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lundi 16 septembre 2024
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Suicides en Côte d’Ivoire Dr Serge Touvoly, psychologue :« Il y a des signes qui doivent alerter l’entourage »  Spécialiste en psychopathologie, Dr Touvoly est enseignant-chercheur à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Le psychologue explique les causes profondes du suicide et propose des solutions pour juguler le mal.

L’actualité est marquée ces derniers temps par le suicide de quatre personnes en une semaine, dont deux se sont jetés dans la lagune Ebrié. Que vous inspire ces faits divers ?
Dr Serge Touvoly: Ce que révèle les cas de suicides successifs observés, ces derniers temps, en Côte d’Ivoire, c’est l’aspect caché de la pression sociale sur les individus. Quatre suicides successifs observés en une semaine, pour des raisons souvent inconnues, sont une alerte. Cette situation doit attirer l’attention des gouvernants qui doivent voir dans quelle mesure ils pourraient améliorer l’état de la santé mentale de la population. Comme les cliniciens le disent, il y a le désespoir à la base de tous ces actes.

Comment peut-on expliquer cette manifestation du désespoir ?
Elle s’explique par le fait que l’individu n’ayant pas de soutien ailleurs, face à une situation de pression sociale quelconque, décide d’utiliser le suicide ou la mort comme le seul moyen de se libérer de cette pression sociale. En plus du désespoir, il y a aussi la pression sociale liée aux difficultés de la vie qui peut conduire une personne à passer au suicide parce que ne voulant pas affronter ces difficultés. Les situations d’humiliation ou de frustration peuvent conduire également un individu ayant une personnalité fragile au suicide. Les suicides apparaissent soit parce que l’individu a une tendance suicidaire à cause de sa personnalité pathologique, comme c’est le cas du sujet ayant une dépression, soit du fait des situations difficiles de la vie. Il y a donc des causes liées à la personnalité de l’individu, mais aussi des causes liées à l’environnement de l’individu.


Quels sont les signes qui montrent qu’un sujet a une tendance suicidaire ?

Il y a des signes qui doivent alerter l’entourage. La première des choses, c’est l’isolement, la rupture sociale. L’individu qui a cette tendance suicidaire commence à se séparer des autres membres du groupe. Il commence également à avoir des pratiques comme la consommation de l’alcool, de la drogue et autres substances nocives. Au volant, un tel individu va prendre beaucoup des risques pour mettre fin à sa vie. On observera aussi chez un tel individu des crises spécifiques comme des états de tristesse chronique; il ne parlera plus aux gens de son milieu. Dans certains cas, l’individu deviendra trop gentil, subitement. Il va vouloir tromper la vigilance de son entourage pour qu’il ne soupçonne pas qu’il y a des choses qu’il lui cache. On observera le fanatisme lié à la vie religieuse, les prières excessives, l’engagement dans la pratique religieuse chez un tel individu pour tromper simplement la vigilance de son entourage.


Existe-il une catégorie sexuelle ou socio-professionnelle exposée au suicide?
Non, il n’existe pas de catégorie spécifique de personnes susceptibles de passer à l’acte. Le suicide a lieu dans tous les milieux, dans toutes les catégories sociales et dans tous les domaines professionnels. C’est plutôt un comportement lié à chaque individu et il peut survenir à tout moment, en tout lieu, quelle que soit la condition de vie.


Pouvons-nous avoir des données chiffrées sur le phénomène social en Côte d’Ivoire ?
Le journal Le Monde Afrique rapporte, dans un article, que l’OMS a diligenté une enquête sur le suicide en Côte d’Ivoire, sur la période 2019-2021. Le Programme National de Santé Mentale (PNSM), qui a mené l’étude, a dénombré 418 cas de suicide dans cette période et 927 tentatives de suicide. Si on doit repartir ces chiffres sur chacune des trois années, on a un taux de suicide très élevé en Côte d’Ivoire. Le problème est profond. Une étude réelle, financée, avec des enquêtes plus approfondies sur les tentatives de suicide, en observant les comportements, serait plus intéressante.


Comment prévenir ce mal ?
La prévention doit se faire d’abord dans les foyers, les familles, qui connaissent mieux ces individus à tendance suicidaire. Au-delà des foyers, il y a le voisinage, les collègues au travail … Si la personne vit seule et qu’elle a cette tendance suicidaire, il est difficile de prévenir le mal. Je propose donc la sensibilisation à travers des medias comme la télé, la radio et les journaux. On pourra, à travers ces media, définir le profil de l’individu ayant une personnalité fragile, à suivre de près et l’orienter vers un centre spécialisé de prise en charge psychologique. Malheureusement, il n’y a pas de centre de prise en charge psychologique dans les établissements de santé, dans les ministères, l’administration, les écoles, dans les institutions, pour que les spécialistes puissent outiller la population en vue d’aider les personnes fragiles dans leur entourage. Il faut prévenir le mal, même si c’est dans l’amusement. Si dans les causeries, tu entends quelqu’un dire : « Tout ça là, ça va finir », « Je vais me faire du mal », c’est déjà un langage à prendre au sérieux.
La religion peut-elle être un refuge pour des personnes qui éprouvent un mal-être ?
La religion est un moyen pour chacun de pouvoir se refaire, de trouver un réconfort. Celui qui pratique une religion vit de l’espoir. Il y a l’espoir d’avoir une vie meilleure au ciel et l’espoir d’être aidé par Dieu et d’avoir une condition de vie meilleure. Comme le dit un verset biblique : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos ». C’est un message d’espoir, qui permet à quelqu’un qui est dans des situations difficiles de se confier à Dieu qui va le décharger. Vous voyez bien que ce sont les problèmes, les difficultés de la vie qui créent le désespoir, or la religion donne de l’espoir. Dans la religion aussi, à cause des relations fraternelles qui vont être établies entre les fidèles, celui qui était isolé, retiré socialement, peut y retrouver des amis. C’est cela, l’intérêt de la religion.


Existe-t-il une thérapie pour les personnes à tendance suicidaire ?
Effectivement, il existe une thérapie, une prise en charge des personnes ayant des tendances suicidaires. Le problème du désespoir qu’ont les personnes à tendance suicidaire, c’est le besoin d’écoute pour que la charge affective, émotionnelle et la pression sociale trouvent une solution. Lorsqu’une personne a cette charge émotionnelle et cette pression sociale et qu’elle se laisse envahir par la charge, à un certain moment, l’esprit et le corps ne sont plus équilibrés pour porter cette charge. C’est pourquoi la personne qui porte cette charge peut chercher à quitter sous cette charge, à se débarrasser de ce poids. Si elle ne parvient pas à enlever le poids, elle va chercher à s’ôter de dessous ce poids. C’est pour cette personne, le suicide qui sera le moyen idéal. C’est pourquoi, lorsqu’on fait la thérapie, on amène l’individu à parler pour se décharger. Plus, vous parlez, plus vous êtes en situation d’expression, vous vous libérez des affects négatifs des charges émotionnelles. On fait aussi des thérapies de groupe pour vous mettre en présence des personnes ayant vécu la même situation qui s’en sont sorties et qui sont guéries. Si vous avez un proche qui vit en tel cas, vous pouvez créer les conditions de la confiance pour le faire parler. Si vous êtes limité, alors, vous pouvez le conduire vers un psychologue pour une prise en charge plus approfondie.

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