Chaque année, la Côte d’Ivoire produit environ 50.000 tonnes de déchets pour des importations d’équipements électroniques comprises entre 10 000 et 25 000 tonnes, dont plus d’un tiers sont de seconde main. Environ 90% de ces déchets sont traités par des acteurs informels et la partie valeureuse alimente un marché noir. Les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) sont, en effet, riches en matériaux précieux réutilisables tels que l’or, l’argent, le palladium, le cuivre, l’aluminium ou encore le fer. Malheureusement, ces déchets renferment aussi des polluants (plomb, mercure, cadmium, arsenic, etc.) dangereux pour l’environnement, et malgré des retombées économiques certaines.
Malgré l’existence d’un cadre légal, la gestion du secteur des déchets électroniques pose de gros problèmes dont une des conséquences est l’existence d’un marché noir.
Le marché noir ou la tache noire du secteur
Selon Aohoui Evariste, fondateur de l’ONG EWA, le cadre légal du secteur des déchets électroniques n’est pas suffisamment connu par la majorité des acteurs, qui ignorent jusqu’à son existence. Bien qu’existante, cette législation ne serait pas assez contraignante, d’après la même source. « Cela donne le libre choix aux acteurs de s’y conformer ou pas. Il n’y a donc pas d’obligation en la matière, donc les acteurs peuvent oui ou non la respecter », indique notre interlocuteur. La non-effectivité de la législation a été exploitée par des acteurs non identifiés pour s’adjuger frauduleusement les produits dérivés ou encore les matières premières secondaires extraites des déchets par les acteurs informels du secteur. C’est le cas des matières précieuses telles que les cartes électroniques. Les matériaux de valeur ainsi obtenus se retrouvent directement sur le marché noir, et font l’affaire d’opérateurs puissants de l’ombre qui ne sont pourtant pas des intervenants dans la chaîne des valeurs du domaine. Seule une infime proportion des matières premières secondaires, telle que la ferraille, atterrit chez les clients formels pour ensuite se retrouver aux aciéries d’Abidjan, offrant une certaine traçabilité. Ce qui n’est pas le cas des cartes électroniques, qui possèdent de la valeur.
Ces dernières enrichissent plutôt des mains obscures qui investissent des moyens colossaux pour récupérer des quantités importantes des matières au détriment des acteurs légitimes qui participent réellement au développement de la filière. Mamadou Soro, président de l’Association des ferrailleurs et casses modernes de Côte d’Ivoire (AFECMCI) a ainsi expliqué à Le Tamtam Parleur que les cartes électroniques appelées « riches » sont exportées par des circuits détournés vers le Nigéria. En outre, à côté de l’épineux problème du marché noir, se dresse aussi le manque d’éco-citoyenneté chez les populations et les entreprises fournisseuses. En effet, les citoyens n’ont pas le réflexe de collecter volontairement les déchets électroniques ménagers qu’ils génèrent pour les déposer dans les centres de collecte. Il en est de même des entreprises qui, après avoir fourni sur le marché local des équipements électriques et électroniques, ne participent pas à la gestion des déchets électroniques.
Des pertes dans un secteur aux potentialités énormes
Selon les experts interrogés par Le Tamtam Parleur, la filière des déchets électroniques renferme un potentiel énorme d’emplois. C’est un secteur qui pourrait générer entre 40.000 et 100.000 emplois, selon des données de l’ONG EWA qui a mis en place une communauté d’environ 20.000 acteurs regroupant associations, syndicats et tous les intervenants de la chaîne de valeurs des déchets électroniques de Côte d’Ivoire. Malheureusement, le business parallèle dans le secteur, ainsi que la gestion informelle, annihilent toutes ces opportunités économiques et sociales importantes pour le pays.
À la casse des déchets électroniques d’Anoumabo, dans la commune de Marcory, au moins 5000 artisans y mènent leurs activités de réparation ou de démantèlement. Le président de l’AFECMCI, Mamadou Soro, soulève la difficulté que représente l’interdiction de l’exportation des matières électroniques. Cette disposition n’avantagerait pas les ferrailleurs dans la mesure où ils ont l’obligation de revendre leur production de DEEE à des entreprises locales qui les exportent, après une semi transformation. Selon M. Soro, les ferrailleurs gagneraient moins d’argent car ces intermédiaires achètent leurs matières à bas prix afin de rentabiliser leur activité.
Dans le secteur des déchets électroniques, les données financières ne sont pas disponibles, faute d’études réalisées dans le domaine, au niveau national. Cependant, si l’on s’en tient à l’estimation du WEEE Forum (Waste Electrical and Electronic Equipement) -Forum des déchets électriques et électroniques- les matériaux récupérables qui ont été jetés ou brûlés dans plusieurs régions du monde représentent quelque 57 milliards de dollars américains. Ceci est souvent la conséquence de l’inexistence -dans de nombreux Etats- des technologies adéquates pour la gestion de ces déchets, de même que du manque de législation qui rendrait le recyclage des déchets électroniques obligatoire ou qui interdirait leur élimination dans les décharges.
Il faut rappeler que les métaux rares extraits des déchets électriques et électroniques servent à la fabrication des smartphones, ordinateurs, panneaux solaires, batteries au lithium et autres objets connectés. Par ailleurs, à l’échelle mondiale, l’on note une forte hausse des cours du nickel ou du lithium rentrant dans la fabrication des batteries électriques. D’autre part, les spécialistes prédisent à terme une pénurie des métaux présents dans de nombreux déchets électroniques : gallium, indium, yttrium, tantale.

Les déchets électroniques sont collectés à l’informelle dans les communes d’Abidjan puis transportés à la grande casse d’Anoumabo./Ph-Dr
Les Nations unies indiquent que seulement 22 % de la quantité totale des déchets électroniques produits dans le monde ont pu être collectés et recyclés en 2022. Ce qui équivaut à 1% de la demande des 17 minéraux composant les métaux rares convoités par les fabricants industriels de technologie. Le manque de recyclage des déchets électroniques constituerait donc une perte économique énorme pour l’Afrique.
Les menaces environnementales et humaines des DEEE
L’impact environnemental des déchets électroniques en Afrique représente 12,4 milliards de kg équivalents CO2 en émissions de gaz à effet de serre, 6.000 kg d’émissions de mercure et 3 millions de kg de plastiques contenant des retardateurs de flamme bromés non gérés. C’est ce que revèle le rapport Global e-waste monitor 2024, coproduit par l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR) et The Foundation Carmignac.Les mauvaises pratiques de recyclage peuvent occasionner une émission de plus de 1000 substances chimiques différentes dans l’environnement, y compris des neurotoxiques nocifs, selon les données scientifiques.
L’OMS a alerté que la production mondiale de DEEE augmente de 3 à 4% par an, dépassant 62 millions de tonnes en 2022.
Le continent africain est envahi par les déchets électroniques. Selon les conclusions des assises 2020 de GRID Arendal et la Convention d’Abidjan pour la protection, la gestion et la mise en valeur du milieu marin et côtier de la côte atlantique de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, plus de 56% des dons en équipements électroniques de seconde main atteignent le continent à l’état de déchets. A cela, s’ajoutent les grandes quantités de déchets électroniques qui sont importés directement par les pays africains en plus des volumes localement générés à partir de la consommation interne.
Initiatives et solutions pour améliorer le secteur
Pour assurer une gestion écologiquement rationnelle des déchets électroniques sur son territoire, l’Etat ivoirien a mis en place le Programme National de Récupération et de Recyclage des D3E et pneumatiques usagés, et des initiatives telles le Projet de réduction des polluants organiques persistants (POP) et des polybromodiphényléthers (PBDE) provenant des déchets industriels. D’autres initiatives privées axées sur la sensibilisation et la formation des acteurs et des entreprises sont menées par l’ONG EWA. Certains opérateurs privés s’y investissent aussi. La compagnie de téléphonie MTN-Côte d’Ivoire s’investit dans la collecte et le recyclage des déchets. A cela s’ajoutent la législation (Loi ; décret) ; de même que les principes tels que « pollueur –payeur » et celui de la « responsabilité étendue du producteur » qui permettent d’engranger des recettes fiscales additionnelles connues sous l’appellation des écotaxes.
La gestion des DEEE en Côte d’Ivoire est régie par la loi n°2023-900 du 23 novembre 2023, le code de l’environnement et le décret n° 2017-217 du 05 avril 2017 portant gestion écologiquement rationnelle des déchets d’équipements électriques et électroniques.