« C’est moi qui dois plus à mon pays que mon pays ne me doit », affirme Abdoulaye Diarrassouba, dit Aboudia. À 42 ans, l’artiste s’impose comme l’un des visages importants de l’art contemporain africain. Ses toiles, valorisées à plus de 50 000$ (près de 30 millions FCFA) pour certaines, s’arrachent à Londres, Paris, New York ou Hong Kong.
Né en 1983 à Abidjan, Aboudia découvre très tôt le dessin. Élève dissipé mais habité par une énergie créatrice, il illustre les cours de ses instituteurs. Son père, enseignant, s’oppose d’abord à cette vocation jugée incertaine. Mais l’adolescent persiste. Diplômé du Centre technique des arts appliqués de Bingerville en 2005, il s’oriente vers une écriture picturale singulière, inspirée des graffitis urbains et des dessins d’enfants des quartiers populaires.
La crise post-électorale de 2010-2011 donne à son travail une dimension nouvelle. Ses toiles monumentales, peuplées de silhouettes spectrales et d’yeux ronds, témoignent des traumatismes de la société ivoirienne. « Je n’ai pas inventé cette écriture, je l’ai empruntée dans la rue », explique-t-il. Ces œuvres frappent par leur puissance expressive et retiennent l’attention des galeries internationales. Très vite, ses créations circulent à la Jack Bell Gallery de Londres, à la galerie Ethan Cohen de New York ou encore à la Galerie Cécile Fakhoury à Abidjan. Elles entrent dans les grandes collections privées, comme celle de Jean Pigozzi, et atteignent des prix records.
Le style d’Aboudia, qu’il qualifie de « nouchi » en référence à l’argot ivoirien, mêle acrylique, pastel, collage et bâtons d’huile. Il juxtapose violence et vitalité, brutalité des formes et éclat des couleurs. Ses personnages juvéniles traduisent à la fois la dureté des réalités sociales et l’inventivité d’une jeunesse résiliente. Cette esthétique hybride, entre enracinement ivoirien et langage universel, explique l’écho rencontré dans les grandes capitales culturelles.
Reconnu par le marché international, Aboudia l’est aussi en Côte d’Ivoire. En 2023, il reçoit le Prix national d’excellence dans la catégorie culture et arts visuels. Deux ans plus tard, il est décoré chevalier de l’ordre national et nommé ambassadeur du tourisme et des loisirs. Ces distinctions, souligne-t-il, ne sont pas une fin en soi mais un appel à poursuivre son engagement auprès des jeunes.
En 2018, il crée la Fondation Aboudia, à Bingerville, destinée à accompagner les enfants et les créateurs émergents. Il y voit une manière de rendre à la jeunesse ivoirienne ce qu’elle lui a inspiré. Pour beaucoup, son parcours est celui d’un artiste enraciné, mais capable d’imposer sa voix sur la scène mondiale. Pour lui, c’est d’abord l’histoire d’un homme qui, à travers ses pinceaux, continue de dire au monde ce que son pays lui a donné.
Hervée MONA


 
                                    
