Pour la première fois, la Bourse nationale du manuel scolaire (Bonamas) s’ouvre au secondaire et touche déjà 120 000 élèves de sixième (6e). Lancé en 2024 après une phase pilote, le dispositif de la Bonamas veut changer la donne, alors que le manuel scolaire est depuis longtemps considéré comme un des éléments favorisant les inégalités d’accès à l’éducation. Entre coûts élevés et disparités régionales, de nombreux parents d’élèves doivent relever à chaque rentrée avec un défi supplémentaire, celui de se procurer les ouvrages indispensables à leurs enfants.
Longtemps réservée aux élèves du préscolaire et du primaire, la Bourse nationale du manuel scolaire est désormais ouverte au premier cycle du secondaire. Pour l’année scolaire 2024-2025, environ 120 000 élèves de 6e ont bénéficié de ce dispositif de prêt-location de manuels scolaires, mis en place par le ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation.
Le principe repose sur une souscription annuelle de 10 000 francs CFA donnant droit à un kit de huit manuels dont la valeur marchande est estimée à 48 000 francs CFA. Les ouvrages doivent être restitués en fin d’année scolaire, avec une pénalité fixée à 2 000 francs CFA par livre, en cas de perte ou de détérioration. Selon les données communiquées par le ministère, près de 1,3 million de manuels ont été distribués dans 744 établissements publics et privés pour la rentrée 2024-2025.
Depuis 2022, le dispositif a connu une montée en puissance. Plus de 12 milliards de francs CFA ont été mobilisés avec l’appui de partenaires, dont l’Agence française de développement (AFD), pour l’acquisition et la distribution des kits scolaires destinés au préscolaire et au primaire. Avec l’extension à la sixième, l’État ivoirien entend élargir l’accès aux manuels scolaires au cycle secondaire, dans le cadre d’une politique de réduction des disparités et d’amélioration des conditions d’apprentissage.
Des taux de souscription variables
L’adhésion au Bonamas reste contrastée, selon les établissements et les régions. Dans la Direction régionale de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (Drena) de Divo, 14 établissements ont reçu 22 400 manuels pour 2 790 élèves. Le taux de souscription enregistré un mois après le lancement atteignait 29,31 %. Dans certains établissements, la participation était inférieure à 10 %, tandis que d’autres affichaient des taux supérieurs à 60 %. Afin de renforcer l’information auprès des familles, le ministère a déployé plusieurs actions de sensibilisation. Des réunions ont été organisées dans les établissements scolaires, des spots diffusés sur les médias publics et des messages relayés via les réseaux sociaux.
Par ailleurs, l’inscription au dispositif se fait exclusivement en ligne par l’intermédiaire de la plateforme «bonamas.mena-ci.com». Le règlement s’effectue via TrésorPay ou mobile money, avec une quittance électronique exigée pour le retrait des manuels. Cette procédure, conçue pour garantir la transparence, se heurte à des obstacles en zones rurales, où la couverture Internet est limitée et l’usage des paiements numériques peu répandu.
La distribution des kits se déroule dans les établissements, sous la supervision des antennes de la direction de la pédagogie et de la formation continue. Cependant, des retards ont été signalés dans certaines zones éloignées, attribués au manque de moyens logistiques, à des erreurs dans l’estimation des effectifs et à une communication insuffisante en amont avec les parents.
Claude Kadio Aka, président de l’Organisation des parents d’élèves et d’étudiants de Côte d’Ivoire (Opeeci), a salué l’initiative, tout en émettant quelques réserves. « Nous n’avons pas encore constaté l’effectivité de ce programme, car notre organisation a été contactée au dernier moment pour nous informer de sa mise en place. Nous en sommes informés et c’est tout de même une bonne idée pour soulager les parents. On verra comment cela évoluera dans la pratique ». Des propos qui traduisent l’attente des parents, attentifs au déploiement concret du dispositif et aux éventuelles difficultés rencontrées.
L’apport des encadrants
« La Bonamas n’est pas seulement un dispositif d’allègement financier pour les parents, c’est aussi un outil pédagogique. Les enseignants sont au cœur de son succès, car leur implication garantit que les manuels servent effectivement aux apprentissages et ne restent pas de simples objets administratifs », a déclaré le directeur de la pédagogie et de la formation continue, Idrissa Ouattara. Il a rappelé l’importance du projet Bonamas pour les enseignants : la mise à disposition d’un exemplaire gratuit pour chaque enseignant dans les différentes disciplines.
La feuille de route élaborée par le ministère prévoit une extension progressive du dispositif à l’ensemble du premier cycle. Après les classes de 6e en 2024-2025, la 5e doit intégrer la Bonamas dès 2025-2026, suivie des classes de 4e et 3e dans les deux années suivantes. Cette prise en charge repose sur la capacité du ministère à stabiliser le dispositif sur le plan financier, technique et logistique. Pour l’heure, les priorités du dispositif concernent l’augmentation du taux de souscription, le renforcement de la logistique de distribution et l’instauration d’un modèle durable de gestion des manuels. La discipline dans la restitution des ouvrages et la mutualisation des ressources figurent parmi les conditions essentielles de viabilité du projet.
La poursuite de la généralisation dépendra de la résolution des difficultés techniques et logistiques rencontrées, ainsi que de l’adhésion des familles. Les prochaines étapes, notamment l’extension aux classes de cinquième, de quatrième et de troisième, constitueront des jalons décisifs pour mesurer la solidité et la durabilité du programme.
Hervée MONA