences non négligeables sur l’environnement.

L’extraction de sable impacte négativement la qualité de l’air, du fait du gaz d’échappement des moteurs des nombreux camions qui transportent le sable, souvent jusqu’à 84 reprises dans la même journée, non sans dégager de la poussière. C’est ce qu’a révélé l’étude réalisée en 2021 sur le front lagunaire Ebrié d’Abobo-Doumé par les universitaires Kouassi Charles Aimé, Kambiré Bébé et Alla Della André de l’Institut de géographie tropicale de l’Université Félix Houphouët-Boigny. Selon cette même étude, les bruits des machines de remplissage, des camions de transport de sable et de la drague hydraulique provoquent de fortes nuisances sonores. De même, le déversement d’huile de moteur après des vidanges cause la pollution de la lagune dont l’eau est utilisée par les vendeuses de poissons pour laver les gros poissons après découpage afin de les débarrasser des déchets. Les résultats de cette enquête ont révélé que l’important volume de sable dragué modifie la topographie et augmente la profondeur du fond lagunaire. Estimée à environ 1,5 mètre de profondeur avant l’extraction du sable, la profondeur de la lagune Ébrié est passée à 18 mètres, après. Selon cette étude, l’augmentation de la profondeur à certains endroits de la lagune Ébrié constitue non seulement un problème de navigation pour les pirogues et les pinasses qui servent d’engins de transport, mais elle favorise aussi la cessation des activités de loisirs comme la natation, qui a été freinée par des noyades occasionnant des pertes en vies humaines.

Un paysage fortement impacté !
Cette même étude -intitulée « Risques environnementaux de l’extraction de sable sur la pêche »- révèle que l’extraction de sable laisse de nombreuses marques dans le paysage. Il modifie la qualité du paysage et le sol devient vulnérable au phénomène de ruissellement. De plus, l’équilibre sédimentaire de la ligne de rivage modifiée provoque l’érosion du rivage. Les universitaires, au cours de cette étude, ont observé que les espaces aménagés pour construire les digues qui servent au stockage du sable après extraction ne sont pas remblayés après utilisation. Ainsi, ces espaces retiennent l’eau et les déchets solides refoulés par la lagune. Ces endroits deviennent non seulement des lieux d’incubation des moustiques, mais influencent aussi négativement l’esthétique paysagère du front lagunaire. Une immersion sur le front lagunaire, de Koumassi en passant par M’Pouto, Abobo-Doumé jusqu’au village de Lokoua à Yopougon, nous a permis de constater l’impact visible de l’extraction de sable. Des rivages lagunaires défigurés par la formation d’excavations avec des machines qui continuent de tourner pour extraire du sable au niveau d’Abobo-Doumé. Dans cette zone, les chercheurs notent que la drague aspire non seulement le sable, mais aussi et surtout tout le fond de la lagune, y compris les alevins, les œufs des poissons, et détruit même le substrat qui constitue l’habitat et les zones de reproduction des poissons. Cela constitue un frein pour l’élan de reproduction rapide des produits halieutiques et réduit considérablement les zones de pêche dans la lagune Ébrié.

La vente de sable de lagune : un business juteux !
S’il y a des entités morales qui tirent profit de ce business, ce sont les entreprises d’extraction de sable. Les chiffres publiés par cette étude sont édifiants. Le contenu d’un camion de 10 roues, d’une capacité de 12 m³, est vendu à 25 000 FCFA. Par jour, chacune des deux entreprises de dragage de sable dans la zone qui a fait l’objet de cette étude vend en moyenne 42 camions de 10 roues. La valeur de la vente du sable est estimée à 1 050 000 F CFA par jour pour chaque entreprise. Le transport du sable est à la charge du client. Pour les deux entreprises, ce sont 2 100 000 francs CFA qu’elles se partagent tous les jours. Sur une année, ce sont 756 000 000 francs CFA qui vont dans les caisses de ces entreprises pour 30 240 camions de sable vendus. L’étude note qu’entre 2003 et 2019, ces entreprises ont dragué 5 760 000 m³ de sable, ce qui équivaut à 483 840 camions benne de 10 roues. Et cela, pour un revenu de 12 096 000 000 FCFA. La chefferie d’Abobo-Doumé n’est pas en reste, puisque selon cette enquête, elle empoche mensuellement 1 500 000 francs CFA. Ces taxes permettent le financement des infrastructures, des équipements et la mise en place de projets pour le développement du village.

L’État prend ses responsabilités
Face à ce phénomène qui menace l’environnement, la loi n°378 du 2 juin 2017 relative à l’aménagement, à la protection et à la gestion intégrée du littoral a été promulguée par le chef de l’État. Cette loi dispose que toute activité d’exploitation de carrière de sable (extraction de sable) est soumise à autorisation de l’administration compétente et toute occupation ou exploitation du littoral doit tenir compte des caractéristiques de l’espace concerné (fragilité du sol, biodiversité, etc.). En d’autres termes, il est interdit d’exploiter les carrières de sable (dragage) sans autorisation de l’administration compétente. Des sanctions s’appliquent en cas d’infraction, notamment des amendes de 300 000 à 1 000 000 FCFA et/ou 1 à 6 mois de prison pour les personnes physiques. Pour les personnes morales, les amendes vont jusqu’à 100 000 000 FCFA et des peines d’emprisonnement possibles.

Pour Yao Souleymane Ouattara, secrétaire général adjoint du Syndicat national des exploitants de carrières de sable et de graviers roulés de Côte d’Ivoire (SYNECASCI), dont certains membres sont accusés de menacer l’environnement par l’extraction de sable, « dès l’instant où l’arrêté d’exploitation a été donné, cela veut dire que toutes les mesures concernant la préservation de l’environnement ont été prises en compte ». Selon le secrétaire général adjoint, qui s’est exprimé dans les colonnes d’un confrère, les exploitants de carrière de sable sont soumis à des mesures, notamment la restauration du lieu après exploitation, le respect de la zone délimitée avec des coordonnées géographiques bien précises, et les espèces animales qui y vivent. Il précise par ailleurs que plusieurs ministères et autres structures étatiques, dont celui de l’Environnement, des Eaux et forêts, des Transports, des Affaires maritimes et portuaires, de l’Équipement et de l’entretien routier et de la Salubrité, siègent avant la délivrance d’une autorisation d’exploitation, valable pour quatre années renouvelables. Le secrétaire général adjoint a fait savoir que des restrictions sur des profondeurs, entre 10 et 20 mètres, sont à respecter pour éviter des risques de contamination de la nappe phréatique. Précisons que l’extraction de sable dans la lagune est réalisée à l’aide d’un outil appelé drague hydraulique. Les éléments essentiels d’une drague hydraulique sont constitués d’une pompe à sable au bout de laquelle se trouve une élinde dont le bec repose sur le fond à extraire, d’un moteur et d’une conduite appelée aussi tuyau d’aspiration. Le moteur de la drague permet à la pompe de tourner afin d’aspirer le sable. Le tuyau de refoulement connecté à la pompe conduit le sable aspiré par la pompe jusqu’à le déverser dans la digue. Après l’extraction, le sable doit être stocké pendant trois jours pour être essoré entièrement avant la vente.

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