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lundi 16 septembre 2024
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PPA (anciennement-Maca) /La misère des femmes et des enfants  

303 femmes sont détenues au PPA (Pôle pénitentiaire d’Abidjan), dans des conditions jugées précaires, selon un rapport du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH). L’enquête du Conseil précise qu’avoir des enfants, pour ces détenues, est un supplice de plus.

« Les conditions de détention sont difficiles (…) Les conditions d’hygiène sont mauvaises ». Les mots de cette ex-détenue qui a requis l’anonymat résument la situation que vit la gent féminine au Pôle Pénitentiaire d’Abidjan. Les conditions d’hygiène, d’alimentation et d’installation sanitaires ne sont pas à la hauteur des espoirs de ces femmes et enfants qui se retrouvent en détention. Un rapport publié en décembre 2022 par l’ONG ACAT-CI (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture en Côte d’Ivoire), qui s’est penché sur la détention des femmes et des mineures en Côte d’Ivoire révèle que : « Les détenues au PPA ne disposent pas d’encellulement individuel ». Selon les informations en notre possession, le PPA a en son sein le quartier des femmes qui est séparé de celui des hommes. Ce compartiment comprend 11 cellules dont 4 de 59 m2 qui contiennent 35 à 40 détenues, une de 40 m2 qui reçoit 15 femmes et six de 11m2 qui sont conçues pour recevoir entre 7 et 15 femmes.

Selon le rapport de l’ONG ACAT-CI, «au regard de l’espace vital par personne, la surpopulation carcérale n’épargne pas les femmes ». Etant entendu que la référence de 3m2 par détenue requise en termes d’espace par le ministère de la justice et des Droits de l’homme, n’est pas respectée. Toujours selon cette même étude intitulée « Vivre l’enfermement », si une majorité de femmes et de mineures dorment sur des matelas, ce rapport indique que 42 % des femmes interrogées disent dormir sur une natte. S’agissant de la nourriture, les enquêteurs ont rapporté que 49 % des femmes ont dit recevoir deux repas par jour. Cependant, 53,5 % des femmes estiment ne pas manger en quantité suffisante et les deux tiers estiment que la nourriture n’est pas de qualité satisfaisante. 

La précarité menstruelle, la double prison 

Les détenues du PPA, comme dans toutes les prisons des villes de l’intérieur du pays, sont confrontées à de réels problèmes de suivi médical. Une étude du Conseil National des Droits de l’Homme, dont les résultats ont été publiés en février 2021, a dressé un sombre tableau des conditions sanitaires des détenues. Nombre d’entre elles, révèle le document, souffrent de maladies de la peau, de maladies chroniques et gynécologiques. Ce rapport révèle que « l’effectif limité des spécialités (absence de pédiatre, de gynécologue et de psychiatre) compromet la réponse aux besoins spécifiques des femmes, des enfants de mères détenues ». Que dire de la précarité menstruelle de ces détenues ? Un sujet plutôt tabou. Une ex-détenue, qui s’est confiée à Le Tamtam Parleur, n’oubliera pas de sitôt son séjour carcéral, à cause de ce problème spécifique : « Je n’avais rien pour me protéger. J’utilisais un morceau de pagne comme protection hygiénique ». Et cette autre ancienne pensionnaire du PPA qui y a séjourné à deux reprises, d’expliquer : « Lorsque tu arrives en prison, tu n’as pas de brosse à dents, pas de serviettes hygiéniques et il n’y a pas de dessous de rechange ». 

Cette précarité menstruelle est aujourd’hui le combat de Mme Madoussou Touré, une juriste et entrepreneure devenue présidente de l’ONG SMED-CI (Soutien aux Mères et Enfants en Détresse). Cette cause qu’elle défend lui permet d’être régulièrement en contact avec des détenues pour leur offrir des serviettes hygiéniques qu’elle collecte auprès de donateurs privés. Elle le dit à qui veut l’entendre : « Il y a un problème de précarité menstruelle, quand on est une femme en Côte d’Ivoire. Donc, vous vous imaginez ce que c’est, quand on est derrière les barreaux! ». Si l’État de Côte d’Ivoire intervient au niveau de la nourriture et des médicaments, la présidente de l’ONG de lutte pour le bien-être des femmes déplore que les besoins sexo-spécifiques ne sont pas pris en compte: « Être en prison, c’est déjà une punition, mais pour les femmes qui ont leurs menstrues là-bas, c’est la double peine. »

Les enfants ne sont pas en reste !             

Le rapport publié par l’Ong ACAT-CI révèle qu’il n’y a que le PPA qui dispose de cellules réservées aux mineures. Dans les autres prisons de l’intérieur du pays, ces mineures partagent les mêmes cellules que les adultes. Parmi les mineurs interrogés au cours de cette recherche, 23 % disent dormir sur un matelas. 64 % d’entre eux ne disposent que d’une natte, tandis que 13 % dorment sur le sol. Leur couchage est estimé très majoritairement par les personnes détenues comme étant en mauvais état, voire très mauvais, particulièrement pour les mineures dont aucune cellule ne dispose d’une moustiquaire.

Quant aux détenues ayant des enfants en prison, le président de l’ACAT-CI, Paul Kouadio, a fait savoir dans une interview publiée sur le site prison insider que seul le PPA dispose d’une cellule dédiée aux femmes qui gardent auprès d’elles leur enfant. Cependant, la scolarisation des enfants nés en prison ou encore des mineurs incarcérés est un défi. Selon les responsables de l’ONG, lorsque  « le père de l’enfant est à l’extérieur, l’enfant est habituellement placé auprès de lui ». En pratique, cela ne va pas sans difficulté, car l’administration peine souvent à identifier la famille. Pour éviter que l’enfant soit livré à lui-même, ajoute les dirigeants d’ACAT-CI, « l’enfant est souvent amené à rester avec sa mère » dans la prison.

Des examens scolaires sous surveillance

Selon Paul Kouadio et Wenceslas Assouhou, membres de l’ACAT-Côte d’Ivoire, qui ont contribué à la rédaction du rapport d’enquête en 2022. Quand ils parviennent de façon exceptionnelle à inscrire quelques jeunes à des examens scolaires de fin d’année, les choses ne sont pas aisées. « Lorsqu’ils passent leurs épreuves avec les autres élèves, ils sont entourés de surveillants pénitentiaires. C’est extrêmement humiliant ». Dans ces conditions, ces jeunes qui n’ont même pas pu réviser en prison, réussissent très rarement à leurs examens.

Une resocialisation difficile

Après un séjour carcéral difficile, ces femmes désormais libres devront affronter les regards méfiants de la société. T. Aïcha, ex-détenue sortie de prison en 2019, est marquée à vie, non seulement par son passage à ce qui était encore la Maca, mais aussi et surtout par le regard des gens : « Ma famille m’a tourné le dos (…) En Afrique, être en prison, c’est déjà une honte pour la famille. Mais une femme en prison, c’est une abomination ». L’enquête de l’ONG ivoirienne, menée avec le soutien de la Fédération Internationale des ACAT (FIACAT) et du Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique, a établi un portrait pénal des femmes en détention. La détention et la vente de la drogue est le motif d’écrou le plus fréquent. L’enlèvement de mineure est le deuxième motif d’écrou le plus couramment rencontré pour les femmes adultes.

Dans le cadre de ce reportage, nous avons, pendant près de trois semaines, tenté en vain de joindre le Directeur de l’Administration Pénitentiaire, qui dépend du ministère de la Justice, dont nous souhaitions avoir la réaction sur les difficultés que vivent les femmes et les enfants dans l’univers carcéral. 

Il est pertinent de souligner que selon le rapport d’enquête de mai 2022 du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), le Pôle Pénitentiaire d’Abidjan reçoit un peu plus de 9000 détenus, soit bientôt le tiers de la population carcérale nationale. Toujours selon le même rapport, au total, en 2022, la population carcérale générale était de 25 121 personnes, dont 23 495 hommes majeurs, 638 femmes majeures, 14 mineures et 974 mineurs.

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